Tribune

A l’ère de la pénurie de talents qui touche un nombre croissant d’entreprises, ces dernières craignent aussi le phénomène de la «grande démission», qui frappe actuellement les États-Unis. Les années à venir devront permettre de redéfinir le pacte social qui lie l’entreprise au collaborateur.

La notion de carrière a été détrônée par la notion d’employabilité, peut-on lire ici et là. Autrement dit, l’employabilité telle qu’imaginée aujourd’hui ne répondrait qu’à des enjeux business. Affirmer cela est un total contresens de ce que nous vivons en ce moment. Soyons clairs, avoir une bonne employabilité de ses collaborateurs est bien évidemment essentiel pour qu’une entreprise performe ou pour que ces mêmes collaborateurs soient plus à même de s’adapter aux exigences du marché et de leurs métiers. Mais réduire cette notion à une tendance consumériste du travail tranche avec l’ambition de nombreuses entreprises d’instaurer une néo-employabilité. Cette nouvelle définition accorde davantage un rôle de guide à l’entreprise, notamment au manager, vis-à-vis de ses collaborateurs.

Ce changement de posture souhaité pour limiter au mieux la pénurie de talents n’a de cesse de grandir. Selon une étude réalisée par Korn Ferry, la France pourrait ainsi manquer de plus de 1,5 million de salariés très qualifiés d’ici 2030. Pour éviter une potentielle catastrophe, il y aurait tout intérêt à personnaliser l’accompagnement du collaborateur, dès sa candidature jusqu’à son onboarding, pour orienter plus tard son évolution au sein de l’entreprise. Dans les faits, les collaborateurs attendent aujourd’hui de développer leur portefeuille de compétences pour toucher à divers métiers dans leur carrière. On ne cessera de le répéter mais nous n’avons plus une carrière mais des carrières. Rien ne sert donc d’espérer de la fidélité de la part des collaborateurs quand il faut plutôt stimuler leur engagement.

Cette tâche n’est pas simple puisqu’il faut permettre à chacun d’envisager plusieurs possibles, que ce soit au sein de l’entreprise ou en dehors. On parle alors de mobilité interne, de politiques de formation, entre autres. Ce sont autant de leviers qui permettent d’autonomiser le collaborateur et de le rendre acteur de son évolution professionnelle. Une forme de liberté encadrée qui augmente ainsi les chances de le voir rester dans l’entreprise.

Le spectre de la «grande démission»

En août 2021, près de 4,3 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi, selon le département du Travail américain. Ce phénomène massif aux interprétations multiples interpelle outre-Atlantique. Doit-on craindre à notre tour cette vague de démissions ? Pour le moment, les chiffres ne montrent pas une telle tendance même s’il est juste d’avancer que la pandémie a rebattu les cartes quant aux attentes des travailleurs. Malgré tout, la France, toute démocratie sociale qu’elle est, n’est pas à l’abri d’un tel phénomène s’il elle ne prend pas sérieusement en considération la tendance de fond qui se diffuse sur le marché du travail. La quête de sens est au centre des réflexions des salariés, qui aspirent désormais à une expérience de travail bien plus émancipatrice que par le passé.

Ce contexte déstabilise les entreprises, qui font face à un réel casse-tête pour attirer de nouveaux talents et garder les leurs. Elles le constatent bien, les critères d’attractivité ne sont plus les mêmes ; il ne suffit pas d’un plus gros chèque à la fin du mois pour stimuler l’engagement de leurs collaborateurs. L’accès facilité au télétravail comme le recours aux soft skills dans les techniques de management sont des points à travailler et à développer pour rester attractif. Il convient aussi de sortir de certaines habitudes d’un autre temps, à l’image de la mesure de l’efficacité au travail via la culture du présentéisme. C'est une conception archaïque, et très française, de la productivité des salariés qui est vouée à disparaître tant elle est le reflet d’une époque qui n’a plus lieu d’être. Un vrai casse-tête donc…

Accompagner les managers dans la conduite du changement

Changer, se renouveler, innover doivent être les mots clés de la nouvelle vision des entreprises. Pour autant, derrière les mots se cache une pression immense mise sur les épaules des RH et notamment celles des managers. Ces derniers sont en première ligne pour juger de l’efficacité du management sur leurs équipes. Une position à haut risque qui doit pouvoir compter sur un soutien fort de la direction RH et par extension de la direction générale. Former les managers au management agile, à la valorisation des soft skills, à la gestion du télétravail, entre autres sujets prégnants, tout en leur fournissant les outils adaptés à ces missions sont autant de priorités pour les mois et années à venir.

Si les managers doivent être soutenus dans leurs missions, il est également essentiel d’impliquer l’ensemble de l’entreprise dans ces changements. C’est un pari que doivent prendre les directions générales pour gagner la guerre des talents, ou tout du moins pour éviter de la perdre. Au-delà de l’urgence de la situation, il s’agit là d’un moment charnière pour installer et pérenniser une nouvelle forme d’employabilité où entreprises comme collaborateurs ont beaucoup à gagner, tant sur le plan humain que financier.

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