Dossier
Le «digital» est partout et exacerbe la concurrence dans un marché encore très ouvert. La diversité de l'offre ne facilite pas la lecture pour les annonceurs, qui font preuve d'un grand pragmatisme.

L'époque où l'on opposait agences interactives, garantes de la maîtrise des outils et des dispositifs numériques, et agences traditionnelles, évidemment incultes dans ce domaine, est révolue. Tous les métiers du marketing et de la communication (agences médias, publicitaires, relationnelles, corporate, RP, éditoriales, etc.) revendiquent leur part de légitimité dans l'expertise numérique. Sans oublier les agences plus récentes nées sur le principe de l'intégration (La Chose, Fred & Farid, Change, Herezie, etc.). Un casse-tête pour les annonceurs. «Maintenant que le “digital” n'est plus un sujet de débat et qu'il est assumé par toutes les agences, les périmètres de compétences sont moins clairs, constate Didier Beauclair, directeur médias et relations avec les agences à l'Union des annonceurs.

«Les intervenants sont si nombreux que le paysage est brouillé», confirme Luc Laurentin, de Limelight Consulting. Du coup, poursuit-il, «les annonceurs font preuve de pragmatisme: 48% considèrent que le partenaire le plus légitime pour le conseiller sur sa stratégie numérique est le pure player». Tout en précisant que «si la clé d'entrée est une expertise métier comme le corporate, la relation client ou l'image de marque, ils font alors confiance à l'agence spécialiste».
Marie-Charlotte Longueville, cofondatrice du cabinet en choix d'agences Pitchville, renchérit: «Quand il s'agit de stratégie numérique ou de création de site, nous privilégions les pure players [à l'instar de l'appel d'offres Aéroports de Paris gagné par X Prime], affirme-t-elle. Mais quand le digital est un élément d'une plate-forme de marque plus large, les grandes agences de communication sont mises en lice.»

Réorganisations en série

«Les agences sont confrontées à l'enjeu de l'intégration et à la bataille du leadership sur la

stratégie de communication des marques», résume Fabrice Valmier, directeur associé de VT Scan. Dans cette bataille, les grandes agences interactives (Digitas, Fullsix, Nurun, etc.) et les moyennes n'ont pas dit leur dernier mot (lire p.38), tandis que les agences de communication traditionnellles peaufinent leur nouveau modèle. Derrière leur revendication digitale se cachent en effet des situations bien différentes, que ce soit dans le degré d'intégration, les modèles adoptés ou les profils des managers.

Ainsi, côté marketing services, Proximity BBDO a-t-elle absorbé son agence interactive B2L et promu, dès 2007, son directeur général Olivier Rippe à la présidence de l'agence. Celui-ci piaffe d'ailleurs de voir disparaître cette notion de «pure player», dépassée selon lui. Proximity a remporté récemment la communication France de Panasonic, dont l'enjeu était notamment la migration des investissements TV vers les médias sociaux.

Chez Ogilvy, c'est Natalie Rastoin, directrice générale de l'enseigne publicitaire, qui chapeaute Ogilvy One (marketing services) et Ogilvy Interactive. Publicis Dialog, s'appuie, elle, sur Publicis Modem (ex-W Cube, toujours dirigée par Thierry Vandewalle) pour «ne rater aucun appel d'offres digital», dixit son coprésident Nicolas Zunz. Ils ont gagné le lancement de Special T (Nestlé) commercialisé exclusivement sur Internet.
Côté publicitaire, plusieurs options coexistent. D'un côté, l'intégration totale prônée par DDB qui a absorbé son pure player Tribal DDB et appelé le pionnier du Web Matthieu de Lesseux (ex-Duke) à la coprésidence de l'agence. Depuis son arrivée en janvier dernier, un travail de formation et de réorganisation (80 profils numériques sont au cœur de l'agence) a été entrepris avec, à la clé, un changement culturel, délicat à opérer car impossible à décréter. «Notre ambition est d'être l'agence lead interrogée très en amont, notamment sur la gouvernance et la stratégie digitale de la marque en termes de création et de réseaux sociaux, déclare Matthieu de Lesseux. DDB n'a pas vocation à faire des plates-formes d'e-commerce ou d'e-CRM.» L'agence a récemment remporté la stratégie interactive internationale d'une grande marque de luxe. Son modèle: l'agence Goodby, Silverstein & Partners.

Choix différent chez BETC Euro RSCG (Havas), qui n'a pas de figure du Web à sa tête mais s'appuie sur BETC Digital (160 personnes), issue des marketing services. Idem chez Publicis Conseil, qui garde la main et met en avant Publicis Net (150 personnes) «agence de publicité de l'ère numérique». «Pas besoin d'être une agence intégrée pour avoir une solution intégrée, défend Iona Macgregor, directrice de la stratégie de Publicis Net. Nous avons des synergies opérationnelles, mais un projet digital ne se gère pas comme dans la publicité. Nous avons besoin d'agilité et d'une production technique intégrée.»

TBWA propose une troisième voie: la «digitalisation» de l'agence symbolisée par l'arrivée de Philippe Simonet (ex-coprésident de Publicis Net) à sa vice-présidence. Et dans le même temps, création d'un pure player TBWA 365 (50 personnes). «Digitaliser une agence de publicité, c'est mettre du numérique dans le planning, le commercial et la création, explique Philippe Simonet. Mais c'est aussi avoir une structure de production, sans commerciaux, qui fonctionne par pôles d'expertise autonomes (médias sociaux, bannières, sites, technologie front-office, back-office, etc.). Une marque investit aujourd'hui entre 5 et 20% de sa publicité dans le digital. Attention à ne pas être trop en avance tout en étant prêt à faire évoluer les organisations.»

Offre alternative

Dans cette bataille du «lead», alors que la demande des annonceurs se porte en priorité sur les médias sociaux et l'e-réputation, les agences corporate avancent elles aussi leurs pions. À l'instar d'Euro RSCG C&O, dont le patron digital Stéphane Guéry a été promu directeur général adjoint. En 2009, l'agence a mené la refonte des sites d'EDF et se trouve en finale face à DDB sur l'appel d'offres RATP.

L'enjeu du numérique, c'est aussi la capacité à cibler avec pertinence tous les points de contact. Les agences médias sont donc également sur le pont, à l'instar d'Aegis Media avec son offre Isobar, construite depuis dix ans sur cette logique d'intégration. Ou de Vivaki, qui fédère les expertises médias de Publicis et celles de ses deux pure players Digitas et Duke.
Tous ces métiers (études, relation client, médias, publicité et technologie), Marco Tinelli, président-fondateur du groupe indépendant Fullsix, à l'ADN digital, les agrège autour de quatre et bientôt cinq enseignes. Pour structurer cette offre alternative aux agences traditionnelles, il compte sur le patron de Digitas, Stéphane Amis – quinqua, fils de la publicité et du corporate, formé à la culture SSII – qui prendra en novembre la présidence de Fullsix France (plus de 350 personnes). «Le critère de sélection pour les annonceurs,c'est la valeur ajoutée de l'agence jugée sur son portefeuille de clients et son équipe, rappelle Marie-Charlotte Longueville, chez Pitchville. Les grands comptes sont souvent rassurés par une forte expertise et un profil senior.»

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