Management

Avec la généralisation du télétravail et la digitalisation de l’activité économique, les outils numériques envahissent nos vies professionnelles et personnelles. Facteurs de flexibilité et de compétitivité, ils ne sont pas sans risques pour les salariés.

« L’utilisation du télétravail imposé pendant la pandémie aura un effet majeur sur les risques psychosociaux, même si on n’arrive encore à le quantifier, faute de recul », alerte Marie Buard, secrétaire générale adjointe de la F3C-CFDT, fédération des métiers de la communication. « On le voit déjà avec la difficulté qu’ont les entreprises à faire revenir des salariés au bureau », argumente-t-elle. « Il y a une hausse très nette de l’épuisement des salariés, liée incontestablement au télétravail forcé », confirme de son côté Astrid Le Fur, experte en prévention et accompagnement du burn-out.

« La généralisation des technologies numériques conduit à un énorme paradoxe », constate Jean-Claude Delgenes, fondateur et président du groupe Technologia, spécialisé dans la prévention des risques liés au travail et coauteur en 2021 de Idées reçues sur le burn-out : « Les salariés bénéficient à la fois de beaucoup plus d’autonomie mais sont soumis, en parallèle, à des injonctions permanentes. » Lesquelles brouillent les repères. « Auparavant, poursuit-il, la vie était articulée autour de trois temps sociaux bien distincts : le travail, la vie personnelle et la vie sociale. Aujourd’hui, avec les outils numériques, le travail tend à cannibaliser tous les autres temps de vie. » Un constat que partage Marie Buard : « Avant, la séparation des temps de vie était claire : quand vous quittiez l’agence, la journée de travail était finie. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. » C’est pourquoi la centrale syndicale estime que « le télétravail ne peut être mis en place dans l’entreprise sans se poser la question de la santé au travail », avance-t-elle.

Lire aussi : Le burn-out aussi fait sa rentrée

La généralisation du télétravail pendant la pandémie s’est faite dans l’urgence ; les salariés s’adaptant tant bien que mal à cette nouvelle organisation et aux nouveaux outils (Zoom, Teams, etc.). Toutefois, la maîtrise des technos est variable selon les générations, le niveau d’études, le métier ou le parcours professionnel. « Les plus de 50 ans ont plus de mal que les autres à bien maîtriser les outils numériques, et surtout leurs évolutions technologiques permanentes », souligne Jean-Claude Delgenes. « Beaucoup de salariés seniors se sont sentis disqualifiés pendant le télétravail imposé, ce qui a généré un stress supplémentaire. » D’autant, poursuit-il, que « l’isolement accélère cet écart : chez vous, vous devez gérer seul des problèmes techniques qui sont normalement du ressort de la DSI ». Parfois, il faut aussi savoir se faire entendre d'une infrastructure informatique débordée ou en sous-traitance, donc peu au fait des problématiques de l'entreprise.

Le télétravail permet de compenser la distance, il mais appauvrit aussi la relation entre les salariés. « L’entreprise est un lieu social où l’on développe du lien humain, indispensable pour l’équilibre personnel », souligne Astrid Le Fur. « Avec le télétravail, ce lien disparaît peu à peu », constate-t-elle. Or comme « le burn-out est une maladie du déni », poursuit-elle, « ce sont souvent les collègues qui alertent le salarié sur sa situation de stress chronique ».

Lire aussi : Le télétravail face au « biais de proximité »

La prise en charge des risques est un enjeu majeur, non seulement pour la santé des salariés concernés, mais aussi pour celle de leur entreprise, avance Marie Buard : « le burn-out, comme l’ensemble des risques psychosociaux, a un impact non négligeable sur la santé économique de l’entreprise ». Comment alors faire face aux risques liés à la digitalisation ? Astrid Le Fur propose quatre pistes afin d'éviter d'entrer en zone d'alerte : adapter les méthodes de travail aux situations individuelles (certains vivent très bien le télétravail, d’autres non) ; organiser des moments de rencontre physique au sein des équipes (« Plus de télétravail, cela veut dire aussi plus de réunions », plaide-t-elle) ; établir des règles de bons usages, communiquer et montrer l’exemple ; enfin, faire en sorte que les salariés en télétravail effectuent une véritable coupure avec leur environnement professionnel dans leur vie quotidienne : marcher dans des espaces verts, manger avec des amis plutôt que seul face à son écran, etc.

Malgré l’augmentation des risques liés aux outils, la situation semble évoluer en mieux, se félicite Marie Buard de la CFDT : « Il y a moins de déni qu’auparavant et une vraie prise en compte des risques psychosociaux et du burn-out par les managers. »

Le droit à la déconnexion passe par la négociation

Depuis le 1er janvier 2017, la loi prévoit un « droit à la déconnexion » des salariés. L’article L 2242-17 du Code du travail prévoit que dans les entreprises de plus de 50 salariés, la négociation annuelle obligatoire doit notamment porter sur « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. À défaut d'accord, l'employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique. » Cette charte doit prévoir pour les managers et salariés des « actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ».

Lire aussi : Burn out en agences : acte 2

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.