Spécial RSE

Trois ans après l'adoption de la loi Pacte, qui couronne la RSE, le moins que l’on puisse dire est que le vent de révolution qui devait accompagner son entrée en application s’est transformé en petite bise.

Il y a des statistiques qui claquent. « La loi Pacte, […] en avez-vous déjà entendu parler ? » Avec 69 % de non, la réponse est sans appel. « Qu’en pensent les vrais gens ? Voici ce que l’on a voulu comprendre avec ce ʺstreet sondageʺ Via Voice sur la raison d’être et les Français, réalisé fin 2021, détaille Corinne Cherqui, directrice générale adjointe du cabinet de conseil I&S. Ces thématiques n’ont pas infusé dans la société. »

Avec ses 74 articles à la clé, le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, n’a clairement pas gagné en lisibilité vis-à-vis du grand public. Ce texte traite de plan d’épargne retraite, de droit à l’erreur, d’intéressement… et, noyée, de responsabilité sociétale et environnementale (RSE). Une loi fourre-tout, et surtout qui n’est pas la première du genre. « La loi portant sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001, la loi Sapin 2 de 2016… toute une série de textes législatifs visait déjà les grandes entreprises en matière environnementale et sociétale, explique Élodie Valette, avocate associée chez Bryan Cave Leighton Paisner. La loi Pacte est venue généraliser à toute l’économie, à toutes les entreprises - quelles que soient leur taille et leur forme - ces enjeux-là, mais basée sur une démarche volontaire. ''Prendre en considération'' dit la loi. Mais que recouvre cette expression ? Et quelles sanctions ? La montagne a accouché d’une souris. » Peut-être d’un peu plus quand même. Outre l’intérêt social élargi, deux nouvelles notions sont apparues : la raison d’être, d'une part, une première étape qui permet d’afficher les bonnes intentions et de les inscrire dans les statuts de l’entreprise - visée par les articles 1833 et 1835 du Code civil - ; la société à mission, d'autre part, stade ultime, qui doit se traduire par des actions concrètes et un contrôle a posteriori. Une fusée à trois étages au service de la RSE.

C’était déjà mieux avant ?

L’entreprise Fleury Michon avait lancé le process bien avant le 11 avril 2019, date de l’adoption de la loi. « Qu’est-ce qu’on a envie de faire ? La première étape passe par une introspection », relate David Garbous, alors directeur marketing, à l’origine de la démarche dès 2016. Aider les hommes à mieux manger chaque jour : le leitmotiv est clair. « Chaque mot est hyper important. Toutes les décisions de la boîte devaient en passer par ce filtre, la suppression des nitrites de sodium, l’abandon du plastique, le recours à des barquettes en bois… » Telles sont les premières réalisations de cette raison d’être dorénavant gravée au fronton de Fleury Michon. Selon David Garbous, qui met ses convictions aujourd’hui au service des entreprises via son cabinet Transformation positive, c’était autant de vrais changements, et pas de l’innovation juste pour occuper le terrain. « 80 % des modèles économiques sont menacés par le réchauffement climatique, commente-t-il. 80 % de ce qui fait les chiffres d’affaires aujourd’hui n’est pas compatible avec l'Accord de Paris. C’est colossal. Qu’est-ce qu’on fait ? Mettre le marketing au service d’une stratégie à impact. Il nous a fallu quatre ans. C’est le retour du temps long en entreprise. » Un modus operandi conduit donc entre 2016 et 2020, avec un esprit pionnier, bien avant la publication des décrets d’application de la loi Pacte.

Autre secteur, même constat. Branche média du groupe WPP, GroupM a développé des « green teams » dès 2018. « Ces collaborateurs portent en interne des initiatives pour faire changer les mentalités, précise Louise Mertzeisen, directrice ressources humaines et country people Lead WPP, comme le zéro déchet, l’engagement social pro bono. Les attentes de nos collaborateurs et de nos annonceurs sont bien plus puissantes que la loi Pacte ! » Dès 2019, Carrefour, puis Maisons du Monde, le groupe Publicis, l’agence BDO ou, tout récemment, La Banque Postale, … ont franchi le cap. « Il y a bien eu un avant et un après, commente Caroline Darmon, directrice RSE chez Publicis Groupe, par ailleurs vice-présidente de la commission RSE de l’AACC. Mais cela vaut pour la COP 21 de Paris, pas pour la loi Pacte. Le sujet RSE était lancé depuis 15 ans. »

« Ce n’est pas forcément la loi Pacte qui a fait bouger les lignes, note Paul Courtaud. Fondateur de Neobrain, société spécialisée dans l’intelligence artificielle au service de la gestion des talents, il a repris - avec Guillaume Sarkozy - la présidence du Cercle Humania, qui fédère 100 entreprises membres actifs, soit entre 3 000 et 4 000 salariés. D’où une certaine hauteur de vue. « Avec 40 % de renouvellement des effectifs, les besoins d’étoffer les équipes sont importants. Les attentes des candidats ont d’autant plus de poids. Les tampons comme Great place to work, ils n’y croient plus. Finalement, le sujet va orienter les entreprises par conviction, ou par opportunisme, conclut Paul Courtaud. Entre un financement de plus en plus imprégné de ces questions et les candidats, les sociétés sont prises en étau. »

Des écueils

Pour autant, le bilan dressé par le « cabinet de conseil positif » Wemean, en octobre 2021, est en demi-teinte. Sur les 120 entreprises scrutées, qui constituent l’indice SBF (pour Sociétés des bourses françaises), une seule est devenue entreprise à mission - Danone -, neuf autres ont développé leur raison d’être. La récolte est bien chiche ! « Le débarquement d’Emmanuel Faber de Danone a refroidi les ardeurs, commente Sophie Chassat, associée chez Wemean. Les fonds d’investissement ne sont pas opposés à ce statut particulier, à condition de voir la performance toujours au rendez-vous, comparée à celle des autres acteurs du marché. La raison d’être suppose une présentation en assemblée générale, un vote aux deux tiers, avec un risque : l’opposabilité. Un point peu apprécié des directions juridiques, d’où des démarches développées sans jamais revendiquer la raison d’être dans les statuts. C’est le cas d’Orange, par exemple. Le vrai risque ? Il porte sur la réputation. » Le couperet médiatique et la force des réseaux sociaux, plus forts que la loi Pacte ?

La démarche RSE génère toutefois une pénurie de compétences sur le sujet. « Nous recevons des appels entrants tous les jours, commente Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, cabinet de recrutement spécialisé. Depuis 2016, les fonds d’investissement sont vigilants. Et pour se faire financer, les ETI doivent démontrer leur politique sociétale et environnementale. La démarche de risque est en cause. Où en est l’entreprise ? Quel est son degré de maturité par rapport à ce sujet ? Est-ce juste pour des raisons purement réglementaires ? Pour une opération de greenwashing ? » Le pedigree des entreprises est ausculté, décortiqué. Ce mouvement pourrait faire tache d’huile. « Pourquoi ne pas diffuser ce modèle pensé pour les entreprises à d’autres organisations, ponctue encore Sophie Chassat, comme les établissements d’enseignement supérieur, par exemple. Je crois en la force des 10 % qui font basculer la situation. »

Un nouvel enjeu en Europe ?

« Il fallait que cela existe, commente Corinne Cherqui, mais maintenant ? Next ? » La réponse va peut-être venir de Bruxelles dans les trois prochains mois. « À l’occasion de la présidence tournante du conseil de l’Union européenne par la France, cet enjeu va-t-il devenir une obligation européenne, interroge Élodie Valette. Notre pays fait figure de précurseur. Un cap pour renforcer l’effectivité de ces textes, pour l’heure inexistante ? Le chemin sera assez long… » Une directive européenne plus forte que la loi Pacte ? La proposition adoptée par la commission européenne, le 23 février dernier, va dans ce sens.

Trois questions à Anne Mollet, directrice générale de la communauté des entreprises à mission

«La crise sanitaire a permis une prise de conscience»

Quelle est la genèse des entreprises à mission ?

Elles ont été instaurées par la loi Pacte. C’est une innovation qui traite de l’utilité des entreprises. Avec l’idée de mettre au cœur du modèle d’affaires des objectifs que l’entreprise se choisit et qui l’engagent pour les prochaines années. Des objectifs juridiquement opposables. Aujourd’hui, pas moins de 505 entreprises ont franchi le cap, soit un bond de 13 % en un trimestre. 79 % d’entre elles ont moins de 50 salariés.

Est-ce un travail long à fournir ?

La démarche s’étale sur 6 à 18 mois, selon la taille des entreprises. Impulsée à 96 % par le dirigeant. C’est très lié aux convictions d’une personne. Des moments de réflexion peuvent intervenir, d’où parfois la sensation d’un stop-and-go. Mais, aucun dirigeant ne l’a regretté. C’est un bon moyen de faire le lien entre les racines et le futur de l’entreprise, entre l’interne et l’externe. Un élément stabilisateur. Ce modèle est arrivé par la recherche académique qui travaille sur le sujet depuis 2008. Avec une première réunion en mars 2018, bien avant la loi Pacte d’ailleurs.

Le covid a-t-il perturbé le développement des entreprises à mission ?

La première a été créée en janvier 2020, le temps d’avoir les décrets d’application. La crise a été au contraire un accélérateur, parce qu’elle a permis une prise de conscience. Et avec des salariés éparpillés, c’est un bon levier pour insuffler la cohésion d’équipe.

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