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Les marques doivent composer avec une complexification de l’écosystème marketing: éclatement dans le temps et l’espace des opportunités de contact entre la marque et ses publics, intégration des expertises, démultiplication des pôles d’influence… Les outils de pilotage doivent évoluer. Muriel Jaouën @Murielja

Près de 1,2 million de marques en vigueur, 65 000 dépôts effectués chaque année: le paysage commercial français est foisonnant. Moteurs de compétitivité, porte-drapeaux des entreprises, les marques cristallisent autant d’enjeux économiques que d’évolutions sociétales. Elles subissent également un mouvement de ciseau impulsé par la mondialisation: les marques occidentales se font plus timides dans  la conquête des nouveaux marchés, cédant le pas aux asiatiques, qui s'imposent partout comme marques globales.

Mais, surtout, les marques doivent composer avec l’extrême complexification de l’écosystème marketing: éclatement dans le temps et l’espace des opportunités de contact entre la marque et ses publics, intégration des expertises, démultiplication des pôles d’influence… Dans un tel contexte, le pilotage des marques a sensiblement évolué. Certes, qu’il s’agisse d’évaluer le ROI (retour sur investissement) ou la qualité des interactions clients, les items classiques de mesure de performance restent valides et même indispensables. Mais la révolution digitale a introduit dans la science marketing des dimensions inédites, comme la “conversation” ou l’ “expérience”.

Face à ces nouveaux ressorts, les annonceurs se trouvent souvent démunis, faute d’outils adaptés pour suivre, comprendre et mesurer: 42% d’entre eux considèrent ainsi qu’ils ne disposent pas d’indicateurs pertinents. C’est l’enseignement d’une étude TNS Sofres pour Le Club des annonceurs publiée en 2013. Les indicateurs se multipliant et se transformant, il est devenu difficile d’avoir une vision synthétique qui permette un pilotage opérationnel.

Parcours de consommation plus imprévisibles 

La première édition de l'Observatoire des KPI publiée en octobre 2014 par l'agence Dufresne Corrigan Scarlett, avec le soutien de l'Union des annonceurs et de l'Adetem, montre en effet que, dans les faits, KPI (Key Performance Indicators, soit indicateurs de performance) et ROI ne sont pas des notions si familières que cela pour les entreprises françaises. Alors que 56% des responsables marketing et communication estiment que leur entreprise est peu avancée dans la mesure de la performance, ils ne sont que 4% à se satisfaire d’approches innovantes en la matière, et 13% des annonceurs disent ne procéder à aucune analyse de la performance ou de ROI avec leurs prestataires.

Les raisons invoquées pour expliquer cette faible maîtrise des indicateurs ne relèvent pas principalement de facteurs d’obstacles techniques. Les freins culturels sont cités par 80% des responsables interrogés, devant le manque de temps et de formation des équipes (70%), les aspects financiers (45%) et enfin seulement le manque d’expertise dans l’identification et le monitoring (20%). Les annonceurs sont en demande d’indicateurs plus précis, d’une collaboration plus étroite avec les agences et prestataires, d’une meilleure cohérence entre les dimensions opérationnelles et stratégiques.

Mondialisation et révolution digitale ont rendu les parcours de consommation beaucoup plus imprévisibles. Dès lors, les schémas et méthodologies d’anticipation en vigueur dans les départements marketing doivent aussi être questionnés. Une étude menée récemment par Limelight pour No-Logic Consulting a montré que pour les quatre cinquièmes des entreprises, il s’agit en effet d’expérimenter de nouveaux leviers de compréhension, les modèles de prévisions habituels étant jugés de moins en moins pertinents par 71% d’entre elles.

Faute de pouvoir prévoir, les professionnels du marketing devront peut-être se tourner vers des modèles d’anticipation plus “macro”, inspirés de la prospective. Les prospectivistes distinguent ainsi trois attitudes pour éclairer l'action. La réactivité, qui est une expression de la flexibilité, la préactivité, qui permet de s'adapter aux changements prévisibles (le vieillissement d’une population, par exemple), la proactivité, plus proche de l’innovation et qui vise à provoquer des changements souhaités.

Trois familles d'indicateurs privilégiées

Enfin, le pilotage des marques doit aussi intégrer l’éclatement des frontières traditionnelles de la fonction marketing au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, la marque a démultiplié ses centres de gravité dans toutes les dimensions opérationnelles et fonctionnelles des organisations. Dès lors, les outils utilisés pour son pilotage doivent trouver écho auprès des différentes sphères de décision et d’action. Auprès de la direction générale, le patron du marketing doit parler de sens et de vision. Auprès de celle des ressources humaines, de renouvellement de l’engagement des collaborateurs autour d’un sens et de valeurs partagés. Auprès de la direction administrative et financière, d’un capital immatériel à entretenir. Auprès de la direction commerciale, de levier de compétitivité. Auprès de la recherche et développement, de support d’innovation.

Bref, le pilotage des marques est devenu multidimensionnel, multispécialiste, multifonctionnel. Selon Le Club des annonceurs, les professionnels du marketing et de la communication privilégient aujourd’hui trois familles d’indicateurs: l’empreinte, le ROI et l’interaction. Mais, pour 63% d’entre eux, ces KPI sont voués à se transformer de manière radicale dans les prochaines années.
 

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