Agences
AGENCES Confrontées à des contraintes réglementaires de plus en plus strictes et à des investissements financiers moindres, les agences-conseils en communication santé doivent faire évoluer leur métier.

Si les visites médicales et la publicité promotionnelle (annonces dans la presse professionnelle, brochures, etc.) étaient jusque dans les années 2000 les principaux vecteurs de communication des laboratoires pharmaceutiques auprès des prescripteurs de santé, la donne a changé ces dernières années. «Le contenu [les informations à transmettre à la cible] reste prioritaire, mais les laboratoires nous demandent de plus en plus des réflexions cross-canal», résume Carole Wassermann, directrice générale de l'agence Publicis Life Brands.

Face à des praticiens toujours plus connectés, laboratoires et agences se recentrent sur le digital: «90% des médecins font des recherches liées à leur pratique sur internet. Il y a deux ans, seuls 50% des médecins étaient digitaux. Aujourd’hui, ils sont pratiquement tous multicanaux», note Carole Wassermann.

Outre le digital, les laboratoires ont également compris l’intérêt de la «medical education» (formation médicale continue). Ce canal, utilisé notamment avant la sortie d’un médicament pour le faire connaître auprès des influenceurs du secteur, «peut représenter jusqu’à 70% des investissements promotionnels lors d’un lancement de produit. C’était inconcevable il y a dix ans», explique Pascal Douek, président de DDB Health Paris.

Une évolution largement accélérée par la loi «relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé» (dite loi Bertrand, adoptée fin 2011), qui a entraîné un durcissement des contraintes règlementaires. Avant, les publicités produits étaient validées après diffusion; elles doivent désormais l'être a priori par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). «Si on n’obtient pas l’accord, il faut tout refaire. La communication produit, que ce soit pour des médicaments éthiques ou OTC [Over The Counter, soit médicament en vente libre, sans prescription ni remboursement], est tellement limitée qu’on en fait de moins en moins», reconnaît Pascal Douek. Alain Sivan, président de TBWA Adelphi, résume: «Il y a une dizaine d’années, une agence réalisait environ 90% de promotion publicitaire, contre 40% environ aujourd’hui.»

Sensibilisation du grand public

Mais le durcissement de la règlementation n’est pas le seul responsable de cette diminution de la communication promotionnelle. Le secteur pharmaceutique, florissant jusqu’au milieu des années 2000, a subi plusieurs revers depuis (brevets entrant dans le domaine public, donc accessibles aux génériques, essoufflement du modèle économique des «blockbusters», affaires,…). Conséquence: «Depuis 2007, les laboratoires recourent régulièrement à des plans sociaux. Des mutations qui entraînent souvent la baisse de leurs investissements publicitaires, détaille Pascal Douek. Alors qu’avant, les marques majeures des laboratoires étaient soutenues régulièrement, les clients n’investissent aujourd’hui de manière importante qu’au moment du lancement de produit.»

Les agences en communication santé, forcément dépendantes de l’industrie pharmaceutique, en ont donc souffert. Pour autant, le bilan n’est pas si négatif, si l’on en croit les derniers chiffres de la délégation santé de l’Association des agences-conseils en communication (AACC). L’indice d’évolution des marges brutes (à périmètre constant) des agences de communication santé membres de l’AACC était à 121 en 2013, contre 98 en 2010.

Ce que confirme Frédéric Maillard, président de l’agence F Mad: «En 2014, les investissements ont repris. En 2015, on voudrait que ça se consolide. Logiquement, les budgets pour les campagnes d’environnement [campagnes de sensibilisation sur des pathologies] devraient prendre de plus en plus d’importance.»

Car au-delà des prescripteurs de santé, les laboratoires prennent également de plus en plus en compte les patients dans leur communication. Il est certes toujours interdit, en France, de communiquer sur un médicament prescrit, mais les labos peuvent communiquer sur les produits OTC et jouer sur l’éducation médicale des patients, à travers des serious games ou des campagnes de sensibilisation, permettant notamment «de lutter contre les idées reçues, précise Frédéric Maillard. Alors que ce mode de communication était complètement ignoré auparavant, l’industrie y recourt régulièrement depuis un ou deux ans.» Son agence F Mad a ainsi conçu les sites FAattention.com (pour les laboratoires Bayer Health Care), pour informer sur la fibrillation atriale (troubles du rythme cardiaque multipliant les risques d'AVC) via des vidéos Vine, ou Jenemecacheplus.com avec les laboratoires Janssen, pour sensibiliser les patients à l’existence de solutions pour lutter contre le psoriasis.

Autre exemple: l’agence Arsenal CDM Paris, présidée par Eric Romoli (également président de l’AACC Santé), a élaboré avec les laboratoires Bayer Health Care l’application Diabète gourmand, qui permet de calculer les glucides et valeurs nutritionnelle des repas, délivre des conseils pour adopter une alimentation variée et des recettes validées par une diététicienne, à destination des personnes diabétiques.

Cette démarche nouvelle s'inscrit aussi dans une volonté des laboratoires de regagner de la confiance auprès du grand public, après les divers scandales ayant ébranlé le secteur. Ce qui, pour Eric Phélippeau, cofondateur et président de By Agency Group, passe par cinq axes: «Un positionnement “client et patient au centre”, seul porteur de développement de la marque; une admininistration de la preuve pour montrer le caractère irréprochable des produits et services; la défense des valeurs du secteur, à savoir l'innovation, le respect de l’environnement, l'éthique, l'engagement et la transparence; un discours qui, avec le digital, ne doit plus se limiter aux seuls médecins, mais à l’ensemble de la population; enfin, le recours à de véritables professionnels de la communication santé dans la construction de cette réputation.»

«Du produit à vendre au service à rendre»

Le digital, qui a changé la relation entre le médecin et le laboratoire, change donc aussi la relation entre le médecin et son patient. C’est devenu «un outil clé dans les communications mises en place en direction du patient, notamment pour l’aider à comprendre et à suivre la stratégie thérapeutique décidée par son médecin», développe Carole Wassermann, de Publicis Life Brands.

«Les nouveaux outils et médias numériques changent totalement les parcours de soin et les exigences des patients, et cela quelle que soit la pathologie dont ils souffrent», confirme Laurence Leguay, fondatrice et présidente de l’agence en santé et nutrition Par ailleurs, qui s'est associée en 2013 à l’agence digitale grand public Extrême Sensio pour développer une nouvelle offre, baptisée Digicare: «Il sʼagit de migrer dʼune logique de produits à vendre à une logique de services à rendre.» L’agence digitale Les Argonautes a également renforcé son expertise santé en 2014 en créant le pôle Argolife, une entité pour accompagner les entreprises du médicament dans leurs stratégies digitales. 

Les agences santé qui, jusque-là, ne communiquaient qu’auprès des acteurs du secteur et laissaient les agences grand public s’adresser aux patients, ont donc investi ce marché. «Chez Publicis Life Brands, nous avons mis en place une structure qui sait s’adresser à un public non médical et évite le jargon du secteur», assure Carole Wassermann, qui a vu les opérations destinées aux patients passer de 5% à 10% de l'activité de son agence. Les frontières s'estompant, de nouvelles opportunités se présentent. 

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.