Tribune

Le rapport au travail a profondément changé ces dernières années, et la pandémie n'a fait qu'accélerer les choses. Aux entreprises de s'adapter à cette nouvelle ère.

Il y a une dizaine d’année, lorsque cette formule est apparue, elle faisait sourire ; il y a cinq ans, elle interpelait ; aujourd’hui, c’est une vraie question de gestion du capital humain en entreprise. Il fut un temps, que les salariés de moins de 35 ans n’ont pas connu, où «bosser comme un dingue» était une norme, où gravir l’échelle sociale, palier par palier, une logique, où gagner de plus en plus, un objectif pour certains. Ce temps-là et sa logique, qui voulaient qu’on n’existait socialement que par son travail, sont révolus. Prenons garde aux amalgames toutefois, il existe et existera toujours des personnes dont la raison d’être s’exprime par le pouvoir, l’argent, le statut social, y compris parmi les jeunes… Prenons garde aussi aux jugements de valeurs en respectant la liberté de chacun. Mais personne ne peut nier un changement profond de paradigme dans le monde du travail qui, de surcroît, ne date pas d’hier.

Face au monde fluide qui s’est généralisé depuis 20 ans – il faut relire Le Monde liquide de Zygmunt Bauman, paru en 2006 –, les structures pyramidales, le patriarcat, les organisations kafkaïennes, les statuts égocentrés et non utiles aux autres sont condamnés aux yeux de l’opinion, et en particulier auprès de la génération Z. Dans le monde entier, la première génération universelle de l’humanité rend les fondamentaux structurants du monde d’hier comptables de l’état de la planète et des relations humaines, qu’il s’agisse d’environnement, de stress, de burn-out, de repli sur soi, allant jusqu’à remettre en cause la procréation (25% des jeunes adultes ne veulent pas d’enfant, selon une étude américaine de l’université du Michigan parue en 2021).

Dans La Révolution du Non, j’analysais le phénomène de «l’entreprise buissonnière» qui décrit ces jeunes, souvent diplômés avec de bons jobs, qui plaquent tout vers 28 ans pour changer de voie et se recentrer sur leur essentiel, en se disant «je ne veux pas vieillir comme cela, en regardant autour d’eux». En 2021, la France a battu le record de créations d’entreprises avec justement une majorité de jeunes auto-entrepreneurs. Il y a 10 ans, 80% des jeunes de 15-20 ans déclaraient à la question «que voulez-vous faire plus tard ?», «créer mon entreprise». Sommes-nous face à une génération d’entrepreneurs ? Il est trop tôt pour le dire ; une chose est sûre, ils ont une forte envie d’entreprendre leur vie.

Big bang du sens

Le big bang du sens pour être, qui alimente tant de colloques et qui, souvent, relève du politiquement correct, lance un défi inédit aux entreprises et au leadership en général. Nos structurants d’hier ne répondent pas aux attentes d’aujourd’hui. Que faisons-nous ? Les entreprises à mission se développent, les raisons d’être plus ou moins fumeuses également. Et pourtant, est-ce que le quotidien change ? Stress et burn-out n’ont jamais été aussi importants, preuve du décalage abyssale entre vécu et communication. La vraie évolution est de passer d’une logique collective à une prise en compte de chaque individu comme l’alpha et l’oméga de la relation sociale.

Comment revoir le dialogue social qui a fait notre fierté nationale ? Comment individualiser le management et les revenus ? Comment bâtir avec chacun un partenariat qui pourrait revoir la notion même de contrat de travail ? Ces questions font peur à celles et ceux qui militent pour le conformisme social à la française, et pourtant, elles sont légitimes lorsque de plus en plus de jeunes bien formés aspirent à sortir du cadre.

Problème de riches ou problèmes de société ? La vision du travail portée par la plupart des candidats à l’Elysée est passéiste ; aucune prospective, aucune prise en compte de ces aspirations générationnelles, au nom du chômage et des inégalités (notions légitimes) face à la capacité d’une jeunesse à se prendre en main sans vouloir entrer dans le moule. Ne pas vouloir perdre sa vie à la gagner va influencer durablement les comportements et les choix de vie sans pour autant rejeter l’argent qui n’est pas un sujet tabou.

Un accélérateur de tendances inédit

En ce sens, la pandémie a été un accélérateur de tendances inédit, entre télétravail et abandons de poste, en particulier dans des métiers à forte pénibilité comme la restauration. Chacun a été mis devant le miroir du temps, de son temps et de sa propre finitude. Cette notion si précieuse, on ne veut plus la gâcher dans des vies artificielles. Ce miroir du temps invite à l’intériorité de chacun pour en extraire non pas ce que la société a fait de vous, mais bien ce que vous devez être en votre âme et conscience. Que faire de ma vie ? Il ne s’agit pas de rejeter le travail, loin s’en faut. La plupart des jeunes qui ont choisi les chemins de traverse sont des supers bosseurs ; la plupart du temps, ils travaillent bien plus que 35 heures, portés qu’ils sont par leurs passions.

Pour l’entreprise classique avec des actionnaires et des cadres dirigeants, l’enjeu est d’être capable de faire preuve d’authenticité et de transparence. Les fonctions et les titres ne suffisent plus pour être légitimes. Cela passe par l’exemplarité culturelle des leaders qui doivent se mettre au service du collectif ; cela passe aussi par la reconnaissance du «bien-faire», cette notion qui renvoie à l’utilité de l’action ; cela passe également par l’actionnariat salarié pour développer le sentiment de l’entreprise «bien commun»…

Tout ce qui permettra de faire corps en renvoyant à des notions de solidarité, de partage, de rites culturels, d’intelligence collective renforcera la notion d’adhésion qui aujourd’hui s’effrite fortement. Diriger n’est plus dominer. Motiver n’est plus exiger. Encadrer n’est plus imposer. La réciprocité fait sens. Enrichir sa vie en la gagnant est le miroir de l’envie d’être des individus. Et pas que des jeunes.

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