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Aucun modèle d’agence n’a encore émergé. La crise devrait toutefois accélérer la structuration du marché, poussée par des annonceurs fébriles et demandeurs de solutions interactives efficaces.
Si McDo devait couper dans ses budgets marketing-communication, ce n'est pas Internet [géré par Duke] qui serait touché en premier.» L'opinion de Nawfal Trabelsi, vice-président en charge du marketing, de la communication et des études de la chaîne de restauration rapide, vaut globalement pour le marché. C'est ce qui ressort du sondage réalisé début 2009 par le cabinet de conseil en choix d'agences Et Maintenant sur les relations entre les agences Web et les annonceurs. Selon son directeur, Vincent Fournout, «si la crise n'épargne aucun secteur, les agences interactives peuvent espérer sortir indemnes. Voire gagner de nouveaux budgets en bénéficiant à la fois de compétitions opportunistes, mais aussi de réaffectations budgétaires au profit du média en ligne.» En 2009, Levi's Europe devrait consacrer davantage à Internet (agence Duke) qu'à son budget publicitaire (agence BBH).
«L'année 2009 sera donc probablement très contrastée, poursuit l'expert, et permettra aux annonceurs de rationaliser leurs dépenses Internet et de voir émerger les agences les plus solides.» Les difficultés actuelles de CRM Company, qui a licencié une quarantaine de personnes depuis l'été dernier, font écho à cette prédiction. Malgré le rachat début 2008 de l'agence Web Mégalos, reconnue pour sa créativité et sa saine gestion, le groupe présidé par Bertrand Frey n'échappe pas à la tourmente.
«Après un mois de janvier bien terne, les compétitions ont repris depuis mars, avec des budgets revus à la baisse ou décalés dans le temps et des délais de décision qui s'allongent, observe Édouard de Pouzilhac, cofondateur de l'agence interactive indépendante 5ème Gauche et vice-président de la délégation interactive de l'Association des agences-conseils en communication (AACC). On est moins dans l'accompagnement stratégique et davantage dans la prestation, avec des demandes de refonte de sites ou d'opérations ponctuelles.» Marco Tinelli, président de Fullsix, confirme la nervosité du marché, mais considère que ce sont les projets annexes qui ont disparu au profit de demandes plus stratégiques. «Les projets cependant démarrent, s'arrêtent, redémarrent, raconte-t-il. Ils sont souvent repoussés à l'été et cela dix fois par jour. Certains sont suspendus en raison de plan social.» Matthieu de Lesseux, le président de Duke, confirme : «La seule compétition d'envergure en cours est celle du groupe EDF.» Parmi la long list, on retrouve d'ailleurs les quatre gros «pure players» du marché : Digitas, Duke, Fullsix et Nurun. «Il n'y a pas eu de compétitions de marques grand public qui engagent des budgets entre 500 000 et 2 millions d'euros depuis novembre dernier, souligne Antoine Pabst, président de Nurun. Ce sont les entreprises publiques et les associations caritatives qui font actuellement le “new business”.»
Stabilisation des équipes
Pour autant, les agences Web affichent une relative sérénité pour 2009. Ainsi 5ème Gauche (3,2 millions de marge brute en 2008) anticipe une baisse de son activité de 5%, Nurun (15 millions de marge brute en 2008) mise sur une année étale tandis que Fullsix (35 millions de marge brute en France) vise une croissance de 10%, Duke espère les 15% (21 millions de chiffre d'affaires en 2008). Publicis Net vise même les 30%. L'agence Actweb (2 millions de marge brute en 2008), basée à Strasbourg et à Paris, est également en progression. Pour Franck Ohrel, son président-fondateur, les agences moyennes devraient échapper à la crise. «Il y a une vraie opportunité auprès des grands comptes, estime-t-il. Car nous n'avons pas de lourdes charges structurelles, ce qui nous permet d'être très compétitifs puisque moins chers.»
Après des années de course effrénée, l'attentisme des annonceurs, faute de visibilité à moyen terme, devrait permettre aux agences de souffler un peu, et d'avoir, du coup, le temps de se consacrer à la structuration de leur entreprise et à leur positionnement.
«Après deux années d'une croissance de 100%, nous allons profiter de la crise pour stabiliser les équipes, confirme Emmanuel Vivier, président de Vanksen Group (8,5 millions de marge brute en 2008). Nous sommes présents dans douze pays et nous devons organiser en interne quatre-vingt-cinq personnes, tout en continuant à nous développer à l'international, et particulièrement aux États-Unis – l'Asie est mise en sommeil –, la production étant assurée au Luxembourg et à Paris.» Vanksen Group, réputé pour son approche alternative des stratégies numériques de marque, fondées notamment sur le marketing viral, a décidé par ailleurs de passer sous le nom de Vanksen toutes ses marques comme Legitiname, Culture Buzz ou Buzz Paradise.
Chez Isobar (Aegis Media France), c'est la fin des travaux ! Le chantier de l'intégration entrepris il y a trois ans est quasiment achevé. «Nous avons conservé des spécialistes par métiers : agence Web, référencement sur les moteurs de recherche, conseil et achat médias, influence, marketing mobile, marketing opérationnel, etc. Pour éviter l'écueil du modèle en silo, nous avons mis en place une offre intégrée portée par des directeurs associés qui interviennent de manière transversale», explique Guillaume Multrier, président d'Isobar. Chaque métier conserve son compte de résultat, mais l'objectif des directeurs associés est de le faire grossir par client.» Nextedia, créé par Henri Le Menestrel, ancien patron de Carat, et racheté par Lagardère Active en août 2007, devrait également remettre à plat son positionnement avec l'arrivée de Pierre Désangles, président de Rapp (filiale de marketing services du groupe DDB), nommé codirecteur général avec Alain Mestraecci. «Nextedia ne compte plus se développer dans le conseil et l'achat média en ligne, qui pèse 45% de notre activité, mais dans le marketing services numérique et le contenu de marques, annonce Alain Mestraecci. Nous sommes coincés entre les petits acteurs verticaux, spécialisés dans le “search” [référencement naturel et payant sur les moteurs de recherche], et les agences médias des groupes de communication, qui ont des accords nationaux. Il n'y a d'ailleurs pas d'acteurs indépendants dans le “display” [achat de publicité en ligne].» Du côté des agences moyennes, ça bouge aussi. Buzzman, réputée pour son expertise en marketing viral, peaufine son offre de communication et «remonte» sur la publicité et le marketing. L'agence de Georges Mohammed-Cherif a notamment mené toute la campagne de lancement de l'opérateur mobile Symio. Quant à 5ème Gauche, elle a développé un réseau de partenaires experts et indépendants avec Redshift en marketing mobile, Re-Mind en conseil et achat médias ou Kewego pour les plates-formes vidéo. Actweb, elle, a monté un réseau de free-lances sur Facebook, The Creative Club, sorte de hotshop créative de plus de deux cent soixante-dix membres qui lui permet d'avoir accès à un vivier de compétences en fonction des besoins de ses clients. «Impossible d'intégrer en interne toutes les expertises, explique Franck Ohrel, fondateur d'Actweb. Pour gagner le site de gZappa, nous avons ainsi puisé dans le club pour pouvoir monter en charge au niveau créatif, promotion et marketing.»
Grand changement aussi chez Publicis Net, qui a déménagé il y a un mois pour rejoindre Publicis Conseil aux Champs-Élysées. «Nous sommes positionnés sur la publicité numérique et défendons la culture des idées et des messages, indique Philippe Simonet, coprésident et directeur de création. Pour nous, Internet est un média d'image. On n'est pas une agence de la performance, du retour sur investissement à tout prix.» C'est en revanche le positionnement de Fullsix, qui profite de la crise pour mettre en avant son pôle études pour accompagner ses clients dans cette période brumeuse.
L'expérience de marque directement sur le média
À des degrés plus ou moins aboutis, toutes les agences se développent sur trois axes, à l'instar de Nurun : l'architecture de l'information (design, ergonomie, cohérence des écosystèmes de marques ou de groupes); «le contact management», confié chez Nurun à Olivier Binisti, transfuge d'e-TF1, dont la mission est de mettre en place des stratégies de contenu adaptées à toutes les stratégies de contact (campagne média, site Web, blog, application mobile, Facebook, twitter, Wikipédia, etc.); et «le community management», confié au blogueur Guillaume Liziard, qui a pour objectif de développer des stratégies communautaires pour les marques. «Aujourd'hui, l'enjeu pour les agences interactives est de réussir la démultiplication de la présence de la marque sur les différents points de contact avec à chaque fois un contenu adapté qui, lui-même, va être démultiplié, explique Antoine Pabst, son président. La communication 360° est morte. Inventée par les gardiens du temple publicitaire pour atténuer les effets de la progression d'Internet, cette notion obligeait à décliner le même concept publicitaire sur tous les supports. Désormais, la grille de lecture, c'est le bon contenu au bon moment, charge aux agences Web de réinventer ce qui structure les marques en termes de territoire.» La dernière campagne corporate de McDonald's France s'inscrit dans cette logique : BETC Euro RSCG a conçu une campagne TV et print volontairement conceptuelle et plutôt haut de gamme, et Duke a ciblé les jeunes avec des vidéos virales jouant la proximité et l'empathie avec la cible. Même équilibre pour la campagne publicitaire narrative de la télévision d'Orange, signée Publicis Conseil, et les webfilms didactiques de Publicis Net, sorte de mise en abîme des contenus publicitaires.
Alors que l'activité de conseil et d'achat média souffre et que le taux de clic des bannières s'effondre, Isobar s'interroge aussi sur les stratégies de contact comme toutes les agences médias. «Créer un site de marque et activer une stratégie médias et “search” pour tenter de générer du trafic n'est plus la seule solution, affirme Guillaume Multrier. On peut faire vivre l'expérience de marque directement sur le média, là où se trouve l'audience.» Pour Coca-Cola, Isobar a ainsi développé une plate-forme pour les jeunes implantée exclusivement sur skyrock.fr (A compléter). «Nous avons mis en avant notre compétence média pour la négociation avec la régie, notre expertise d'agence Web, avec Planète Interactive, pour concevoir la plate-forme et celle de Noyz pour gérer les relations avec les blogueurs», détaille Frédérick Benichou, directeur général adjoint d'Isobar et patron de Planète Interactive.
La Web TV Smile People, lancée par Hollywood chewing-gum (Cadbury) avec Starcom, l'une des agences médias de Publicis Groupe, et Adven Studio, était également dans cette logique d'exclusivité sur tf1.fr et son réseau de blogueurs Wat. «Les solutions alternatives au spot TV sont encore trop souvent des coups et des opérations événementielles, estime Marco Tinelli (Fullsix). La crise précipite la prise de conscience des annonceurs qu'un nouveau modèle de masse est à inventer sur les médias numériques, un modèle qui soit industrialisable comme l'est le spot TV.» Pour Danone et SFR, Fullsix planche sur un modèle qui couplerait l'achat médias en TV et sur les plates-formes vidéo et l'efficacité d'une campagne de mots-clés.
Intégrer ne garantit pas la réussite
Finalement, depuis dix ans, la logique de concentration a profondément modifié le paysage sur le plan capitalistique avec des rachats tous azimuts. Mais le marché, du moins structurellement, n'a pas vraiment changé.
Les gros «pure players» nés avec Internet sont toujours là. Les agences de marketing services, qui se sont très tôt positionnées en rachetant des agences Web en difficulté au moment de l'explosion de la bulle Internet début 2000, défendent aujourd'hui légitimement une maîtrise du marketing interactif. Enfin les agences de publicité, sans doute les plus en retard car les plus réticentes à remettre en cause la suprématie de leur modèle, sont poussées par leurs clients à élargir leur expertise publicitaire aux nouveaux médias. À ces trois modèles, pourrait s'ajouter celui du groupe Aegis Media France, avec Isobar, qui se positionne comme «full service digital agency». Issue du métier du conseil médias et de l'achat d'espace, l'agence a intégré tous les métiers du numérique : agence Web, studio de création, «search», bannières, affiliation, contenus éditoriaux, marketing mobile, influence et buzz, et marketing opérationnel.
D'une certaine façon, Maurice Lévy, le président de Publicis Groupe, a donné le la au marché… en faisant le choix de ne pas choisir. L'offre du groupe de communication se structure en effet autour de quatre modèles : Digitas, le «pure player», dirigé par Stéphane Amis, capable de mener de lourds projets, à l'instar de la plate-forme numérique de Nissan Europe (budget de 20 millions d'euros) ; Publicis Modem (ex-Wcube), rapproché de Publicis Dialog pour renforcer l'expertise interactive du marketing services; Publicis Net, le «pure player» créatif, présidé par Philippe Simonet, rapproché de l'agence de publicité Publicis Conseil; et enfin Vivaki, le pôle numérique et médias, censé fédérer Digitas et les deux agences médias Zenith-Optimedia et Starcom.
Sur le papier, c'est très impressionnant ! Modéliser ne donne toutefois aucune assurance sur l'efficacité. Intégrer des «pure players» Web comme le font Publicis Dialog et Conseil ne garantie pas la réussite de la greffe, une question de pouvoir, de conviction et, surtout, de choc des cultures. «Un territoire doit se construire entre deux logiques d'agences, commente Édouard de Pouzilhac. L'intégration culturelle et l'acceptation par l'agence traditionnelle que le “lead” d'une campagne peut lui échapper, c'est là toute la difficulté.»
Les quatre modèles actuels ont leur place car ils répondent aux besoins des annonceurs, mais aucun n'a encore prouvé une efficacité lui permettant de s'affirmer comme la référence. Un autre modèle est assurément à inventer. Et ce sont, là encore, les annonceurs qui pousseront les agences à le trouver. Il en est ainsi depuis toujours !