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Le téléphone mobile attire encore modérément les annonceurs. Les éditeurs de médias, toutefois, se positionnent clairement sur le créneau. Y compris en faisant payer le mobinaute.

Pas de répit pour les médias traditionnels. Alors qu'ils commencent tout juste à bien gérer le passage vers le 2.0, une autre révolution s'impose à eux: celle du mobile. Si la quasi-totalité des organes de presse, des radios et des télévions ont désormais un site mobile ou une application smartphone, des interrogations demeurent sur le meilleur modèle à adopter. Quels contenus? Quelle complémentarité avec le support traditionnel? Quelle rentabilité économique? Des interrogations qui rappellent celles que se posaient déjà les médias il y a une décennie, quand le Web fixe pointait le bout de son nez.

«Pour beaucoup, la première étape a été de mettre à disposition sur le mobile le contenu du média linéaire», rappelle Étienne Bureau, directeur marketing de Novedia Group, qui a développé les applications mobiles de France 24, TV5 Monde ou Elle à table. Les huit applications de Radio France, téléchargées plus d'un million de fois, proposent avant tout l'accès aux stations du groupe et à des centaines de podcasts d'émissions. «Notre priorité, c'est de faire en sorte que tout notre patrimoine soit disponible sur les nouveaux supports», affirme Stéphane Ramezi, directeur du multimédia à Radio France.

Même logique pour l'application TF1, qui permet de voir la chaîne en direct et de visionner des programmes en catch-up. «Près de 5000 personnes se connectent tous les jours sur notre application, et y restent en moyenne une heure. Elles utilisent leur mobile comme une télévision», précise Olivier Abecassis, directeur général adjoint d'E-TF1 et directeur général de Wat.tv.

Une simple étape avant de créer des contenus spécifiques au mobile? «Sûrement pas. D'abord parce que les mobinautes consomment des programmes qu'ils connaissent, ensuite parce que l'économie ne permet pas de produire exclusivement pour le mobile», analyse Olivier Abecassis. «Pourquoi les médias iraient-ils produire spécifiquement pour le mobile quand ils disposent déjà d'une énorme masse d'informations?, ajoute Sébastien Berten, président de Backelite. L'enjeu, c'est de bien adapter les contenus existants.»

Course de vitesse

Une adaptation qui se fait essentiellement à partir du contenu Web. Surfez sur les applications du Figaro,de La Tribune, du Monde ou de TV5: toutes ressemblent, à quelques subtilités près, à leurs sites Web respectifs. «Nous avons réalisé un vrai travail d'édition à partir du site fixe, réfléchi aux césures entre titres et "chapeaux", mis en place un système d'alerte par SMS dès qu'un événement majeur a lieu», explique Philippe Jannet, PDG du Monde interactif.

Pour les quotidiens et les chaînes d'info, l'enjeu est d'aller encore plus vite que sur le Web: en quelques secondes, le mobinaute veut avoir accès à une info ainsi qu'à la photo et la vidéo correspondantes. «D'où un travail essentiel sur l'ergonomie de ces sites mobiles», affirme Pascal Pouquet, directeur adjoint des nouveaux médias du groupe Figaro.

Condenser, éditer, mais aussi hiérarchiser autrement, telle est la recette des médias traditionnels pour nourrir leur site mobile. Lagardère a fait le choix de lancer plusieurs applications autour de la marque Elle (Elle à table, Elle Astro, etc.) quand le Web proposait un site unique. «La logique de portail ne fonctionne pas sur le mobile, qui n'offre qu'une navigation limitée. Nous avons donc procédé à un redécoupage», explique Emmanuel Vacher, directeur marketing et commercialisation de Lagardère Active. Idem du côté du groupe Figaro, qui a segmenté son portail Web en lançant en éclaireur l'application du Figaroscope. Celles du Figaro Madame et de Sport 24 suivront.

«Mais on peut aussi aller plus loin en réfléchissant global dès la création d'un programme, avance Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde. Nous venons ainsi de finaliser pour l'antenne un programme court sur la santé de 6 minutes, segmenté en chapitres de 2 minutes idéaux pour le mobile et le Web.» «L'objectif pour les médias est de "repackager" le contenu disponible, pour créer un réelle expérience utilisateur sur mobile», résume Étienne Bureau, de Novedia Group.

Côté expérience interactive, les sites et applications de médias ne sont pas les plus en avance, même si le secteur commence à réfléchir sur la géolocalisation et la connectivité avec les réseaux sociaux (lire en p. 36). En revanche, les services offerts aux mobinautes ont la cote. «Il n'y a pas de bonne application sans services mobiles propres, assène Emmanuel Vacher. Si l'application de Télé 7 jours a été téléchargée 500000 fois, c'est avant tout parce qu'elle donne accès très rapidement aux programmes TV.» L'appli d'Elle à table permet, elle, de recevoir par courriel la liste des courses nécessaires à la recette sélectionnée. Étranger, vous voyagez dans un pays francophone ? Le kit de survie en langue française (disponible en cinq langues), avec une aide «audio» qui prononce le mot recherché, est l'un des outils les plus appréciés de l'application de TV5 Monde.

Modèle publicitaire à inventer

Un développement des services qui laisse Sébastien Berten sceptique: «Pour moi, là n'est pas le moteur des applications médias. Si on se rend sur une marque média, c'est avant tout pour consulter du contenu et des infos éditorialisés.» Des informations que beaucoup ont d'abord choisi d'offrir gratuitement aux mobinautes. «Le choix semblait logique: une application gratuite portée par une marque média est téléchargée au minimum 250000 fois et a une belle récurrence d'usage», constate le président de Backelite.

Fidèles au modèle du financement par la publicité, les médias ont tenté de l'appliquer au mobile. Mais la révolution publicitaire sur ce support tarde à venir. D'après Cap-Gemini, le chiffre d'affaires de la publicité sur mobile représenterait 23 millions d'euros net en 2009 (+30% sur un an). Une maigre enveloppe à se partager, même si la plupart des sites et applications mobiles de médias intègrent quelques interstitiels et bannières. «Nous avons en ce moment une belle campagne Dior, s'enthousiasme Philippe Jannet. Le coût d'une semaine de présence sur notre site mobile: de 15000 à 20000 euros.» Mais les recettes publicitaires mobiles représentent moins de 1% du chiffre d'affaires du Monde interactif. Et moins de 500000 euros au groupe Figaro.

Chez Novedia Group, on croit davantage au placement de produit et au sponsoring qu'à la vente classique d'espaces publicitaires. «Pour l'instant, la présence sur mobile est avant tout une question d'image et de visibilité», affirme Étienne Bureau. Et tant pis pour la rentabilité. Du coup, les quelques acteurs médias qui ont fait le choix du «payant à l'entrée» ne le regrettent pas. Tous ont rentabilisé leur application dès son lancement. Celle de L'Équipe (à 0,79 euro) et celle de France Football (à 1,59 euro) ont été téléchargées 150000 fois. «Pour nous, une information de qualité a un prix. Payer à l'entrée, c'est le seul modèle économique viable, vu qu'il n'y a pas de mesure d'audience du mobile», estime Xavier Spender, PDG de L'Équipe 24/24.

Le groupe TF1, lui, a fait le choix d'une application à 3,99 euros. «Nous voulions proposer une application complète et qualitative sans prendre de risques économiques, car la bande passante coûte très cher», reconnaît Olivier Abecassis. Pour les prochaines versions, il optera peut-être pour une application gratuite assortie de services premium payants: «Nous attendons aussi de voir ce que va donner l'application de France Télévisions, sortie récemment.» Même réflexion pour Elle à table, dont l'application a été lancée à 3,99 euros: «Vu que beaucoup d'applications sur la cuisine sont désormais gratuites, nous allons revoir notre politique de prix», affirme Emmanuel Vacher.

Un peu comme pour le Web, c'est a priori un modèle mixte qui devrait s'imposer dans les années à venir. Le Figaro pourrait s'inspirer de l'offre premium Mon Figaro mise en place tout récemment sur son site Web «pour créer des ponts entre le contenu payant sur Internet et sur mobile», selon Pascal Pouquet. L'application que lancera TV5 en mars autour du programme 7 Jours sur la planète sera mixte, tout comme les futures applications sur lesquelles planche Le Monde interactif. «Personne n'a trouvé de recette universelle pour le Web, il n'y en a pas non plus pour le mobile, constate Sébastien Berten. La seule solution, c'est que plusieurs modèles de financement coexistent.»

Du côté de L'Équipe, on attend avec impatience que l'abonnement sur Iphone soit possible, puis étendu à tous les supports nomades: «C'est le modèle de demain, assure Xavier Spender. Et les médias qui se seront déjà positionnés sur du contenu payant auront alors une longueur d'avance.»

 

 

L'AFP vend du contenu… et de la technologie

«Notre objectif: doubler nos revenus liés au mobile d'ici à 2012, pour atteindre les 4 millions d'euros.» Une annonce ambitieuse de Pierre Louette, PDG de l'Agence France-Presse (AFP), quand on sait qu'allier stratégie mobile et rentabilité reste complexe. Pour tenir ce pari, ni application payante ni recours massif aux espaces publicitaires: «Nous n'avons pas vocation à faire du B to C et n'allons pas voler les annonceurs à nos clients !», sourit le PDG.

L'agence de presse française mise plutôt sur une double casquette: être à la fois fournisseur de contenus pour mobile, mais aussi de technologies. «Nous avons une plate-forme de publication mobile adaptable à chaque client, et proposons depuis janvier notre application (disponible pour Iphone, Java, Android et Blackberry) en marque blanche», précise Otman Meriche, responsable du développement. L'AFP peut donc concevoir un site ou une application mobile pour un client, y intégrer ses contenus, puis gérer et héberger ce service. L'agence a ainsi créé les sites mobiles de 13 quotidiens régionaux, dont La Voix du Nord et La Provence. Elle vient aussi de lancer l'application Iphone de La Dépêche du Midi.

Rédaction unique

«Notre chance, c'est d'avoir déjà une belle expertise sur le mobile», affirme Pierre Louette. Et d'avoir travaillé sur l'adaptation du contenu AFP à ce nouveau support: «Nous avons repensé notre Journal Internet et créé un Journal mobile, avec des titres de moins de 30 caractères, des dépêches resserrées, des photos carrées», détaille Otman Meriche. Une mosaïque de photos permet d'accéder aux infos, le menu de navigation peut être personnalisé. «Nous testerons au printemps des vidéographies, mélange de vidéos et d'infographies idéal pour le format mobile», poursuit Otman Meriche.

L'AFP n'a évidemment pas de rédacteurs se consacrant au support mobile, mais la rédaction multimédia travaille sur une console qui permet d'éditer une même dépêche à la fois pour le Web et le mobile. «À terme, je pense que nous allons évoluer dans notre manière de travailler, en agrégeant davantage textes, photos et vidéos autour d'une même balise, pour s'adapter à tous les supports», prédit Pierre Louette.

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