Multiplication des canaux de dialogue et des publics connectés, le digital change le rapport à l’image et à la réputation des entreprises. Une évolution qui fait de la fonction communication un levier stratégique si on lui en donne les moyens

«Votre marque n’est pas ce que vous en dites, mais ce que Google en dit.» Cette formule que l’on doit au journaliste américain Chris Anderson a marqué les esprits. Elle dit comment, inexorablement, la parole de l’entreprise échappe à son contrôle. Internet et les réseaux sociaux ont libéré les conversations. Les chaînes d’information en continu, à l’instar de BFM, ont imposé leur rythme. Dans ce contexte d’accès immédiat à l’information, à quoi il faut ajouter un environnement économique de crise et de transformation des modèles économiques, mais aussi de plus grande défiance vis-à-vis des entreprises, le métier de directeur de la communication a changé, les besoins et les expertises aussi. «Historiquement, le directeur de la communication est celui qui maîtrisait, en la contrôlant, la communication de l'entreprise en tant qu'émetteur vers ses cibles institutionnelles, rappelle Eric Maillard, directeur général d’Ogilvy Public Relations. Ce rôle a été profondément transformé par l'émergence du digital et des réseaux sociaux, ne serait-ce que par leur impact sur la gestion des situations de crise.» Laurent Sacchi, directeur de la communication de Danone pendant douze ans et aujourd'hui vice-président executif abonde en étant plus nuancé: «Le digital n’a pas changé la nature du travail des dircom, qui est de rentrer en conversation auprès de différentes communautés pour les convaincre sur le mode  du dialogue et de l’interaction, il a accéléré le temps et donné plus de puissance aux messages et aux réactions.» Cette réalité connectée s’impose à lui: il n’est plus le propriétaire exclusif de la communication externe. Aujourd’hui, deux tiers des contenus concernant une entreprise sont produits par des personnes externes à la direction de l’entreprise, des publics multiples et hybrides, parmi lesquels les salariés… «D’une posture d’émetteur d’informations à nos horaires, nous devons désormais penser multicanal, ce qui influe sur les contenus, et passer à une posture de conversation avec tous les publics de l’entreprise» résume Louise Beveridge, directrice de la communication et membre du comité exécutif (comex) de Kering. «Dans cette économie de parties prenantes et non d’actionnariat, la réputation de l’entreprise se construit à travers eux, et plus seulement sur la performance financière, ajoute-t-elle. En conséquence, la fonction est plus riche et stratégique, même si on ne fait pas de la stratégie tous les jours, car nous devons à la fois être garant d’une certaine stabilité du message, donc construire la réputation sur le moyen terme mais aussi gérer l’actualité et être dans l’agilité et le mouvement.» Un milieu de terrain, juste derrière les lignes d’attaque et première ligne de défense, aime-t-elle à dire. Dans l’urgence ou dans le temps plus long, il faut des contenus «chauds» ou «froids», car face à multiplication des canaux et des interlocuteurs qui s’expriment, l’entreprise doit à la fois nourrir le dialogue en temps réel et construire son propre média.

Une fonction plus stratégique

«Ce besoin de multiples formats de contenus pour de multiples tuyaux complexifie le système, observe Jean-Christophe Alquier, fondateur d'Alquier Communication. Il est favorable aux dircom, qui ont perdu du terrain sur les directeurs marketing, digital et financier, et peuvent reprendre ainsi la main car cette mise en signes, c’est leur métier.» Des contenus, mais aussi de la veille permanente, longtemps résumée à une revue de presse confiée à des petites mains, elle devient un atout majeur, comme le souligne Jérôme Deleveau, PDG de l’agence Human to Human, qui en fait sa spécialité à sa création avant de s’élargir au corporate digital. Thomas Marko, fondateur de l'agence éponyme, confirme que c’est l’une de ses activités qui a le vent en poupe. Car au-delà, des contenus il faut connaître et suivre l’écosystème et anticiper tout mouvement d’opinion, de concurrence, etc…
«Dans le brouhaha ambiant et les crises, le dircom doit être une vigie capable de hiérarchiser l’info pour soutenir la part de voix qui revient à l’entreprise en construisant une stratégie d’alliés», explique Catherine Gros, ex-dircom d’EDF et vice-présidente de Publicis Consultants. Car ce qui se joue dans cette exposition permanente, c’est bien «la réputation, l’image, et au-delà la performance de l’entreprise», dit Benoît Viala, directeur général d’Havas Paris en charge de l’influence. L’AACC Corporate et l’Union des annonceurs (UDA) le confirment dans une étude fin 2014 sur le rôle de la communication corporate, dont les directeurs de communication sondés, estiment qu’elle sert à renforcer la réputation de l’entreprise (76%) à créer de la confiance (72%) et à faire connaître l’entreprise (61%), mais aussi à favoriser le business (59 %) avant même de  créer de l’engagement des publics (52%) ou de mobiliser ou fédérer les salariés (50%). «D’ailleurs, pour les dircom, la communication corporate doit cibler d’abord les clients, à 71%, avant les journalistes, 61%, et les salariés (53%) et construire en priorité l’image de performance», pointe Elisabeth Coutureau, présidente de l’AACC Corporate et coprésidente de l'agence Clai. Denis Marquet, dircom du groupe Crédit agricole, ne dit pas autre chose: «Ma mission est double: contribuer à développer le chiffre d’affaires en travaillant l’image, la notoriété et la réputation, et améliorer la productivité en valorisant le sentiment d’appartenance des salariés par l’information.»
Toute la profession s’accorde donc pour dire que la fonction est de plus en plus stratégique. «Il a ce rôle d’intégrateur des expertises en place – médias, relation avec les parties prenantes internes et externes, RP, community management… – ou nouvelles – gestion du changement, rédacteur en chef de newsroom, réputation data analyste...» synthétise Eric Maillard. «Garant du sens et de la cohérence des messages, c’est à lui que revient d’orchestrer les prises de parole de l’entreprise» ajoute Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication de Total et président de l’association Entreprises & Médias, qui annonce un manifeste sur les rôles et les périmètres variables de cette fonction polymorphe (incluant ou pas le digital, la marque, la RSE, le développement durable, etc.) à l’occasion d’un colloque en novembre prochain pour ses trente ans.

Interaction entre toutes les directions

Le Boston Consulting Group est aussi sur le pont. Pour la première fois, le cabinet international de conseil en stratégie d'entreprise, investit le sujet avec une étude réalisée pour Sciences Po Paris Alumni. «Nous constatons une évolution de la fonction direction de la communication de plus en plus influente dans les entreprises de par la dimension transversale du digital, indique Laurent Accharian, directeur marketing et communication du BCG. Cette interaction entre toutes les directions recoupe notre savoir-faire d’expert du changement.» Pour autant l’étude du BCG révèle une réalité plus complexe. Car si les communicants des sociétés du CAC 40 à l’instar de Béatrice Mandine, directrice exécutive en charge de la communication et de la marque du groupe Orange se voient comme «coacteur du pilotage stratégique de l’entreprise», la majorité de la profession, si elle pressent que sa fonction va devenir plus stratégique, déplore de s’épuiser dans des tâches opérationnelles. Pour Elisabeth Coutureau, la clé c’est une présence au comex.
A l’instar de Dominique Wood-Benneteau, dircom de Transdev, qui dit consacrer «80% de son temps aux enjeux et choix stratégiques», appelle à «casser les silos» et à sortir d'une «dircom outils», ou de Louise Beveridge qui, au comex, a pu contribuer à la nouvelle orientation stratégique de PPR avant de communiquer sur le nouveau positionnement, le nouveau nom de Kering et ses valeurs. «Le rôle de la direction de la communication est essentiel dans le ”change management”», atteste-t-elle. 
Le dircom a failli passer à la trappe. Rédacteur en chef, intégrateur, chef d’orchestre, conseiller du président aux nerfs d’acier, directeur du dialogue sociétal, éclaireur, aiguillon, tête chercheuse… Le voilà qui renaît. «Il a gagné du pouvoir et de la présence sur les sujets sociétaux par rapport au marketing, estime Laurent Sacchi, de Danone. Car les enjeux d’opinion et citoyens ont pris le pas sur les enjeux de consommateurs. Mais on travaille sur du soft qui ne se met pas en équation. Le métier est encore jeune et il n’est pas stable.»

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