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En deux ans, le bimestriel indépendant, caustique et engagé, a réussi à s’imposer avec une offre éditoriale novatrice. Tout en se passant d'annonceurs.

Une jeune femme montre ses seins à un CRS, une autre baille nonchalamment, une caissière radieuse aux cheveux blancs : décalées, les couvertures de Causette donnent le ton. Celui d'un magazine féminin combatif, privilégiant les articles de fond aux conseils beauté, à contre-courant des derniers-nés du secteur. Et ça marche: après deux années d'existence, le titre revendique près de 25 000 ventes en kiosques (la certification OJD est en cours) et 4 500 abonnés. Le tout avec une place minimale accordée à la publicité – une vraie révolution dans le domaine de la presse féminine où les annonceurs sont rois.
Ce pari osé, c'est un homme qui l'a tenté. Le jeune directeur de la publication, Grégory Lassus-Debat, ancien pigiste pour Charlie hebdo, s'est heurté à la frilosité des investisseurs lorsqu'il a présenté son projet, sans autre étude de marché que l'enthousiasme de son entourage. Associé à un ami, il a dû contracter des crédits à la consommation pour réunir un budget de 90 000 euros et créer les Éditions Gynethic. Le 7 mars 2009, veille de la journée de la Femme, sort le premier numéro de Causette, dont le sommaire allie reportages et portrait d'une grand-mère prostituée, rubrique politique et sujets décalés sur le corps. Le magazine est conçu par son créateur comme « un bel objet », mais vendu en kiosques et pas en librairies comme les magbooks auxquels on le compare souvent (à l'instar de XXI), car « le but est de s'implanter dans le linéaire des féminins, de faire bouger les lignes ». Ce premier numéro se vend à un peu moins de 9 000 exemplaires.

Coup de pouce de Télérama

Pendant un an, les ventes tournent autour de 6 000 exemplaires, loin du seuil de rentabilité de 12 000 unités. Mais la petite équipe, surtout constituée de pigistes, s'accroche. Elle est récompensée en mai 2010, lorsqu'à la suite d'un article flatteur de Télérama, les ventes montent brusquement à 16 000 exemplaires: « Ça a touché le public cible », confie Grégory Lassus-Debat. Depuis, le succès ne fait que se confirmer, soutenu par un partenariat avec le site d'information Rue 89 et par une campagne média en kiosques pour la sortie de chaque numéro à partir de septembre 2010, qui « a permis d'augmenter la notoriété du titre ». Pour son deuxième exercice, la petite entreprise affiche un chiffre d'affaires « autour d'un million d'euros » (contre 283 000 la première année).
Des résultats qui permettent à Causette de se fixer une limite de 10 pages de publicité (sur près de 100) par numéro, après n'en avoir quasiment pas eu durant un an. Une volonté affirmée de « se différencier des autres féminins: on ne s'adresse pas à des consommatrices mais à des lectrices », assène Grégory Lassus-Debat. Les quelques annonceurs présents appartiennent au monde culturel, comme Arte Éditions avec qui des opérations ponctuelles sont menées. « De toute façon, les vendeurs de crèmes de beauté n'ont pas d'intérêt à être dans Causette », reconnaît le directeur de la publication.

Bientôt mensuel

Un constat partagé par Vincent Soulier, ancien directeur du marketing du groupe Marie Claire qui pilote aujourd'hui le cabinet de conseil Personnalité: « C'est un univers de presse qui n'a jamais intéressé les annonceurs, car trop décalé et trop compliqué d'un point de vue médiaplanning. » Selon lui, si Causette« a réussi à fidéliser un lectorat suffisant pour être rentable », c'est grâce à la « sincérité de sa démarche ».
Car, sans se revendiquer féministe, le magazine cherche, numéro après numéro, à «donner de nouveaux attributs au mot “féminin”», en étant «engagé mais pas enragé». Et il est parvenu à créer une connivence avec son lectorat autour du personnage-titre: « Causette, c'est la bonne copine journaliste », résume Grégory Lassus-Debat. Une identité forte, qui perdure.
Pour l'avenir, le directeur de la publication est confiant : « Nous nous sentons protégés par ce que nous avons construit. Personne ne connaît vraiment l'étendue du marché, mais il y a encore de la marge. » Le numéro anniversaire de mars-avril a d'ailleurs été tiré à 75 000 exemplaires, 20 000 de plus que d'ordinaire. Et le titre va devenir mensuel, « a priori en septembre » : des discussions avec « de possibles investisseurs » sont en cours, même si « Causette n'est pas à vendre ». Ce changement de périodicité sera accompagné d'une nouvelle version du site (qui attire 50 000 visiteurs uniques par mois), plus interactive. Et pourquoi pas une déclinaison en presse masculine ? « Faire un “Jean Valjean”? Nous y pensons. Mais chaque chose en son temps. »

 

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