Marché
Les agences sont de plus en plus nombreuses à proposer des formations digitales, se retrouvant de ce fait en concurrence avec les acteurs de ce marché. Enquête.

«Le chiffre d’affaires de l’Institut Fabernovel s’élève à 800 000 euros en 2014, soit 30% de l’activité de Fabernovel Paris, dit Antonin Torikian, 33 ans, directeur de l’institut. L’objectif est de le doubler en 2015.» Pour ceux qui auraient encore des doutes sur le business que peut représenter la formation au digital, la démonstration est faite. Même si l’Institut Fabernovel est né officiellement en septembre 2014, en réalité, Fabernovel fait de la formation digitale depuis 2012. Aujourd’hui, il compte huit salariés et travaille pour la SNCF, LVMH ou encore Kering. Plus question de parler de diversification opportuniste: cela devient l'un des métiers de l’agence. Comme Fabernovel, DDB s’est lancée dans ce créneau de la formation avec sa Digital University, en 2010. Havas Paris a fait de même. Pourquoi les agences occupent-elles ce créneau? Comment les organismes de formation, habituels prestataires de ce marché, organisent-ils la riposte?

«Dans le segment de la formation au digital, il y a un boulevard pour les agences et de la place pour tout le monde: cabinets-conseils, organismes de formation, agences de publicité…», dit Antonin Torikian. Il faut dire que les besoins sont gigantesques: du haut en bas de l’organigramme, et dans tous les secteurs d’activité, il faut réussir à surfer cette vague digitale, sinon, c’est la noyade assurée. Au final, cela passe par des programmes de formation massifs. Ainsi, en 2012, Fabernovel a formé pendant 18 mois 140 cadres et dirigeants de la SNCF.

«Nous sommes confrontés à une concurrence tous azimuts, confirme Servane Duigou, manager pour l’activité Formations Stratégies chez Comundi. Toutes les agences, ou presque, montent une offre de formation. Il y a aussi les associations professionnelles, qui organisent des conférences, les acteurs traditionnels, comme les écoles et universités, ou encore des consultants indépendants, qui créent une petite structure de formation. Mais pour les formations en intra, les agences nous font beaucoup de mal.»

Des attentes hétérogènes

Même si les attentes des clients sont assez hétérogènes, leurs exigences ont tendance à s’accroître à mesure qu’ils montent en compétences. Du coup, les sessions de découverte ou d’initiation au digital cèdent la place à des formations plus pointues. La Digital University de DDB, qui ne communique pas sur son chiffre d’affaires, est ainsi en train de déployer un programme de formation au digital de grande ampleur (37 pays) pour McDonald’s. Havas Paris, de son côté, a créé depuis deux mois une activité de formation, comme l’explique son directeur du digital, Paul Boulangé: «Nous avons bâti deux formations certifiantes sur des sujets pointus, l’une sur le mobile et l’autre sur la maîtrise des «metrics» du digital. Pas question de créer une université spécifique, l’idée est d’apporter une compétence plus qu’une connaissance sur des sujets clés afin d’accompagner et guider nos clients, comme Veolia et EDF. On ne l’envisage pas comme un cheval de Troie commercial.»

Chez Uzful, petite agence digitale de treize personnes fondée en 2012 et installée à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la formation aussi fait partie des activités en croissance: «Nous avons créé un programme de formation pour le groupe Ouest France autour de sa stratégie «social media», cela a concerné une vingtaine de personnes, détaille Gilles Reeb, cofondateur. Aujourd’hui, être un organisme de formation, c’est un axe de développement stratégique pour l’agence.»

Mais toutes les agences ne sont pas armées pour développer des formations au digital, parce qu’elles ont parfois un train de retard sur le sujet: «J’ai mis en place des formations pour un grand groupe de communication –plusieurs centaines de salariés–, spécialisé dans l’achat d’espace, dont les consultants n’arrivaient pas à répondre aux questions techniques de leurs clients sur le digital, sourit Franck Perrier, fondateur et directeur général de la Digital Academy. Le paradoxe, c’est que je forme des concurrents potentiels à mon activité de formation.»

Toujours plus de nouveaux formats

Et puis il y a les «pure players» de la formation au digital, comme le Hub Institute: douze salariés, 1,6 million d’euros de chiffre d’affaires en 2014 et un objectif de 2 millions en 2015. «Notre activité requiert un travail de veille et d’ingénierie pédagogique très important afin de concevoir et de remettre à jour en permanence nos formations sur le digital, note Emmanuel Vivier, cofondateur du Hub Institute. J’ai trois ou quatre rendez-vous par jour, juste pour me tenir au courant des innovations – RTB, référencement, mobile, etc. – et je multiplie les connexions avec les Gafa. Avec le Hub Institute, nous avons formé au digital des équipes de L’Oréal, Bodyshop, tout le marketing France d’Orange…»

Du côté des acteurs traditionnels, la riposte s’organise. Ainsi, Abilways (qui comprend notamment le CFPJ, l’Institut supérieur du marketing, l'EFE, structure de formation du secteur public…, et réalise près de 50 millions d’euros de chiffres d’affaires) vient de créer une offre dans le digital. «La formation, c’est quand même un métier. Il ne suffit pas d’être expert et de publier une offre sur internet pour que cela démarre. Il y a des process spécifiques dans cette activité, indique Marie Ducastel, présidente du directoire d'Abilways. Avec Abilways Digital, l’objectif est de parler d’une seule voix concernant la transformation digitale. Après, il faut faire en sorte que le changement s’opère réellement: changer la culture de l’entreprise, et cela concerne tous les métiers, par exemple, un directeur juridique a vu sa matière renouvelée à 30% par le digital.»

Chez Formations Stratégies, l’activité est en hausse de 8% en 2014, principalement grâce au développement des formations interentreprises, même si Servane Duigou revendique des nouveaux clients grands groupes en intra. D’ailleurs, le créneau des formations interentreprises, plus complexes à gérer en termes de logistique, aucune agence ne s'y est encore lancée. Mais la guerre se joue aussi dans les nouveaux formats. «Nous avons lancé notre MOOC [Massive Open Online Course, soit formation en ligne ouverte à tous], baptisé Mooc & Feel, avec Coorp Academy, et il y aura d’autres alliances avec des partenaires en «e-learning». Nous avons également créé un «serious game» sur la créativité avec Emulsion créative, qui se déroule in situ», détaille Servane Duigou.

Ces nouveaux formats continuent à se multiplier, même s’il peut y avoir là aussi de l’emballage marketing. «Il y a les Innovations Lunchs, des conférences de deux heures le midi, les Learning Expeditions, des voyages, par exemple dans la Silicon Valley. Egalement les Retail Safaris, des visites de points de ventes, les Digital Days, des conférences internes pour galvaniser les troupes», conclut Emmanuel Vivier, du Hub Institute.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.