Tendances

Dans La Boussole des futurs. Société et communication à l’horizon 2030, sorti en juin aux Éditions du Palio, et qui synthétise une étude menée avec l’association de communicants Com-Ent, le chercheur et entrepreneur Olivier Beaunay s’est penché sur une quinzaine de tendances émergentes qui dessineront la société de demain. Interview axée écologie, RSE, déconsommation.

Comment la prospective peut-elle nourrir la communication ?

OLIVIER BEAUNAY. Nous organisons régulièrement des séminaires pour les communicants (directeurs communication de grands groupes, agences), où la participation est positive, parfois même enthousiaste. Mon hypothèse en tant qu’ancien dircom dans l’industrie [au sein du groupe minier et métallurgique Eramet] est que les directeurs communication manquent de temps : ils sont soumis à des pressions multiples, liées au temps, à leurs parties prenantes, à une obligation de visibilité de ce qu’ils produisent. En même temps, les sujets prospectifs sont une nourriture qui donne de la consistance à leurs réflexions et à leurs messages, et leur permettent de pouvoir jouer pleinement leur rôle stratégique. La communication est une fonction membrane. Elle est à la fois dedans et dehors. Elle a un côté sismique. Elle ressent ce qui bouge. Elle n’a pas forcément le temps de documenter ces sujets mais elle ressent ces mutations. Nous avons choisi d’étudier un horizon à dix ans, alors que l’on peut faire de la prospective à plus brève ou plus lointaine échéance. Dix ans, cela permet de faire entrer plus facilement les gens dans la prospective, de l’ancrer dans le réel.

À l’issue des recherches entreprises pour ce livre, comment se dessine la société de 2030 ? Quelles différences par rapport à aujourd’hui ? 

Je vois une amplification d’éléments émergents. Les lames de fond (l’automatisation, l’épanouissement, l’émancipation…) sont puissantes. Cela pourra peut-être s’articuler autour des nouveaux pouvoirs d’agir. C’est moins une désertion – malgré les scores de l’abstention aux dernières élections législatives – qu’une réinvention de la politique. Dans l’entrepreneuriat, le travail, la vie sociale… Les gens inventent de nouvelles pratiques. 

Pour des raisons de confort, nous allons être de plus en plus happés par la technologie. Plus elle sera disponible, plus on l’intègrera à nos vies quotidiennes. Le côté positif, c’est que cela laisse du temps de cerveau pour les relations sociales et la créativité. Le côté négatif, c’est que lorsque vous rajoutez une couche de métavers, de réalité augmentée ou virtuelle, vous doublez le temps déjà considérable consacré à la technologie. La réalité pourrait être le nouveau luxe. En même temps, je pense que l’on aime se faire peur... On peut envisager de façon raisonnable les défis qui se présentent sans sombrer dans le catastrophisme et en cultivant une perspective de progrès humain.

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Comment ces « nouveaux pouvoirs d’agir » s’appliquent-ils dans le champ de l’écologie ?

J’ai passé du temps à l’Institut des Futurs souhaitables, qui se veut une école du futur et combine la prospective et l’écologie. De ce type d’écosystème, on peut tirer deux enseignements. D’une part, cela met les gens en situation de faire des choix, d’aligner davantage leur travail et leurs valeurs. C’est vrai aussi bien sur le plan moral que pratique. D’autre part, cela redonne une grande ouverture intellectuelle, qui infuse ensuite dans les organisations.

Au regard des défis à venir, les pratiques RSE des entreprises sont-elles aujourd’hui à la hauteur ?

La RSE a été largement pratiquée comme un discours plus ou moins bien fait d’accommodation des entreprises à la réglementation, plus rarement comme un véritable engagement. La RSE a joué un rôle de transition. Alors que, dans ce qu’on appelle l’idéologie du vivant, ce n’est plus la relation séparée entre l’homme et la nature qui prévaut – un rapport spécifique aux sociétés occidentales comme l’a montré [l’anthropologue] Philippe Descola, du fait de la révolution scientifique – mais plutôt un regard holistique. Côté entreprise, le cas d’école dans ce domaine, c’est Patagonia, car la conviction est chevillée au corps de son fondateur, Yvon Chouinard, qui est aussi un alpiniste. L’entreprise agit à tous les niveaux : conception, approvisionnement, production, innovation, etc.

Selon une étude Bpifrance de 2018, il existe, formant quatre quarts à peu près égaux, les entreprises qui sont réfractaires à la RSE, celles qui y sont a priori favorables tout en étant moyennement engagées, celles qui sont engagées notamment pour fédérer les collaborateurs, et celles qui intègrent ce sujet comme un levier de compétitivité structurant. Il se passe quelque chose aujourd’hui, on passe un palier. J’observe que beaucoup d’entreprises prennent le temps de s’engager, de réfléchir avec des spécialistes, de se nourrir intellectuellement avec leurs équipes. Par exemple, un grand groupe immobilier avec lequel je discutais récemment m’expliquait qu’il expérimente en petits îlots les sujets qui lui semblent innovants sur la ville de demain. Une démarche associée chez lui à un start-up studio, la collaboration entre start-up et grands groupes étant d’ailleurs un excellent moyen d’expérimenter.

Je ne suis pas pessimiste sur le retard que l’on a pris sur ces sujets. L’évolution historique n’est pas linéaire, elle procède souvent par paliers et par accélérations quand les sujets atteignent un niveau de maturité suffisant, et je pense qu’on y est. Il peut y avoir des ruptures fortes et positives, voyez comment les gouvernements mettent peu à peu en place des « Green Deals » de plusieurs centaines de milliards pour rénover les infrastuctures. La prise de conscience est là, elle embraye avec la mise en œuvre.

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L’une des tendances que vous identifiez est la déconsommation. Aujourd’hui, on parle plutôt de consommation responsable. Comment faire le lien entre les deux ?

Il y a une gradation, comme l’a montré Cécile Désaunay dans La société de déconsommation, étude de référence sur cette tendance. Niveau 1 : on cherche à mieux s’informer sur ce que l’on consomme. Voyez, sur les produits alimentaires, le succès de Yuka. Niveau 2 : le marché de l’occasion prend de l’ampleur. Ce marché, qui pèse 7 milliards d’euros, affiche une croissance deux fois plus importante que la consommation des ménages. Niveau 3 : des politiques de réduction des déchets se mettent en place. Il y a quelques années, c’était encore anecdotique, maintenant, c’est passé dans les mœurs. Niveau 4 : on se lance dans la fabrication, le Do It Yourself (DIY). Une étude de l’ObSoCo montrait que cela concernait 80% des Français, dans tous les domaines : cosmétique, jardinage, bricolage, cuisine… L’étape ultime, c’est le basculement dans la sobriété voire le minimalisme, dont Rob Greenfield, aux États-Unis, est une figure emblématique. Il vit dans un bungalow durable, produit sa nourriture, recycle l’intégralité de ses déchets, etc. Ce mode de vie reste très minoritaire mais commence à influencer nos imaginaires saturés d’objets.

En termes de pratiques, on peut établir une typologie : les « contraints », ceux qui consomment moins faute de moyens, les « frivoles », pour lesquels le sujet existe mais n’est pas prioritaire, les « exigeants » agissant aux trois premiers niveaux cités et pratiquant aussi le DIY, et enfin les « sobres », encore minoritaires mais gagnant en influence.

La publicité est vue comme encourageant la consommation. Pour dessiner une société où la déconsommation sera reine, comment envisager autrement la publicité ?

Je propose deux pistes. La première consiste à la suite de [l’économiste] Tim Jackson à penser davantage la prospérité que la croissance. Il s’agit de se poser, au niveau micro, les questions que l’on se pose pour le PIB en termes de développement humain. À savoir, comment vivre agréablement sans cumuler des tonnes d’objets. Cela se joue sur le terrain de l’éducation ou des loisirs. La seconde est de se dire que ce n’est pas forcément incompatible. Le luxe vit assez bien avec ça. Les gens peuvent consommer du low tech sur les commodités mais aussi acquérir un sac, une montre, une valise, qui ont certes un côté statutaire mais se conservent longtemps et peuvent se transmettre.

Je souligne aussi avec [le sociologue] François Dubet l’intérêt de l’expérience. Elle permet de ne pas sombrer dans l’accumulation matérielle. La population vieillit. 20% des gens ont plus de 65 ans. Plus que de consommer frénétiquement, ceux-ci préfèrent acheter des produits ou des expériences riches en valeur humaine. Il n’y a donc pas un rejet global de la consommation mais un alignement avec des valeurs, une durabilité, une expérience est possible.

Au-delà, je crois qu’une tendance peut se développer : l’écomodernisme, qui constitue une voie possible pour combiner économie et écologie. On peut dans cette optique imaginer une croissance infinie à deux conditions : intensifier les processus (l’occupation urbaine, la production agricole) pour préserver la biodiversité, et pratiquer l’économie circulaire à très grande échelle. 60% de la consommation matérielle est liée à des matériaux de construction et à l’urbanisme : là, les solutions sont connues. Les innovations technologiques permettent de trouver des solutions de recyclage dans 30% des cas. Les 10% restants sont voués à l’incinération ou à l’enfouissement (les déchets nucléaires, par exemple). Dans la mesure où il me paraît impossible d’emmener tout le monde dans une sobriété radicale, qui équivaudrait à un retour au niveau de vie d’un ménage français des années 1930, l’écomodernisme propose une nouvelle approche qui mérite d’être étudiée.

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