Etudes
Secteur en mutation accélérée du fait de l'accroissement des données et de l'irruption d'acteurs toujours plus nombreux et variés, les instituts transforment leurs structures internes et leurs interventions auprès des annonceurs pour mieux les accompagner dans la connaissance client.

S’il y a bien un constat sur lequel se rejoignent tous les professionnels des études, c’est que le marché est en profonde mutation et que celle-ci s'est fortement accélérée ces derniers mois. Concurrencée pour la collecte de données ou la recherche d’insights par des acteurs de plus en plus variés – des SSII aux agences de communication en passant par des géants comme Google –, la profession «a encore du chemin à faire pour mieux exprimer le potentiel qu’elle a dans le business des entreprises. Car le véritable enjeu de notre métier, c’est la création d’impact», résume Laurent Guillaume, directeur général de TNS Sofres.

 

Un nouvel écosystème de la connaissance client est né du déferlement incessant de données, mais s'il y a actuellement une forte recomposition de la chaîne de valeur, le métier a tout intérêt à se recentrer sur ce qui fait sa valeur ajoutée: «faire parler» la donnée pour lui donner son rôle stratégique et opérationnel. En un mot, rendre la donnée intelligente et intelligible. «Jusqu’à maintenant, on faisait des études pour comprendre. Aujourd’hui, on fait des études pour comprendre, inspirer et agir», lance Richard Bordenave, directeur général adjoint, chargé du marketing et de l'innovation de BVA.

 

Paradoxe, «les budgets études des annonceurs sont au mieux stables, au pire en baisse, regrette Laurent Guillaume, alors que la demande de connaissance client explose». Le métier doit donc se réapproprier ce terrain de la connaissance client et mieux se marketer. Sur le ton de la plaisanterie, Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale d’Ipsos France, explique qu’elle rebaptiserait bien les instituts d’étude en Consumer Intelligence Agency, soit CIA... Sans aller jusque-là, des 'acteurs s’accordent à dire que le mot «études» renvoie à une conception datée et «véhicule l’idée de photo tournée vers le passé, reconnaît Richard Bordenave. Il porte l’idée que l’on va mieux comprendre les problèmes. Alors que le mot intelligence évoque immédiatement la solution.»

 

Si la perception du métier n’est pas toujours conforme à la réalité, les problématiques traitées par la profession ont pourtant bien muées, comme le confirme Dominique Lévy-Saragossi: «Les études concernent plus la trajectoire des entreprises, nous intervenons sur la définition de la stratégie des marques et les principaux sujets ont trait au “customer experience management”, au “path-to-purchase” [chemin de l'achat], etc. Le quali est vraiment revenu en grâce.» Bref, un véritable «outil d’aide à la décision», comme le revendique Luc Laurentin, président de Syntec Etudes, qui permet aujourd’hui de définir un cadrage stratégique et d’orienter les décisions des annonceurs.

 

Dilution du métier

 

La collecte n’étant plus le domaine réservé des instituts, ceux-ci ont profondément transformé leurs propositions pour répondre aux nouveaux besoins du marché: études plus courtes et plus tactiques, et recueil en situation de mobilité ont bouleversé les offres. «Trente pour cent de notre chiffre d’affaires se fait avec des produits qui n’existaient pas il y a trois ans, constate Richard Bordenave, de BVA. Les technologies sont l’une des clés du succès, cela permet d’avoir de nouvelles solutions moins coûteuses et à plus forte valeur ajoutée.» Le mobile, par exemple, autorise aujourd’hui une interrogation à chaud du consommateur, qui peut agrémenter ses réponses de photos ou vidéos, l'une des applications étant l’auto-ethnographie, qui offre une donnée brute, non soumise à l'interprétation involontaire du consommateur et donc plus pure à analyser.

 

Chez Harris interactive, on est convaincu que le marché s’oriente vers une automatisation de certaines études. «Cela répond aux besoins des clients de vitesse et de réactivité, estime Nathalie Perrio-Combeaux, codirectrice générale France et Royaume-Uni. Proposer des produits standardisés mais rapidement actionnables est plus que nécessaire aujourd’hui.» Nathalie Perrin, commissaire générale du Printemps des études, confirme: «La notion de temps réel émerge, les annonceurs ont besoin de rapidité, voire d’instantanéité. C’est ainsi que certaines études se retrouvent internalisées pour répondre à des besoins de visions instantanées d’un marché.»

 

Face à la dilution du métier, les principaux acteurs ont «accepté l’idée qu’il n’y a plus de spécialistes , confie Elisabeth Martine-Cosnefroy, déléguée France de l'Esomar, l'Association mondiale des professionnels des études sociales et marketing. De nouveaux métiers entrent dans la danse et cette mixité nous apporte beaucoup. C’est incroyable comme chacun arrive avec ses outils et ses méthodes et enrichit les autres. C’est là que l’on gagne en intelligence.» Pour preuve, le Syntec Etudes compte désormais Orange parmi ses membres. «L’évolution, c’est l’abolition des frontières entre les expertises, observe Dominique Lévy-Saragossi, d'Ipsos. Tout le monde fait le métier du voisin, ce qui fait que le profil de la profession a changé et que l’on a arrêté d’avoir peur de ce qui ne nous ressemble pas. Nous travaillons dans des écosystèmes de plus en plus ouverts, et avec des personnes qui ne sont pas des études.»

 

ITWP Acquisitions, la société mère de Toluna, entreprise de technologies et de solutions d’enquêtes en ligne, a ainsi racheté Harris Interactive en 2014. Autre rapprochement: Opinion Way est récemment entré au capital de l’agence de détection d’innovations Soon Soon Soon dans l’optique «d’essayer d’être en amont et d’accompagner nos clients dans l’innovation, développe Charles-Henri d’Auvigny, directeur général délégué d’Opinion Way. Ce partenariat nous permet d’aller chercher de la donnée de manière différente. Et les données du monde entier nous incitent à faire des comparaisons, à enrichir nos restitutions.»

 

Si Richard Bordenave ne veut pas s’étendre sur le sujet, il mentionne toutefois que BVA travaille avec des start-up et développe actuellement des pilotes, qui seront annoncés dans l’année. L’institut, qui a retrouvé la croissance grâce à l’innovation, après une période difficile au début des années 2000, travaille également avec Microsoft pour son département data sciences, dirigé par Thierry Vallaud. «Il faut savoir travailler avec l’extérieur, être en réseau le plus possible et sortir de notre monde», argumente Richard Bordenave. Chez BVA, l’innovation porte aussi sur la manière de fonctionner en interne. «Il faut décloisonner et penser collaboratif. Nous limitons au maximum les chaînes hiérarchiques et nous misons sur les tandems intergénérationnels.»

 

Croisements des expertises

 

C’est aussi sur ce modèle de gommage des silos que d’autres instituts, à l'instar de CSA, misent beaucoup. A son arrivée à la tête de ce dernier, Bernard Sananès a rapidement donné sa feuille de route: miser sur le conseil et l’accompagnement stratégique, et favoriser la synergie des métiers. Le département stratégique fonctionne ainsi de manière transversale et travaille en binôme avec les fonctions plus classiques.

 

Un rapprochement des équipes sur lequel Ipsos mise également, avec la création de son offre Connect (regroupement des activités ASI et Media CT) début 2015. «Nous croyons beaucoup à la mutualisation des compétences, argumente Hélène Delpont, directrice générale d’Ipsos Connect. Nous favorisons le croisement des expertises pour que les uns et les autres s’enrichissent. Nous avons également instauré un nouveau mode de management. Plus agiles, nous travaillons davantage en gestion de projet.» De quoi ravir Elisabeth Martine-Cosnefroy, d'Esomar, qui regrette que «le gros défaut de la profession soit l’isolement».

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