Ressources humaines

À l'heure du travail hybride, les visioconférences se multiplient, poussant certains à couper systématiquement leur caméra. Est-ce problématique ou non ?

Qui viendrait à une réunion sans montrer sans visage ? Il y a deux ans, peu auraient imaginé se poser cette question. Et pourtant. Conséquence d’un travail hybride en passe de devenir usuel et de la multiplication des visioconférences, certains en viennent à couper leur caméra. Mais en ont-ils le droit ? Et de quoi ce phénomène est-il le nom ? « C'est la question que je me pose à chaque fois qu'en visio, les participants ont leur caméra éteinte. Je ne parle pas de ceux qui n'ont pas de caméra sur leurs ordinateurs ni de ceux qui ont des problèmes de connexion. Je parle de ceux qui ne souhaitent pas le faire alors qu'ils en ont la possibilité technique. De ceux qui ne veulent pas qu'on voie chez eux ni même qu'on les voie », questionnait ainsi Patricia Wendling, autrice du livre Télétravail Mode d’emploi, en ouvrant récemment le débat sur LinkedIn.

Marque de respect

Le sujet, qui peut sembler anecdotique au premier abord, s’avère en réalité porteur d’interrogations plus profondes allant du droit à la déconnexion du salarié à l’image renvoyée en externe en passant par le lien social au sein de l’entreprise, déjà très fragilisé [lire encadré]. Sur le papier, pas de doute en tout cas, rien n’oblige légalement un salarié à devoir le faire tant qu’il participe en audio et que les visioconférences respectent les plages horaires de travail. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) se montre d’ailleurs très claire quant à une pratique assimilable à une « surveillance excessive et disproportionnée ».

Dans les faits, nombreux sont ceux qui branchent leur caméra selon les circonstances. « Le premier cas de figure concerne les échanges individuels. Si les personnes se connaissent, cela relève de l’intuitu personae. Mais si elles ne se sont jamais rencontrées, on touche aux frontières du savoir-vivre voire de la politesse. Montrer son visage est la première marque de respect », estime Jean-Sébastien Hongre, CEO de Teaminside. Quant aux réfractaires, divers outils permettent de masquer ou modifier l’arrière-plan lors d’un appel vidéo, sans compter la possibilité de se mettre devant un fond uniforme comme un mur ou de privilégier une photo statique. « Lorsqu’il s’agit d’une réunion de groupe ou d’une visioconférence collective, le sujet s’avère plus subtil. Évidemment, les intervenants ont besoin d’être visibles, a contrario des participants. Dans le cas d’une réunion plus informelle, celui qui organise et anime a tout intérêt à se dévoiler et même pour les participants, montrer son visage quelques instants en début de session peut s’apparenter à un bonjour », encourage-t-il.

Image de l’entreprise

« Aux personnes qui ne veulent pas qu'on les voie en pyjama ou travaillant de leur lit, on rappellera combien se mettre en tenue de travail permet de passer du privé au professionnel », rappelle d’ailleurs dans son post Patricia Wendling. Qui pointe également une autre évidence. « Si l'image de soi compte, celle de l'entreprise est aussi à garder à l'esprit. Lors de visios avec des clients, notre image, notre posture, notre attitude, tout cela a un impact. Que pensent nos clients lorsqu'en visio nous éteignons tous nos caméras ? Et inversement, qu'en pensent nos partenaires ? », interroge-t-elle. « Cela peut être vite assimilé à un manque de considération ou de respect, et ce quel que soit le rapport entre les deux parties. S’il va de soi qu’un prestataire de services a tout intérêt à montrer son visage, la réciproque est valable. Un client qui ne se montre jamais, ce n’est pas possible. On ne sait parfois même pas à qui on s’adresse », témoigne Lionel Cuny, CEO de l'agence Insign.

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Codes communs

Autre sujet : le recrutement. Embaucher quelqu’un sans une rencontre physique - et a fortiori sans voir ses traits - reste illusoire. « Je peux éventuellement faire un premier entretien en visio avant de rencontrer physiquement un candidat mais si celui-ci ne montre pas son visage, c’est inenvisageable », avoue Lionel Cuny. Et pour cause. Certaines choses ne se voient pas à travers la caméra. « Arrêtons de croire que la communication humaine peut se contenter des mots. Ce serait ignorer la richesse des expressions et la part physique, intuitive et même instinctive qui existe dans les rapports humains. D’autre part, il faut uniformiser les modes de communication et permettre de faire réémerger des codes communs mis à mal par la crise», conclut Jean-Sébastien Hongre.

Une appartenance collective menacée

Toute personne travaillant dans une entreprise peut refuser de voir sa photo publiée sur le site internet de la société, y compris dans une photo de groupe, a jugé la Cour de cassation dans un arrêt le 19 janvier. La justice avait été saisie par des salariés d'une entreprise de construction se plaignant d'apparaître dans la photo de groupe présente sur le site. La direction, qui entendait donner avec ce procédé une image unie de l’entreprise, s’est défendue en rappelant qu'elle avait retiré la photo avant le procès et que les contestataires ne pouvaient avoir subi aucun préjudice direct et certain lié à cette image. Irrecevable pour la Haute Juridiction. Selon le code civil, le droit à l'image permet à chacun de s'opposer à la captation, la conservation, la reproduction et l'utilisation de son image.

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