Dossier Ressources humaines
Les embauches sont reparties. Après deux années de crise et de dégraissage, les entreprises du secteur recrutent à nouveau. Enquête.

«Il y a un rebond général dans la communication et le marketing, constate Pierre-Emmanuel Dupil, directeur général du cabinet de recrutement Michael Page France. Même si la reprise est lente, on constate un retour de la confiance, l'activité est en croissance et certains budgets se débloquent.» Le rebond des investissements publicitaires (+12,4%, hors Internet, au premier semestre 2010, selon Kantar Media) fait du bien à tout le secteur. «La croissance n'est pas très forte, mais elle oblige quand même les entreprises et les agences à recomposer leurs équipes», confirme Laurence Bricteux, directrice marketing de Monster France. Même si les grands gagnants de la reprise sont avant tout les commerciaux et les experts du numérique, toutes les métiers bénéficient de ce regain de croissance. Tour d'horizon.

 

PUBLICITÉ-COMMUNICATION

Depuis quelques mois, toutes les agences – «classiques” comme interactives – s'y mettent. Ainsi, CLM BBDO (140 salariés) aura intégré une trentaine de personnes pour l'année 2010, avec même des créations de postes dans les fonctions numériques. Ogilvy France (700 salariés) a recruté plus d'une quinzaine de créatifs depuis janvier. Chez McCann, l'année 2010 est bouclée: «Il y a eu quatre-vingts embauches, note Élise Pillemand, la directrice des ressources humaines (DRH) du groupe. Et si nous sommes toujours à la recherche de nouveaux talents, les embauches dépendront beaucoup des budgets décrochés.» Le groupe Extrême (165 salariés) a déjà procédé à vingt recrutements depuis le début de l'année. Fullsix n'est pas en reste: 30 à 40 personnes s'ajouteront aux 360 salariés de l'agence d'ici à la fin 2010. Du côté des petits acteurs aussi, on se renforce. Par exemple, l'agence 79 (dix salariés) a intégré deux personnes depuis janvier et prévoit deux autres recrutements: un chef de projet référencement et un chef de projet marketing mobile (2-3 ans d'expérience).

Le sésame du recrutement dans les agences s'appelle «digital». Il y a celles qui «digitalisent» leurs équipes, celles qui recherchent des «digital natives» et celles qui recrutent des «digital planneurs». Ce n'est pas qu'une question de sémantique: la mutation numérique est en train de s'accélérer. D'ailleurs, les créations de postes ne se font que sur ces métiers tournés vers Internet. Dans les fonctions classiques, on se contente souvent de remplacer les départs. Et encore, pas toujours.

Dans la grande famille des métiers «digitaux», le petit dernier se nomme «planneur digital». «Sa mission: rationaliser, organiser et utiliser la complexité des territoires numériques –  Internet, mobile ou non, etc.–, afin de communiquer», explique Charlotte Vitoux-Évrard, consultante spécialisée en marketing et communication en ligne chez Aquent.

Les métiers liés à l'e-réputation ont aussi le vent en poupe: certaines agences ont créé un département à cet effet avec à sa tête un chef de projet, un «community manager». «Je viens de placer un directeur e-reputation dans une agence de communication éditoriale. Il est chargé de conseiller de gros clients sur leur stratégie de réputation en ligne», relate Damien Crequer, cofondateur du cabinet Taste RH.

Parmi les compétences digitales prisées, les spécialistes du référencement, les fameux SEO («search engine optimization») et SEM («search engine marketing»), le «community manager», pour lequel de plus en plus d'offres d'emploi fleurissent en ligne. Sans oublier les responsables de partenariats et autres ingénieurs data chargés de trouver des algorithmes ou de bâtir des tableaux de suivi des investissements médias…

Quand elles recrutent pour des métiers plus classiques (création, commercial), les agences cherchent des profils parlant le double langage en et hors ligne. «Lorsqu'un client me demande un directeur artistique ou un vendeur, il doit systématiquement avoir une expérience Internet», acquiesce Sophie Gauss, directrice de Publirelais. C'est ce qu'exige, par exemple, Michel Huppert, directeur administratif et financier de DDB Paris, de ses créatifs et de ses commerciaux.

 

MEDIAS

Les recrutements ont lieu sur les activités Internet, mobile et tablette. L'exemple le plus spectaculaire est celui du groupe Spir, dont la branche médias (1 100 salariés) opère une transformation d'envergure. La mue du spécialiste des journaux gratuit ne s'est pas faite sans douleur. «Pendant la crise, j'ai mené deux plans de sauvegarde de l'emploi dans l'activité journaux gratuits, dont le dernier s'est terminé en mai dernier, explique Joëlle Arregle, DRH du pôle médias. Depuis le milieu 2010, nous renouons avec la croissance: notre chiffre d'affaires sur le Web et les applications mobiles progressent fortement.» Car la force de vente du groupe est la régie locale exclusive de Google Adwords en France depuis fin 2009. Ce regain d'activité conduit l'entreprise à recruter plus d'une trentaine de commerciaux cette année et une centaine l'an prochain. Et à faire évoluer les profils recherchés: désormais, les vendeurs ayant une expérience de vente dans l'Internet sont accueillis à bras ouverts. D'ailleurs, un test de connaissance de ce support est désormais imposé à tous les nouveaux venus.

Chez Prisma Presse (1 100 salariés), l'un des principaux groupes de presse magazine en France, la stratégie est la même: les créations de postes se font pour le Net. «Depuis le début de l'année, il y a eu vingt-deux recrutements de journalistes. Mais pour les supports papier, il ne s'agissait que de remplacements, alors que pour Internet, il y a eu des créations d'emploi, détaille le DRH, Philippe Pouzeratte. Une trentaine d'embauches ont aussi été réalisées dans le marketing et le commercial et quelques-unes dans les fonctions supports.» Et il y aura quelques embauches de journalistes bimédias d'ici à la fin de l'année. Le déménagement du groupe, prévu avant la fin d'année, ne devrait pas provoquer de départs et donc de recrutements, selon le DRH. «En 2011, l'effectif devrait être stable si aucun projet n'aboutit, précise Philippe Pouzeratte. Dans le cas contraire, le lancement d'un mensuel génère en moyenne 20 à 25 recrutements, celui d'un hebdomadaire, 40 à 50 embauches.»

Chez Vivendi, Jean-Bernard Lévy, son président, souligne que la croissance des effectifs est à mettre en parallèle avec le développement de l'activité. Donc, plutôt dans les pays émergents, tel le Brésil depuis le rachat de l'opérateur télécoms GVT. Dans les marchés matures comme la France, «ce n'est pas une priorité d'augmenter les embauches», indiquait-il lors de la présentation des résultats de son groupe, le 1er septembre. Mais il soulignait que Vivendi, à travers Canal+, SFR et Universal, fait vivre «un tissu d'une centaine de PME innovantes», qui profite de la bonne santé du groupe.

Le groupe Lagardère (29 000 salariés dans le monde dont près de 10 000 en France) entend redonner un coup d'accélérateur aux embauches: «Nous en avons effectué 282 depuis le début de l'année, contre 200 en 2009, se réjouit Christian Guet, directeur adjoint des ressources humaines. Si nous retrouvons en 2011 les niveaux de 2008, cela pourrait se traduire par cinq cents recrutements.» À noter l'émergence de nouveaux métiers liés à l'approche «business» des mobiles et tablettes ainsi qu'aux activités de diversification médias.

Bolloré Médias, qui compte plus de 500 salariés, dont une régie publicitaire de 90 personnes, continue de grandir. «Le lancement de la chaîne locale Direct Azur, début 2011, va nécessiter 10 à 15 recrutements, en particuliers des journalistes-reporters d'images», précise le DRH, Jean Arachtingi. Le projet de quotidien payant permettrait l'embauche d'une vingtaines de personnes.

Chez M6, après un gel du recrutement en 2009, la situation s'est débloquée depuis janvier avec de nombreuses créations de postes. Principalement sur le pôle vente à distance (Mistergooddeal, M6 Boutique). Le groupe compte aujourd'hui 1 780 salariés. «Il y aura encore 55 recrutements d'ici à la fin de l'année», détaille Delphine Cazaux, directrice de l'organisation des RH. M6 est également en train de se doter de nouveaux profils: des vérificateurs en audiodescription. «Cela consiste à visionner des émissions et être capable de les décrire», poursuit Delphine Cazaux. Comme il n'existe pas de formation dans ce domaine, la DRH envisage d'abord de proposer ces postes aux voix-off de la chaîne.

Enfin, la croissance est logiquement au rendez-vous dans les groupes 100% en ligne: c'est le cas d'Hi-Media, qui édite des sites Web comme Jeuxvideo.com, Toutlecine.com, Actustar, etc. L'entreprise recrute pour les fonctions marketing et commerciales.

 

TÉLÉCOMS-INTERNET

L'entreprise à suivre dans les prochains mois est Free Mobile. Même si le groupe Iliad refuse de détailler son plan, il embauche pour préparer le lancement de sa filiale. Déjà, des annonces apparaîssent sur Internet pour les fonctions techniques: chefs de projet, développeurs, webdesigner, etc. La société a prévu de monter en puissance progressivement: 150 embauches cette année. D'autres embauches sont prévues pour les deux années à venir pour permettre le lancement de l'activité commerciale. Free Mobile pourrait atteindre quelque 5 000 salariés à l'horizon 2018, répartis entre Paris, Bezons (Val-d'Oise) et Montpellier.

Du côté de France Télécom, sur les 3 500 embauches qu'Orange a prévu de réaliser cette année, il lui en reste 2 300 à mener à bien avant la fin décembre. «Cela va être tendu», admet Brigitte Dumont, directrice du développement et des RH d'Orange. Si la majorité sera composée de métiers techniques, l'opérateur cherche tout de même une centaine de chefs de produits «branchés techno».

En revanche, pas d'embauches annoncées dans l'immédiat chez Bouygues Telecom. «Nous sommes dans une phase de stabilisation des embauches», précise-t-on à la communication.

Microsoft France se porte bien et recrute. «Entre juillet 2010 et juin 2011, nous allons doubler les embauches par rapport à la période précédente: 120, au lieu de 60», souligne Anne-Marie Cano, la responsable du recrutement. La firme américaine va ainsi étoffer ses équipes marketing et communication, qui représentent 220 personnes sur les 1 500 salariés de la filiale française. La régie publicitaire interne de Microsoft est aussi dans cette dynamique.

Google, pour sa part, a annoncé la création d'un centre de recherche en France pour l'an prochain. Il devrait compter une cinquantaine d'ingénieurs. Les autres recrutements ne sont pas précisés. Enfin, chez Yahoo (140 salariés en France, dont 70 commerciaux), quelques embauches sont au programme d'ici à la fin de l'année.

 

MARKETING-ÉTUDES

Le secteur des études a sérieusement souffert en 2009 et peine à retrouver son souffle. «Les instituts ont beaucoup licencié, mais cela va bouger car les budgets reviennent. Il y a toujours besoin de faire des enquêtes», explique Sandrine Rais, consultante senior chez Menway. Les sondeurs ne recrutent que quand ils décrochent un nouveau client. «Si un institut obtient une grosse commande pour L'Oréal ou Danone, il peut être amené à embaucher très rapidement», poursuit-elle.

Alors, pour avoir des profils sous la main, Opinion Way affiche sur son site Web des offres d'emploi. Mais il s'avère que ce sont plutôt des «descriptions de métiers classiques de l'entreprise» que des recrutements réels, une pratique illicite. L'institut «n'envisage des recrutements dans les prochains mois qu'en fonction des opportunités» et n'a pas encore de visibilité pour l'année prochaine.

Autre exemple, l'institut CSA. «Nous sommes à nouveau dans une phase de recrutements. Pour l'année, notre effectif devrait avoir augmenté de 5 à 10%», explique Étienne Giros, le président du directoire.

Dans les départements marketing des entreprises, la situation est plus contrastée. «Concernant les fonctions marketing classiques, comme les chef de produit, chef de groupe et directeur marketing, il n'y a pas de reprise claire, constate Sandrine Rais, de Menway. Il y a peu de mobilité, peu de créations de postes et, du coup, beaucoup de candidats pour peu de postes, même si ça se décante un peu dans l'agroalimentaire et la banque.»

Néanmoins, quelques experts du webmarketing tirent leur épingle du jeu. C'est le cas des spécialistes en e-reputation et en référencement, ainsi que des responsables partenariats et des «community managers».

Quant aux départements communication des annonceurs, ils sont en train de recomposer leurs équipes à tous les niveaux. «Comme l'activité redevient normale, ils ne peuvent plus rester en sous-effectif», pointe Fabrice Robert, cofondateur du site emploi Jobintree.

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