Débat
Dans le secteur de la beauté, les ambassadrices sont partout ou presque. Au risque de lasser ?

OUI. Les égéries ne sont pas has-been, elles sont plus que jamais d’actualité! Un monde aussi narcissique que le nôtre ne peut pas vivre sans. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui aspirent à devenir «role model», sinon, pourquoi les gens passeraient leur temps à faire des selfies? Des personnalités comme Alexa Chung [égérie Longchamp et Maje], Jeanne Damas [Jacquemus, La Redoute] et Caroline de Maigret [Lancôme] n’existeraient pas sans les réseaux sociaux. Et sur You Tube, les chaînes qui ont le plus d’audience sont celles sur la beauté. La «beautista» Lisa Eldridge, avec 5,5 millions d'abonnés sur You Tube, est devenue directrice de création maquillage pour Lancôme, tandis qu’Emily Weiss, qui s’est fait connaître par son blog Into The Gloss, a fondé sa marque de cosmétiques, Glossier. Il ne s’agit plus uniquement de choisir des stars du cinéma ou des top models. Les égéries se redéfinissent: Kim Kardashian, qui s’est construite sur du rien, devient l’image de Balenciaga… Il existe désormais un marché permanent qui s’autoproduit. Le propre du digital, c’est d’avoir besoin de porte-étendards. Une blogueuse comme Garance Doré pour la mode, avec ses millions de followers, crée des ruptures de stock chez Eric Bompard lorsqu’elle écrit que l’on y trouve ses pulls en cachemire préférés… Ces égéries ne peuvent pas être ringardes puisqu’on en change souvent. Caroll a fait changer la perception de sa marque en s’offrant Sienna Miller. Les séries TV, elles aussi, deviennent de grandes pourvoyeuses: Kerry Washington, héroïne de la série Scandal, a été signée par L’Oréal à la minute…

Natacha Dzikowski, directrice exécutive de TBWA Paris et cofondatrice de Luxury Arts

 

 

OUI MAIS. Une égérie se présente comme une synthèse des valeurs d’une marque. La congruence doit être forte, elle ne doit pas camoufler une faiblesse de la marque. On ne peut en rester à un simple transfert d’affect: j’aime l’égérie, elle aime la marque donc j’aime la marque qu’elle représente. En cas de désaffection brutale vis-à-vis d’une personnalité, on prend le risque que les consommateurs se détournent. Il s’agit d’éviter les épiphénomènes. On peut comparer, par exemple, Madonna à Lady Gaga. La première appartient à l’ère du CD, support physique qui nécessitait que l’on organise son référencement, dans des cycles qui représentaient plusieurs années. Lady Gaga, elle, vend ses titres sur support numérique, un processus qui se construit et se déconstruit en quelques semaines. Si on veut nourrir sa marque en profondeur, il faut construire sur un temps long et choisir des égéries solides qui, du coup, ne sont pas très nombreuses dans ce marché très disputé. Il s’agit également d’éviter les coups, comme l’association de Brigitte Bardot à Lancel, qui n’a duré que quelques saisons. Dans le secteur de l’hygiène-beauté, les collaborations s’inscrivent dans des stratégies plus pérennes: comme celle de Mixa bébé avec Estelle Lefébure, qui dure depuis 1998, et pour laquelle l’ambassadrice s’implique dans les développements de la marque. Un cas à part est celui de La Petite Robe noire, de Guerlain, qui se passe d’incarnation avec son dessin stylisé. Mais, in fine, le visuel ne renvoie-t-il pas à une autre forme d’égérie: la Parisienne?

Philippe Jourdan, PDG de Promise Consulting et professeur à l'Upec

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.