La communication événementielle séduit toujours autant les marques soucieuses de fédérer leurs salariés ou d’offrir des expériences uniques à leurs clients. Reste que les agences du secteur doivent se réinventer.

En communication événementielle comme ailleurs, les trois premiers trimestres de 2014 n’ont guère été enthousiasmants. Bertrand Biard, président de l’Association des agences de communication événementielle (Anaé) et Stéphane Lecca, son homologue de l’AACC Événement, ne s’en cachent pas : entre des budgets toujours en baisse, des compétitions non rémunérées qui se multiplient et des relations de plus en plus tendues avec les annonceurs, les temps sont durs pour les agences. Pourtant, le secteur a encore quelques bonnes raisons d’être optimiste. « Les investissements des entreprises en communication sont en baisse, mais nous n’avons pas encore sacrifié d’événement majeur sur l’autel de l’économie, résume Ronan Dubois, directeur général de M6 Mobile. Et les budgets sur ce créneau, même s’ils restent figés, ne sont pas revus à la baisse. »


D’une manière générale, les annonceurs ont bien procédé à des coupes budgétaires, mais elles ont été un peu moins rudes dans les métiers de l’événement. Les entreprises ont eu l’occasion de tester et de subir en 2009 et 2010 les effets dévastateurs d’une communication corporate et business to business dépourvue de rencontres. À cette époque, nombreuses ont oublié que l’événement, s’il permet de remercier ou de célébrer l’entreprise et ses collaborateurs quand tout va bien, est aussi le meilleur moyen de mobiliser et motiver les troupes quand tout va mal. Ou encore d’annoncer et d’expliquer en interne une information importante avant que les salariés ne l’apprennent par les médias. En communication grand public, les annonceurs ont également intégré l’idée que l’événement ne se limite pas au seul rassemblement de personnes en un lieu et à une heure donnés. Bien qu’hors norme le saut stratosphérique de Red Bull, dont les 50 millions de dollars investis ont généré 1 milliard de dollars de couverture média gratuite, a marqué les esprits. Sans aller jusque-là, divers exemples ont émaillé le paysage médiatique ces derniers mois : des mises en scène d’Ikea laissant des cuisines à disposition du public en plein Paris à la destruction par Adidas, quelques jours avant les débuts de la Coupe du monde de football 2014, d’une réplique du bus de la honte duquel les Bleus avaient refusé de descendre en Afrique du Sud en 2010.


Aller au-devant du public

Les retombées médias générées par ces opérations ont donné toutes ses lettres de noblesse à une notion chère aux professionnels de l’événement, celle de « earned media », le média gagné, par opposition au « paid media », le média payé… cher, tout court ! « Ces derniers temps, on a rarement vu autant de pop-up stores, de boutiques éphémères et de tournées s’organiser, remarque, de son côté, Lionel Malard, consultant spécialisé dans l’accompagnement stratégique des acteurs de l’événement. Les annonceurs se rendent compte qu’il faut aller au-devant de leurs publics et leur faire vivre une expérience extraordinaire, mémorable, qu’ils ne pourraient vivre sans la contribution de la marque. »
Autre bonne nouvelle, la convergence générale qui marque l’univers de la communication a rendu les frontières de plus en plus floues et poreuses entre métiers et expertises : « Aujourd’hui, ce n’est pas sur leur marché historique que la plupart des agences de communication événementielle réussissent à maintenir ou à développer leur chiffre d’affaires, mais plutôt sur ceux d’à-côté », confirme Nicolas Dudkowski, directeur associé de Double 2.

 

Et ça marche. « L’expérience montre que nous sommes perçus comme une alternative pertinente aux autres canaux de la communication », poursuit-il. L’aspect couteau suisse de l’agence d’événement, à cheval sur le conseil, la création, la production, le voyage, séduit les annonceurs qui voient en elle un partenaire capable d’établir une relation de proximité avec tous types de publics, qu’il soit interne ou externe, institutionnel ou commercial. Ils apprécient également la capacité de l’événement à orchestrer des rencontres physiques pour faire vivre des émotions : on sait désormais qu’elles favorisent la mémorisation des messages. « En communication les annonceurs réfléchissent de plus en plus stratégie et de moins en moins format, ajoute Lionel Malard. Ce qui oblige les agences du secteur à s’ouvrir. Or elles ne sont par définition pas attachées à un format. C’est une vraie force. » Ces atouts de l’événementiel n’ont pas échappé aux autres acteurs de la communication, agences médias, spécialistes du digital, de la publicité ou des relations publics. Pour ne pas voir leurs budgets et les marges partir à la concurrence, ils ont, de fait, bien assimilé l’argumentaire de l’événementiel et intégré quelques compétences. Une agence comme Thomas Marko & Associés ou Zmirov Communication ne sont plus les agences de relations presse qu’elles étaient à l’origine. Elles organisent régulièrement des événements pour leurs clients 1664 ou Desperados. Tout comme Publicis Dialog ou Marcel ne limitent plus leurs prestations à la mise en place de campagnes digitales ou de marketing relationnel.

Toute communication, du mailing au spot publicitaire, est d’ailleurs présentée désormais comme événementielle.
Fait paradoxal, les agences du secteur ne se semblent pas, à ce jour, les mieux placées pour profiter de ce contexte porteur. « Le métier est infiniment plus conventionnel qu’on ne le croit, observe Thierry Reboul, patron d’Ubi Bene. La mutation du secteur se fera davantage par l’arrivée des nouvelles générations que par la capacité des agences historiques à se remettre en question. » Une nouvelle génération incarnée par des agences comme Passage Piéton, Ledouze ou encore Monsieur Loyal, auxquelles il faut néanmoins ajouter de plus anciennes, parmi lesquelles Ubi Bene, Magic Garden, Le Public Système et Auditoire. Mais attention aux amalgames. « Il faut bien établir la différence entre une agence d’événement et une agence qui veut créer l’événement, observe Matthieu Reinartz, cofondateur de l’agence Ledouze. Créer l’événement résulte plus d’une posture que de l’organisation d’une rencontre physique pour tel ou tel public. » Red Bull a en effet été un événement planétaire alors que peu de gens ont directement assisté au saut de Felix Baumgartner ailleurs que devant un écran…


Intégrer de nouvelles expertises

Pour coller à leur époque, les agences d’événement sont donc condamnées à évoluer. Leur mutation passe par l’intégration de nouvelles expertises, comme le planning stratégique et le digital. Le premier parce qu’il est indispensable pour qui souhaite se positionner sur le conseil, la stratégie et la mise en œuvre créative. Le second parce qu’il est devenu indissociable de l’événement et des besoins des annonceurs. Pendant des années les marques se sont en effet attachées à construire et à fédérer des communautés qu’il leur faut maintenant animer. Enfin, pour devenir une opératiosn rentable, l’événement doit offrir à l’annonceur une résonance que seul le digital est en mesure de lui fournir. Les appellations n’ont plus vraiment de sens aujourd’hui, estime Bertrand Biard, directeur associé de Manifestory. Nous sommes tous des agences de communication globale influencées par une histoire, une culture qui peut être digitale pour les uns, publicitaire pour d’autres… » Avec néanmoins une différence notoire. Les agences d’événement sont les seules à pouvoir créer et produire leur propre média, lequel n’est plus seulement un point d’orgue, une finalité. Il représente aussi un contenu pouvant alimenter tout un dispositif de communication. Reste maintenant à en convaincre les annonceurs.

 

ENTRETIEN

Carole Feleppa, responsable de la communication externe Ikea France.
« Nous voulons surprendre nos consommateurs »


Quelle place occupe l’événement dans votre stratégie de communication ?

Carole Feleppa. Il fait partie de la philosophie de la marque qui veut toujours surprendre ses consommateurs en leur proposant une expérience positive et différenciante. Nous souhaitons engager nos cibles vers une relation d’un autre type où elles s’impliquent et participent.


Toutes vos agences sont-elles mises à contribution ?

C.F. Plusieurs mois avant de lancer une nouvelle campagne, nous les réunissons autour de la table pour les briefer et réfléchir. Chacune répond en son nom mais nous les encourageons à travailler ensemble. Nous restons ouverts à toutes les propositions, que l’idée événementielle soit proposée par l’agence de publicité (Hémisphère Droit), de média (KR Média) ou d’événementiel (Ubi Bene). Ou l’inverse. Pour l’instant, chacune reste à sa place et travaille en bonne intelligence.


Remettez-vous souvent vos agences en compétition ?

C.F. Nous n’avons pas de règle établie. L’événement est un média particulier dans la mesure où la marque n’en maîtrise jamais complètement la mise en œuvre. C’est pourquoi nous devons travailler en confiance dans la durée. Nous travaillons depuis dix ans avec Ubi Bene. Nous la challengeons de temps en temps pour stimuler sa créativité mais il n’y a aucun sens à la remettre en compétition systématiquement ou même tous les ans ! On ne peut rien bâtir de consistant dans ces conditions.

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