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Agences interactives
23/10/2008 - par Cathy LeitusLe marché poursuit sa consolidation. Les nouveaux enjeux du Web social et les exigences de retour sur investissement des annonceurs l'amènent à se complexifier.
On ne se lasse pas de cette histoire. En 1972, le siège de Publicis est entièrement détruit par un incendie. Son directeur informatique, qui avait engagé une politique de sauvegarde des campagnes et des comptes de la société, sauve des cendres les précieuses bandes magnétiques. Quelques jours plus tard, l'agence de publicité peut reprendre son activité. Et l'informaticien commencer son ascension…
Trente-cinq ans plus tard, l'ingénieur Maurice Lévy inscrit le destin du groupe qu'il préside dans la révolution numérique avec une stratégie opportuniste et pragmatique ne s'enfermant dans aucun modèle: il constitue un réseau pure players tout en intégrant le numérique ses enseignes traditionnelles... et laisse Publicis Net, pure player historique, poursuivre sa vie de franc-tireur créatif. En 2007, Maurice Lévy rafle ainsi le groupe interactif américain Digitas pour en faire son réseau numérique, aux côtés de ses réseaux publicitaires Publicis, Leo Burnett et Saatchi & Saatchi.
Il fait ensuite main basse sur le leader français Business interactif, rebaptisé Digitas France, dirigé par Stéphane Amis. Parallèlement, il avale W Cube pour en faire Publicis Modem, agence interactive intégrée adossée à Publicis Dialog (marketing services) ayant vocation à servir toutes les agences du réseau Publicis. Et deux pure players indépendants de moins dans le paysage ! Dans la foulée, il rachète Phonevalley (marketing mobile).
Le hold-up numérique de Publicis correspond à une nouvelle étape dans le processus de consolidation du marché des agences interactives. La stratégie entrepreneuriale des pionniers cède le pas à leur stratégie financière (les fondateurs de Business interactif ont vendu leur société à Publicis pour 137 millions d'euros !) dans un contexte où Internet devient un enjeu industriel.
Maîtriser les points de contact
Une première phase, après l'explosion de la bulle Internet, début 2000, avait réorganisé le marché autour de deux pôles: les agences interactives indépendantes dites pure players, d'une part, les agences de marketing services d'autre part. Celles-ci, à l'instar de Proximity BBDO avec B2L, avaient préféré absorber la filiale interactive de leur groupe, Internet étant un canal de prédilection pour les métiers de la relation client. Dix ans plus tard, Proximity réalise d'ailleurs 60% de sa marge brute dans le marketing numérique et emploie une cinquantaine d'ingénieurs (lire en page xx).
La phase actuelle de concentration touche les agences interactives indépendantes, rachetées les unes après les autres par des groupes qui leur donnent la possibilité de se développer et souvent une expertise médias et relation client qui leur faisait défaut. L'enjeu étant bien désormais la maîtrise des points de contact afin de générer du trafic sur les sites, recruter et fidéliser les clients. En un mot assurer un meilleur retour sur investissement.
La prise de contrôle de Digitas par Publicis a inauguré cette nouvelle phase de consolidation. La réaction de la concurrence a été immédiate. Le pure player américain Avenue A Razorfish (Aquantive) bien décidé, lui aussi, à se déployer en Europe, a mis la main en mars 2007 sur l'agence Duke. Un rachat pour 6 millions d'euros comptant (solde à trois ans, en fonction des résultats) qui rappelle cruellement que, lorsque les finances sont fragiles, aucune agence, aussi créative soit-elle, ne peut écrire son avenir en solo.
Ce rachat confirme aussi que le marché s'industrialise au profit des grands groupes: Duke est désormais dans le giron de Microsoft, qui s'est offert Aquantive. Le pure player pourrait même atterrir chez WPP qui, selon des rumeurs non confirmées, aurait aussi des vues sur Aquantive. Dans cette configuration, Duke écrit une nouvelle histoire sans sa cofondatrice, la directrice de création Christine Santarelli, qui a préféré se retirer.
Vers davantage d'intégration
«Nous restons très attachés à la direction artistique, mais les idées doivent être au service de l'efficacité et du business de nos clients, et pas uniquement servir leur image», défend désormais Matthieu de Lesseux, président de Duke. L'agence, qui avait envisagé un temps de «remonter» sur la publicité avec le recrutement de Bertrand Janny (ex-DDB), directeur du planning stratégique, se concentre sur le numérique, ses nouveaux usages et ses extensions en points de vente. Antoine Pabst, président de Nurun, défend lui aussi son positionnement de pure player et a fait le choix de travailler avec ETO pour la gestion de la relation client.
La concentration du marché semble pourtant aller plutôt dans le sens de l'intégration: L'Enchanteur des nouveaux médias s'est vendu à The Marketing Group, Megalos a rejoint le groupe indépendant CRM Company. «La brique créative spécifique au Web nous manquait, explique son PDG, Bertrand Frey. Et puis, Internet est aujourd'hui le seul pôle de croissance dans les agences.»
«À nous, spécialistes de l'image, ce sont les compétences de la performance qui nous manquaient», ajoute Lionel Curt, directeur général de Megalos. Le pure player a créé le site marchand de Fauchon et c'est CRM Interaction, dirigé par Pierre-Louis Fontaine (ex- Mindshare Interaction), qui va développer la fréquentation du site et la relation client en ligne. Megalos va également profiter de l'expertise sur les marques du publicitaire Jean-Noël Perrin, directeur général du groupe, ancien de DDB. «C'est le retour des agences généralistes. Le terme à la mode c'est “agence intégrée”», affirme Lionel Curt.
Même conviction chez Florian Lang, président de Kassius, agence 360° experte en marketing mobile, désormais filiale de Young & Rubicam Brands (WPP), adossée à l'agence de marketing services Wunderman. «Avec cette fusion, nous allons pouvoir offrir à nos clients une expertise intégrée dans une dynamique internationale», commente-t-il.
Cette approche globale est depuis toujours celle de Fullsix qui, elle aussi, a fait l'actualité cette année en se séparant de son actionnaire WPP. Après son LMBO, le groupe est désormais détenu par le fonds d'investissement Cognitas. «Notre positionnement est multicanal mais nous ne sommes pas consultés en publicité, reconnaît Marco Tinelli, président de Fullsix. Nous allons lancer d'ici à dix-huit mois une offre intégrée média/création en et hors ligne garante de la performance.»
Flou artistique
Le marché est loin d'être stabilisé. «Il règne une certaine confusion, reconnaît Édouard de Pouzilhac, vice-président de la délégation interactive de l'Association des agences-conseils en communication (AACC) et cofondateur de 5ème Gauche. Toutes les agences et les groupes de communication disent faire de la communication et du marketing interactifs. La vérité, c'est que ni les agences entre elles et encore moins les annonceurs ne savent qui fait quoi exactement.»
Et les annonceurs s'avouent dépassés par ces effets d'annonce. L'AACCI, en changeant de président cet été (Mathieu Morgenzstern, de BETC 4D Digital, a succédé à Matthieu de Lesseux, de Duke), a aussi changé de discours. Sous l'ère Duke, seuls les pure players indépendants étaient porteurs de l'ADN Internet et les plus légitimes sur le métier. Le nouveau président considère, lui, que toutes les filiales interactives des groupes sont des pure players (lire en p.47). «Structurer une agence en pure player a ses limites car dans toutes les compétences métiers il faut de l'interactif», défend Bruno Walther, président d'Ogilvy One, qui a organisé Ogilvy Interactive comme un pure player au service des marques du groupe.
Derrière le terme "communication interactive" se cache en effet une multitude d'expertises et d'organisations. «Les agences interactives ont pour cœur de métier d'élaborer des stratégies numériques et de produire des contenus à vocation marketing/communication, principalement diffusés sur le Web (ordinateur et mobile). Elles intègrent les compétences clés du conseil marketing/communication, de la création et de la technologie», rappelle Mathieu Morgenzstern. Il y a différentes spécialisations au sein des agences: e-commerce, gestion de la relation client sur Internet, portails de contenus et services, sites événementiels, campagnes en ligne.
Tenter une cartographie n'est du coup pas chose aisée, et aucun organisme ne s'y risque. L'AACCI ne s'intéresse qu'à ses seize adhérents, parmi lesquels on trouve des pure players historiques, des filiales interactives d'agences de publicité et de marketing services et des filiales de groupe médias. Cela confirme la diversité des profils d'agences dites interactives, mais ne dévoile qu'une partie de la réalité du paysage.
La bataille du contenu
On ne saurait oublier les poids lourds historiques capables de produire des plates-formes numériques lourdes à l'instar de Digitas, Fullsix, Duke et Nurun. Le plus gros budget de l'année (6 millions d'euros), Nissan Europe, est d'ailleurs passé de chez Duke à Digitas. Pour le gérer, une structure ad hoc, DNA (Digital Nissan Agency), a été créée au sein de Publicis Groupe.
Le marché est aussi constitué d'un tissu d'agences qui se font remarquer par leur expertise, comme Business Lab, spécialisée dans le "shopper off et online" avec l'arrivée de xxx, directeur général de Saatchi X, At Net Planet, dirigée par Oliver Cerf (ex-Carrefour) qui conçoit des sites événementiels, ou Agitateur e-média sur la relation client.
D'autres expertises sont aujourd'hui valorisées. Avec le développement du Web 2.0 (prise de parole des internautes sur les forums, les sites d'avis de consommateurs, les wikis ou les blogs) et de l'Internet social (réseaux sociaux type Facebook, My Space ou Skyblog), le marketing communautaire, le buzz et le viral, les relations publiques auprès des blogueurs ont le vent en poupe. Des agences comme Heaven, Vanksen ou Six and Co (Fullsix) en ont fait leur spécialité. «À l'ère numérique, le marketing doit concilier l'expérience de marque sur son site Web avec le réseau de marque qui sont les gens qui parlent de la marque partout sur la Toile», explique Frédéric Colas, PDG de Six and Co.
La production de contenus et de services, à l'heure où les annonceurs doivent inventer une autre manière de communiquer, est également un nouvel enjeu pour les agences interactives qui affrontent la concurrence des sociétés de production spécialisées dans l'advertainment comme Adven Studio, cofondée par Jean-Pierre Levieux (ex-MSN) mais aussi des agences d'édition et des agences médias.
Intégrer la recommandation média, c'est-à-dire la gestion des points de contact et la création publicitaire ou marketing, est une stratégie d'avenir. Mediaedege-CIA avec son studio Arthur Schlowsky, Isobar, Starcom ou Havas Digital le tentent avec succès. C'est l'esprit de la plate-forme de publicité en ligne Vivaki, qui mutualise les expertises des agences médias Starcom et Zenith-Optimedia et des agences interactives Digitas et Denuo. Vivaki a signé des partenariats avec les régies de Google, Yahoo, MSN et AOL pour inventer «les formats de demain», comme l'expliquait son codirecteur David Kenny, ancien directeur général de Digitas Worldwide, dans Stratégies en avril dernier. Et devinez quoi: Vivaki a été lancé par… Maurice Lévy.