Dossier
Alimentaire, jouets, hygiène-beauté: les jeunes enfants suscitent la convoitise des marques. Mais celles-ci doivent user de précautions pour communiquer sur cette cible très particulière. Et convaincre les parents.

«Les trois premiers mots qu'un enfant doit connaître sont papa, maman et Citroën», lançait  en 1932 André Citroën, premier industriel à avoir envisagé les enfants comme une véritable cible en lançant les Jouets Citroën, modèles miniatures de ses automobiles. Depuis, ce précurseur a été rejoint par nombre de marques désireuses de s'attacher les bonnes grâces de ces futurs consommateurs. Les exemples d'annonceurs tout public qui adaptent leurs produits aux besoins des 3-7 ans sont de plus en plus nombreux.

Charal a ainsi créé la gamme Kid's, qui comprend des steaks hachés plus petits et aux formes amusantes (étoiles, beignets). Amora a imaginé la bouteille de Ketchup Miam's en forme de bonhomme avec des pieds. Ficello (Kerry Foods France) est une gamme de fromage en bâtonnets qui vient de lancer Mon Premier Ficello, spécialement conçu pour les enfants de deux ans. La gamme de dentifrices et brosses à dents pour enfants de Signal (Unilever) lui a permis de devenir leader sur le segment des petits.

La grande distribution n'est pas en reste, avec la mise en place de produits de marque de distributeur conçus pour les enfants, comme Carrefour Kid's, Casino Famili ou Rik & Rok (Auchan). Sans oublier le luxe, avec les vêtements pour bébés et enfants Baby Dior ou Rykiel Enfants, jusqu'aux Ferrari à pédales à 2 000 euros…

C'est que «les 3-7 ans sont une cible stratégique pour beaucoup d'annonceurs, car il est possible à cet âge de créer un attachement durable pour la marque», estime Joël Brée, professeur à l'université de Caen et à la Rouen Business School, et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet (1).

Avec 835 000 naissances en 2008 et un taux de fécondité de 1,98 enfant par femme (contre 1,5 pour l'Europe, selon l'Insee), le marché français des enfants est porteur. À condition de bien déterminer à quel segment on s'adresse: «Garçons et filles ont des désirs différents, et l'on ne communique pas de la même manière vers un enfant de trois ans et un de sept. Dans le marketing enfant, le point essentiel est de bien déterminer sa cible», rappelle Sylvie Gassmann, directrice de l'agence Kid's Partners.

Une cible double, voire triple

«Ce segment va de la petite enfance à l'âge de raison. Or, chaque tranche d'âge possède ses besoins spécifiques», ajoute Anne Doumenc, directrice de l'institut d'études Junior City. Les petits constituent de surcroît une cible double, voire triple. «On ne s'adresse jamais à une seule cible. La cible primaire est l'enfant. La cible secondaire est en général la mère, voire le père. La cible tertiaire est constituée par tous les individus entourant l'enfant», explique Annie Llorca, coauteur du livre Gérer une marque enfants et fondatrice de l'Observatoire des enfants et des jeunes (2).

Parmi les secteurs directement concernés, on trouve l'alimentaire (confiserie, céréales, biscuiterie, produits laitiers, etc.), les jeux et jouets, mais aussi l'hygiène-beauté, en particulier le bucco-dentaire. Le textile est représenté par quelques marques spécialisées sur ce créneau (Jacadi, Du pareil au même, La Queue du chat, etc.), mais les 3-7 ans sont encore trop jeunes pour réclamer des marques, comme le font leurs aînés dès leur entrée à la grande école. À cet âge, ils sont encore totalement dépendants de leurs parents pour leurs achats. «Jusqu'à 7 ans, la dimension symbolique des marques n'existe pas. Le désir peut être très fort, mais il disparaît aussi rapidement. Si le parent dit non, l'enfant aura oublié cinq minutes plus tard», décrypte Joël Brée. «Si l'enfant est souvent vu comme un prescripteur d'achat pour les parents, l'inverse est bien plus vrai», ajoute Nicolas Bordas, président de TBWA France (3).

Les annonceurs peuvent jouer sur la fibre affective et sur l'aspect ludique, mais les outils marketing, comme le buzz ou le marketing de rue, n'ont pas d'impact avant 10-12 ans. Par ailleurs, les 3-7 ans sont très conventionnels dans leurs goûts. «Une princesse se doit d'avoir les cheveux blonds, des paillettes dans les cheveux et de grands yeux. Une princesse “funky” ou un Père Noël maigre ne fonctionneront pas», estime Sylvie Gassmann, de Kid's Partners.

Des personnages emblématiques

C'est pourquoi le marketing des petits est pauvre en innovations et se cantonne dans les grands classiques que sont les personnages emblématiques, souvent des héros issus de films et de séries télévisées. Soit sous licence, en sachant que celle-ci coûte cher et risque de vampiriser le produit, soit en créant sa propre mascotte. Kellogg's l'a fait avec succès avec les abeilles pour ses céréales Miel Pop's, tout comme le pain d'épices Vandame (racheté par LU, propriété de Kraft Foods) avec l'ours Prosper, les produits frais pour enfants Gervais avec le dragon sans ailes Danonino ou encore les fameux Prince de LU et Ronald McDonal'ds.

Pour que ces personnages deviennent les compagnons des enfants, et donc que ceux-ci réclament ces marques, il faut les faire vivre. «Si on se borne à mettre un dessin amusant sur le packaging, cela ne suffira pas à créer un lien avec les enfants», avertit Joël Brée.
C'est pourquoi les Kellogg's et autres Danone créent des sites Web interactifs autour de leurs personnages, avec jeux-concours, envoi de photos, vidéos… Soit de véritables stratégies de fidélisation des parents, puisqu'en raison du jeune âge de cette cible, ce sont plutôt les mamans qui utilisent ces sites. «Le Web leur permet d'éveiller leurs enfants grâce aux bannières, jeux Flash, etc. Et aussi de se retrouver avec d'autres mamans autour de centres d'intérêt communs», analyse Shirley Curtat, directrice de l'agence-conseil en communication Com des enfants.

Mais les marques doivent affronter les préjugés très français à l'encontre de toute action marketing ou publicitaire à destination des petits. «En France, le marketing enfants est un gros mot, synonyme de manipulation et de surconsommation. Ce n'est pas le cas en Chine, par exemple, où les mères applaudissent à ces initiatives qui leur permettent de disposer de produits adaptés à leurs enfants, et surtout plus sécurisés», conclut Sylvie Gassmann.

 

 

encadré

La Baby Shower Party arrive en France

Les fans de séries américaines comme Sex and the City connaissent bien cette cérémonie typiquement anglo-saxonne. Une femme enceinte de sept ou huit mois invite ses copines pour se gaver de gâteaux et de sucreries tout en échangeant les derniers potins. Les copines lui apportent un cadeau pour le futur bébé. «C'est une tendance qui arrive depuis trois ans environ en France. Des grands magasins comme le Printemps ou Les Galeries Lafayette proposent d'ouvrir une liste de naissance. Cela peut devenir un vrai outil marketing pour les marques enfants», estime Shirley Curtat, directrice de l'agence-conseil Com des enfants. À condition que cette tradition américaine s'implante durablement, ce qui n'a pas été le cas pour Halloween, par exemple, au succès aussi spectaculaire qu'éphémère.

 

 

sous-papier 1

Les pratiques des petits décryptées

Le baromètre Pré Kid's Mirror est réalisé tous les deux ans par l'institut d'études Junior City. Ses résultats sont issus de vagues d'interviews en face-à-face à domicile avec des mères (300 par vague). Petit florilège des conclusions du baromètre 2008 (celles de la version 2010 sont encore en cours de traitement):

Jeux et jouets. Les 1-6 ans possèdent 6,9 catégories de jeux ou jouets différents et 38% utilisent déjà une console de jeux vidéo.

Licences. L'impact des licences est en pleine explosion: 75% des mères ont déjà acheté un produit sous licence pour leur enfant, dont 39% après réclamation de celui-ci.

Informatique. 66% des 5-6 ans utilisent un ordinateur quotidiennement, dont 39% de garçons et 16% de filles.

Consoles de jeux vidéo. 39% des 1-6 ans utilisent une console de jeux vidéo. La Nintendo DS attire les 5-6 ans et les filles, alors que la V.Smile (Vtech) séduit plutôt les 3-4 ans.

Lecture. 80% des mères des 1-6 ans achètent des livres à leurs enfants une fois par mois.

Alimentation. Seules 13% des mères déclarent ne pas faire attention aux ingrédients présents dans les repas de leur enfant.

Promotions. La réduction de prix est la promotion préférée de 89% des mamans. Pour 21% d'entre elles, les figurines et les peluches sont les cadeaux les plus convoités par leurs enfants.

Mascottes. 45% des mères d'enfants de 1-6 ans disent être influencées par la présence d'une mascotte sur un produit lors de l'achat. Les trois premiers sont Kinder Surprise, Ronald McDonal'ds et l'abeille Miel Pops (Kellogg's).

 

 

sous-papier 2

Des consoles vidéo pour les petits

La marque chinoise VTech est spécialisée dans les ordinateurs et consoles de jeux vidéo pour enfants avec des scénarios de jeux éducatifs, leur slogan étant «Des jouets malins pour grandir intelligent». La marque s'attaque aussi à la cible des petits, avec ses consoles V.Smile (Grand Prix du jouet en 2004), numéro un des ventes de jouets pendant quatre ans selon Vincent Legoupil, chef de groupe marketing. «En 2009, nous l'avons fait évoluer avec la V.Smile Motion, dotée d'une manette sans fil du type Wii Mote», explique-t-il. En septembre va sortir la console tactile portable Mobigo, spécialement designée pour les petits. Avec toujours cette volonté de proposer des contenus sans violence et éducatifs, «mignons», selon le chef de groupe. «À cet âge, ce sont les parents qui décident et il faut les rassurer. Notre communication a donc une double cible: la séduction pour les enfants et des apports éducatifs pour les parents.» Une campagne presse est prévue en fin d'année pour la Mobigo, qui devrait coûter de 60 à 80 euros, avec des jeux autour de 20 euros.

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