Si les directeurs de la communication mesurent les nouveaux enjeux de leur fonction, le problème qui s’impose à eux et qui est loin d’être réglé est celui de l’organisation.

Comment être en adéquation avec les nouvelles attentes de conversation alors que le métier s’est construit sur l’art du monologue? Comment, face à la multiplication et l’hybridation des publics (un salarié peut être à la fois actionnaire individuel et engagé dans une ONG), adresser les bons contenus et engager le dialogue? Comment faire aussi bien avec moins, la crise ayant eu pour effet de réduire les budgets de la communication de 30 à 50%? Comment, dans des entreprises en transformation, jouer ce rôle moteur dans l’accompagnement du changement en interne et vis-à-vis de l’extérieur dans la diffusion des messages et leur mise en perspective?

L’organisation est au cœur des questionnements du directeur de la communication aujourd'hui. «La plupart des dircoms tâtonnent sur l’organisation idéale et peu d’entre eux, soumis au poids de l’existant, ont les mains libres pour la mettre en place», affirme Assaël Adary, fondateur du cabinet d’études et de conseil Occurrence et membre du comité de direction de Communication & Entreprise. L’association, qui rassemble des professionnels de la communication corporate (agences et annonceurs), a mené une étude qualitative (1) qui «théorise l’existant et ses carences pour donner des pistes aux directeurs de la communication qui n’ont souvent pas d’organigramme», indique l’expert. Trois modèles d’organisation sont proposés à la réflexion.

Le premier schéma d'organisation«le plus faisable» selon l’association – répond à un problème de cohérence des messages dans une logique canal/contenus. Dans ce cas, un hub de contenus à l’instar d’un média (la communication interne et externe sont souvent fusionnées) est organisé en deux pôles, l’un produisant les contenus et leurs déclinaisons (formats, cibles), l’autre étant expert de la diffusion et de la maîtrise des canaux. Le tout est orchestré par un «rédacteur en chef». «Ce scénario existe dans une minorité de cas», estime Benoît Viala, directeur général d’Havas Paris, chargé du pôle influence. On le trouve dans certaines grandes entreprises, comme Total, la RATP ou EDF. Chez Danone, dès 2002, Laurent Sacchi, directeur de la communication, a fait figure de pionnier en installant une conférence de rédaction – avec «des chefs de rubrique transversaux et des responsables de canaux», dit-il – et en supprimant la communication interne et externe. Denis Marquet, directeur de la communication du groupe Crédit agricole, a fait de même dix ans plus tard, en intégrant la communication interne dans une direction de l’information qui gère les contenus comme un média. «Il ne peut plus y avoir de dissonance entre les discours destinés à l’interne ou à l’externe», justifie-t-il.

Chez Orange, la communication interne reste à la direction des ressources humaines. «En tant que communicante, j’ai la conviction qu’une communication intégrée est plus motivante, déclare Béatrice Mandine, directrice de la communication et de la marque. Mais je n’ai pas de problème religieux, l’essentiel est de trouver les bons modes de fonctionnement, ce qui est le cas chez Orange avec la DRH.»

En revanche, Béatrice Mandine a réorganisé sa direction, au printemps dernier, en reprenant notamment la main sur la direction de la communication digitale… en la supprimant. Les  équipes digitales ont été réparties entre la direction de la presse et des médias, qui récupère donc les médias sociaux, Web-TV et blog corporate, et la direction de l’image et de l’audience, nouvellement créée, qui gère le site corporate. Ainsi, le Social Hub, «social room» inauguré en mars dernier qui suit les réseaux sociaux en temps réel, a été placé sous la responsabilité de Jean-Bernard Orsini, directeur presse et médias du groupe Orange. «Il était important d’afficher une complémentarité entre les métiers de l’influence, qui sont portés par le service de presse dans une logique de médias “chauds”, et la nécessaire construction d’audience, qui se rapproche du pilotage de l’image du groupe et se matérialise par une ligne éditoriale propre, non soumise aux aléas de l’actualité, qui s’exprime sur le site Orange.com», explique Béatrice Mandine.

Le deuxième modèle d'organisation est plus «serviciel», orienté vers les clients internes. La communication est une fonction «support» au service des business units. Ces dernières sont en relation avec un communicant, qui est un expert de leur métier (financier, ingénieur, etc.), à qui elles passent commande. Au directeur de la communication d’être le garant de la cohérence globale, d’orchestrer la production et de manager les équipes, souvent au détriment de son métier de communicant. Ce modèle est radicalement différent du «hub de contenu»: la dimension stratégique de la fonction est négligée au profit d’une forme de clientélisme. «Ce scénario n’est pas le plus noble pour le dircom, alors campé dans de l’opérationnel, mais il est efficace pour s’assurer la reconnaissance des autres directions, souligne Assaël Adary. En période de crise, ce schéma prolifère au nom du business, les communicants s’apparentant davantage à des chefs de projet.»

Le troisième scénario ne repose pas sur le client interne, mais sur les parties prenantes. En germe dans certaines directions de la communication, selon Communication & Entreprise, ce fonctionnement vers les cibles a pour axe principal les stratégies d'opinion, avec un expert par sujet. Chacun écoute son public cible, participe aux mêmes réseaux… «Le dircom n’est plus uniquement le chef d’orchestre des contenus, des messages et des actions, mais celui qui écoute et parle à l’oreille des publics comme un médiateur, créateur du dialogue et de la conversation, résume Assaël Adary. Ce qui suppose une organisation matricielle cibles/moyens.»

Mais c'est un hybride de ces trois schémas organisationnels que, dans la réalité, les directions ont souvent mis en place, car ils posent tous la question de la transversalité. «Les organisations sont en train de devenir plus horizontales, plus transversales et plus ouvertes, observe Dominique Wood-Benneteau, directrice de la communication de Transdev et transfuge de l’agence W. Cela suppose de travailler de manière collégiale avec les autres directions, c’est-à-dire en mode projet pour casser les silos. C'est assez évident chez Transdev, où l’enjeu commun étant de construire le groupe, la communication est bien ancrée au service du projet de l’entreprise.»

Alignements nécessaires

Toutes les entreprises ne partent pas d’une page blanche. «Si tout bouge, la chose qui a le moins changé depuis vingt ans que je fais ce métier, c’est la difficulté de ne pas travailler en silo et d’être dans une culture commune, atteste Eric Maillard, directeur général d’Ogilvy Public Relations. L'antagonisme toujours très fréquent entre les services marketing et communication au sein des grandes entreprises, qui est un frein, devrait générer une réflexion sur les points d'alignement nécessaires dans les organisations.»

Pour Catherine Gros, directrice de la communication d’EDF de 2010 à 2014, nommée vice-présidente de Publicis Consultants en mars dernier, «ce nouveau rôle d’animation du dircom, et non plus de contrôle, suppose évidemment d’être en phase avec le management pour récolter les bonnes infos qui vont construire les contenus. Cela dépend du dirigeant qui a compris la complémentarité des deux métiers.»

«Dans une organisation, les tensions naissent d’un manque de clarté des rôles de chacun, confirme Thomas Marko, fondateur de l’agence Thomas Marko & Associés. Or, il faut bien un gardien du temple pour donner une cohérence aux éléments de langage: c’est le rôle du dircom.» «Le niveau de maturité varie en fonction des entreprises et explique ces situations disparates, renchérit Benoît Viala, d’Havas Paris. Cette question de la transversalité des contenus n’est pas réglée, la gestion des temps long et court non plus. Il y a un décalage entre les enjeux digitaux et de contenus. Le problème est bien organisationnel puisqu’il s’agit de penser des modes de collaboration au sein de la direction de la communication, mais surtout avec les autres directions corporate de l’entreprise.» Eternel décalage entre les discours et la réalité…

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