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Gilles Deléris est président de l'Association Design Communication (ADC) et par ailleurs cofondateur et directeur de la création de l'agence W & Cie (Havas). Il revient sur l'état du marché, son actualité et ses évolutions.

Comment se portent les agences de design?

Gilles Deléris. L'année 2009 a été marquée par un recul de la marge brute de certaines agences, en difficulté du fait de la crise. Nous ne disposons pas encore de données pour 2010, mais le bilan restera très contrasté. Nous avons affaire à deux types de structures: celles qui parviennent à se remettre en question, à s'adapter, à changer de modèle et qui, du coup, «performent», et celles qui, moins mobiles, souffrent. Il est vital aujourd'hui d'évoluer, de créer de nouvelles offres et de faire confiance aux jeunes générations. Nos métiers changent, une révolution est à entreprendre.

 

Certaines disciplines sont-elles plus porteuses que d'autres?

G.D. Globalement, 2010 a été médiocre dans le domaine du corporate et de l'identité visuelle, mais les investissements ont repris dans le packaging, une activité très structurante pour nos métiers. L'année a également été favorable à l'architecture commerciale, sous l'impulsion notamment du développement de nouveaux formats de proximité, de la relance de l'activité des centres commerciaux ou d'initiatives innovantes chez les constructeurs automobiles.

 

Quels sont les relais de croissance?

G.D. Internet est un levier de croissance majeur. Mais les agences de l'ADC doivent s'impliquer davantage dans le digital. À mon sens, nous fonctionnons encore trop en silo. Or, les consommateurs comme nos clients sont en train d'abandonner ces logiques. Nos agences ont tout intérêt à élargir leur champ de compétence, à appréhender des disciplines connexes. Le marché français du design stricto sensu est étroit et saturé, mais la pensée design est, elle, bien plus vaste. Elle est au cœur des problématiques de marque. Par ailleurs, plusieurs membres de l'ADC poursuivent leur développement hors de nos frontières. C'est un pari difficile, mais nous avons l'obligation de le tenter.

 

Le design de service a, semble-t-il, le vent en poupe…

G.D. Les clients changent. La population vit mieux et plus longtemps. Elle a, de plus en plus, besoin de dispositifs spécifiques et spécialisés. Le service public, par exemple, a aujourd'hui l'obligation de créer des conditions d'accueil favorable pour tous. Le design doit en tenir compte à tous les niveaux: produit, signalétique, ergonomie, packaging… Les nouvelles générations, nourries au lait de l'hyperaccessibilité du digital, attendent par ailleurs des marques, dont l'autorité à beaucoup souffert ces dernières années, qu'elles soient à leur écoute, partout et tout le temps. Il leur est demandé d'apporter des horaires plus souples, des services de proximité, de nouveaux modèles de distribution. Le chantier est considérable.

 

Les services de design intégrés sont-ils une nouvelle concurrence pour les agences?

G.D. Non, c'est au contraire un atout d'avoir en face de nous des interlocuteurs qui comprennent nos métiers et connaissent très bien leur entreprise. Nous sommes complémentaires. La grande distribution et celle spécialisée, les constructeurs automobiles ou les télécoms ont des services intégrés, mais leur véritable savoir-faire concerne le produit. Dès qu'il faut résoudre des problématiques d'espace, de réseaux ou d'identité, ils s'appuient sur notre expertise.

 

Les marques apprécient également les architectes stars. H&M vient ainsi de faire appel à Jean Nouvel pour son navire amiral des Champs-Élysées. Un marché en moins pour les agences?

G.D. C'est historique. Les rois et les seigneurs faisaient appel à Léonard de Vinci, à Michel-Ange ou Mansart pour orner et bâtir leurs palais. Les seigneurs des temps modernes que sont, dans les villes, les bailleurs et les grands commerçants, font appel aux stars de l'architecture. C'est une constante depuis des siècles et, en réalité, ce sont les designers qui depuis vingt à trente ans sont entrés sur le terrain des architectes. Ils ont développé une véritable expertise, en particulier sur la capacité d'intégrer une réflexion sur la marque, sur son discours et son merchandising. Ils sont aussi les plus compétents pour industrialiser et déployer un concept.

 

Le design est-il suffisamment valorisé par les entreprises?

G.D. Le contexte n'est pas favorable. Nous faisons face à des logiques d'achat très agressives. Dans certaines entreprises, le design est encore inscrit dans la catégorie fournitures, sur la même ligne que l'achat de papier pour les photocopieurs… C'est au-delà du malentendu! Car nos activités sont essentiellement intellectuelles. Il faut donc faire du prosélytisme, expliquer encore et toujours en quoi nos métiers sont créateurs de valeur, en quoi ils impliquent de nombreuses compétences. C'est un travail de longue haleine.

 

Que pensez-vous du projet de l'Insee de supprimer le mot «design»?

G.D. C'est d'une maladresse navrante qui révèle une méconnaissance crasse de nos métiers et d'un secteur d'activités qui doit peser près de trois milliards d'euros. Le design, comme des milliers de termes anglais, est, en réalité, un mot d'origine française. Il vient de dessein, dont l'une des racines latines «disegno» décrivait au XVIIe siècle le projet, l'imagination et le geste. Les circonstances et les mystères de l'étymologie ont fait que ce terme dans son acception originelle est passé outre-Manche, pour donner «design». Il est donc plus que légitime que nous nous le soyons réapproprié. Je ne peux pas imaginer que cette lubie courtelinesque soit suivie d'effet.

 

Comment expliquez-vous que le design soit moins valorisé en France que dans d'autres pays, tels l'Allemagne, l'Angleterre ou la Suède?

G.D. Nous exerçons un métier mal cerné par de nombreux acteurs. Mais nous avons une histoire et une culture différente des pays que vous citez. C'est Étienne Hervy qui relate cette image d'un design français issu de la rencontre d'un syphilitique et d'une prostituée. C'est Toulouse-Lautrec, père des affichistes, qui allait voir la Goulue danser dans les cabarets. Il a donné naissance à une tradition expressionniste très talentueuse, pleine de fantaisie et d'impertinence, mais sans rapport avec le «business». Le design anglo-saxon, quant à lui, puise ses origines dans le Bauhaus allemand, un mouvement qui a vu de grands artistes se mettre au service de l'industrie. Ce fonds culturel perdure et génère sans doute cet écart dans la valeur perçue.

 

Le design semble, cependant, prendre une place de plus en plus centrale dans les entreprises…

G.D. Les marques cultes d'aujourd'hui sont celles qui ont la pensée design la plus forte. C'est le cas d'Apple, Nespresso, Camper ou encore Puma. C'est aussi le cas de Citroën, qui s'est réinventé, de Coca-Cola au niveau mondial, mais aussi de marques plus modestes comme Tolix, fabricant de mobilier, et Cojean, dans la restauration. Les entreprises et les clients sont de plus en plus résistants au marketing agressif. Le design, c'est la pensée positive des marques. Il n'est pas entaché par cette volonté systématique de créer des besoins artificiels, de produire toujours plus, de créer des forfaits auxquels on ne comprend rien, de lancer des communications corporate ne reposant sur aucune vérité profonde de la marque ou du produit. Le design ne ment pas. Il invite à créer une situation préférable à la situation précédente. Ce n'est pas plus, c'est mieux. Et c'est souvent avec moins. Je suis convaincu que le design va sauver les marques.


Le développement durable et l'écoconception sont-ils importants pour la profession?

G.D. La pensée design est naturellement «responsable». Un designer pense son projet dans une économie générale de moyens. Il intériorise le contexte, les réglementations, l'outil de production, l'équation économique, l'impératif esthétique. Il met en œuvre un «process» collaboratif associant toutes les parties prenantes. De plus, là où une campagne de publicité est programmée pour durer trois semaines, un programme identitaire et un point de vente sont conçus pour trois, six, dix ans. Nous sommes de loin les meilleurs partenaires pour accompagner les entreprises sur ces questions-là.

 

Vous ne vous reconnaissez pas en tant qu'agence dans l'étude du ministère de l'Économie sur le design en France. Pour quelles raisons?

G.D. Cette étude est sans doute très instructive et utile, mais elle ne correspond pas à la typologie des agences de l'ADC. Elle concerne un design très industriel exercé par de petites structures, des free-lances en relation avec des PME ou des services intégrés dans les entreprises. Les agences de l'ADC travaillent globalement pour de grands groupes dotés de services de communication importants. Elles font travailler des chefs de projets, des directeurs de clientèle, un planning stratégique, une direction de la création, de nombreux créatifs, des équipes de production. Leur modèle économique ne sont pas du tout les mêmes que ceux observés dans cette étude.

 

Quels sont les prochains chantiers de l'ADC?

G.D. Nous organisons pour décembre une journée de réflexion sur le rôle du design dans les démarches de RSE [responsabilité sociale des entreprises] et d'écoconception. Ce sera l'occasion de présenter le livre vertprésentant les mesures et les engagements pris par les membres de l'ADC en termes de responsabilité sociétale. Nous clôturerons cette journée par la remise des premiers prix Super Design. Nous comptons, par ailleurs, poursuivre le travail entamé avec l'UDA (Union des annonceurs) afin d'optimiser les relations annonceurs-agences. Ce sera l'un des chantiers de l'année 2011.

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