Le marketing des réseaux sociaux entre dans une dimension stratégique. II oblige à repenser totalement la relation aux consommateurs, ce qui n'est pas sans conséquence sur les organisations. C'est ce que sont venus expliquer les patrons du digital de grandes marques internationales fin mars à Paris à la conférence Marketing 2.0.

Le marketing des réseaux sociaux est-il mort? C'est l'intitulé un brin provocateur de la conférence Marketing 2.0 (M2C) qui s'est tenue à Paris les 28 et 29 mars à l'ESCP Europe, organisée par Nils Andres, directeur général du Brand Science Institute (BSI), avec le soutien de l'agence Vanksen et en partenariat avec Stratégies. La présence de grandes marques et d'experts internationaux a permis de faire un bilan à date de cette ruée vers les réseaux sociaux et de constater les réussites, mais aussi les échecs, les ratés et les illusions déçues.

Le constat est sévère et la situation contrastée. En effet, si 4 entreprises sur 5 prévoient d'investir les médias sociaux en 2011, soit une dépense de plus de 2 milliards de dollars selon Emarketer, 87% des entreprises estiment que la campagne «social media» marketing qu'ils ont menée en 2010 a été un échec, selon le BSI, qui a interrogé 187 marques mondiales, près de 15 000 consommateurs et une cinquantaine d'agences. Pourquoi? Parce qu'en matière de médias sociaux, le concept même de campagne est dépassé. Il ne s'agit plus de mener des actions promotionnelles temporaires, mais d'avoir une démarche sur le long terme avec la mise en place de plates-formes relationnelles.

Les annonceurs sont encore perdus. Seules 19% des sociétés étudiées ont une stratégie clairement établie en la matière et 16% ont su définir au sein de leur organisation ce que sont les médias sociaux. Absence de «guidelines», de rôles, de scénarios et de réponses associées… le «social media» est bien trop souvent résumé à l'ouverture d'un compte Facebook géré par un junior ou un stagiaire et au conseil approximatif d'agences généralistes menant rapidement au «bad buzz» (Kit Kat, Gap et son logo, BP, etc.).

«Une page Facebook sans lendemain, c'est rechercher un coup d'un soir avec son client», a lancé en substance Nils Andres. Façon de faire comprendre que les médias sociaux nécessitent d'abord une réflexion de fond sur la culture de l'entreprise, ses contenus, sa relation avec consommateurs et fans, mais aussi ses «process», ses «guidelines», l'acquisition et la diffusion de compétences (recrutement ou formation), et seulement enfin les plates-formes et les technologies à utiliser. Autant de sujets développés tout au long de la conférence M2C qui peuvent être résumés autour de trois axes.

 

1. Sans stratégie et accompagnement du changement, point de salut.

Si l'édition 2010 de M2C s'était concentrée sur les tactiques disponibles (buzz, viral, «user generated content», Facebook, Twitter, etc.), 2011 est résolument l'année de la «social media strategy». Les représentants d'entreprises déjà matures en matière de «social media» ont confirmé que passée la phase d'expérimentation, le succès est d'abord lié à une vraie réorganisation et à la gestion-diffusion du changement dans l'entreprise.

«Évoluer d'une organisation en silo à une organisation en système», selon David Armano, «senior vice-president» d'Edelman Digital USA, qui parle aussi de «social business planning». Il s'agit de redonner du pouvoir, des moyens et de l'autonomie aux employés («empowered employee») de manière réfléchie pour pouvoir gérer un consommateur 2.0 («empowered consumer»), qui a également repris le pouvoir.

L'acquisition et la mise à jour régulière des expertises requièrent un travail de formation et le recrutement de profils spécialisés au niveau opérationnel – les fameux «community managers» – mais aussi et surtout au niveau stratégique.

Chez Philips, au Pays-Bas, les initiatives «social media» sont organisées en sept étapes (le «social media stage gate system»): objectifs «business et social media», cibles et usages, validation des insights via le «buzzmonitoring», définition de la stratégie et des critères de performance, plan de déploiement, «guidelines» et scénarios, mesure du retour sur investissement.

Pour Richard Binhammer, directeur «social media et community» chez Dell, «il ne s'agit plus en effet de contrôler mais d'influencer». Il faut donc penser stratégiquement son écosystème entre l'entreprise, ses communautés internes et externes. Du développement produit au support client en passant par le marketing, la communication ou les ventes, le «social media» a été intégré à tous les niveaux chez Dell. Et cela n'a été possible que par un effort conséquent d'organisation et d'éducation: principes, gouvernance, formation, outils, etc.

Plus de 4 000 salariés ont été accompagnés pour devenir des «customers connected employees» afin que le «social media» ne soit plus un outil tactique, mais une partie intégrante de toutes les activités de la société afin d'améliorer la qualité, la crédibilité, la réputation, le support et la conversion, et de lancer plus rapidement des produits plus adaptés aux attentes des clients.

 

2. Passer de la diffusion de message à la création d'utilité pour les consommateurs.

Contrairement aux médias traditionnels, le «social media» nécessite de mériter l'attention des consommateurs. Chez MRM France, agence de marketing services du groupe McCann, on parle de «customer utility», indique Jocelyne Kaufman, sa directrice générale: «Pour jouer un rôle signifiant dans la vie de ses clients, une marque doit être intéressante, utile ou divertissante ou laisser ses clients participer à la vie de la marque.»

Les exemples abondent. Du site de recettes Bettycrocker.com, créé par General Mills (2 millions de visiteurs uniques par mois, 5 millions de membres «opt-in» et des ventes en progression de 19% l'année de son lancement), au fameux site Mystarbucksideas, qui a permis de rassembler quelque 60 000 idées de produits et d'améliorations de la part des clients. Beaucoup moins ont été évidemment prises en compte par la marque!

Plus une expérience est interactive (l'engagement), originale (avec un potentiel de buzz), utile et personnalisée, plus elle sera contagieuse, selon Vanksen.

Du message à la création d'utilité pour le consommateur, il faut souvent du contenu attrayant, ce qui nécessite un véritable investissement. Or bien des marques sous-estiment l'enjeu éditorial derrière l'ouverture d'un compte Twitter ou Facebook. Habituées à quelques prises de paroles dans l'année, via leurs campagnes de publicité, elles doivent réfléchir à un vrai planning éditorial pour établir quels contenus diffuser à quelles cibles et à quels moments. Elles peuvent aussi avoir recours à la «curation» (buzzword de 2011!) de contenus tiers existants. Il s'agit de mener une sélection pertinente d'informations pour ses publics, avec des moyens techniques et humains.

Ainsi les marques qui comprennent que les consommateurs demandent du respect, un soutien, une présence à valeur ajoutée ou la possibilité de participer, bénéficieront-elles d'un accueil qui pourra amener certains d'entre eux à devenir de vrais ambassadeurs, vecteurs de recommandation et de buzz positif («earned media»).

 

3. Le ROI est roi: sans mesure de l'efficacité, point de budget.

Véritable serpent de mer, la question de la mesure de l'efficacité du «social media» marketing est constamment revenue durant la conférence Marketing 2.0. Pour Richard Binhammer, de Dell, plus que le ROI (retour sur investissement), ce sont les notions de création de valeur et de «business» qui sont importantes.

Le fabricant informatique s'est ainsi aperçu que le «social media» (Facebook et Twitter) est générateur d'activités (plus de 6,5 millions de dollars de ventes via Twitter en 2009, affirme Richard Binhammer) et n'est donc pas uniquement un support de notoriété. Chez X-Box, aux États-Unis, l'équipe support sur Twitter (dix personnes) s'est entièrement financée par l'économie réalisée sur la réduction des appels à la hotline.

Mais il y a aussi le coût de ne pas y aller, l'autre ROI, le «Return On Ignoring» évoqué par Madlen Nicolaus, «social media manager» chez Kodak. Ainsi, en 2010, Facebook, Twitter et les blogs ont généré pour l'entreprise 343 millions d'impressions, soit l'équivalent de 2,4 millions de dollars en achat médias. Pour autant, attention à la tentation de ne jurer que par le nombre de fans, parfois plus attirés par la dotation du jeu-concours que par la marque…

Les critères de mesure de la performance doivent être clairement identifiés avant de lancer toute opération «social media», car sans ce filet de sécurité et de preuve, les budgets ne seront jamais débloqués pour aller plus loin.

Enfin, pour que les marques exploitent pleinement le potentiel des médias sociaux, notamment dans leur aspect social CRM, elles doivent avoir une vision réaliste de l'attente des consommateurs. En l'espèce, une étude d'IBM révèle que ces derniers ne s'engagent pas avec les marques pour se sentir connectés à elles, mais plus simplement pour en retirer des avantages en valeur (bons de réduction, offre privilégiée, etc.). Un peu de pragmatisme dans ce monde virtuel ne saurait nuire...

 

 

(3 cas d'école)

 

DOMINO'S PIZZA

Le roi du buzz sur Tweeter

Ramon DeLeon pilote six points de ventes Domino's Pizza à Chicago, et son usage intensif de Twitter et Facebook pour développer son activité ont quasiment fait de ses pizzerias une destination touristique. Avec un de ses restaurants installé sur un campus, Ramon DeLeon s'adapte constamment aux derniers médias et usages en vogue auprès des étudiants (vente en ligne dès 1998, tchat via AOL Messenger en 2004, Facebook dès 2005, etc.). Le patron de PME a même pensé à se réinscrire à la fac en 2005 pour pouvoir créer un compte Facebook alors réservé aux étudiants! Son but est de surprendre ses clients pour générer chaque jour un maximum de conversations: promotion surprise sur Facebook, concours sur Twitter, invitation d'un «guest» en pizzaiolo d'un soir… Il se prend aussi en photos et vidéos avec ses clients et n'oublie jamais de rappeler qu'il y a un humain derrière chaque tweet. Même le menu met en avant les meilleurs tweets de témoignages clients avec leur pseudo. Et si surgit un problème, Ramon DeLeon fait ses excuses en vidéo, générant en moyenne quelques milliers de vues.

 

NOKIA

Du social media marketing au social business

Nokia est une des marques les plus expérimentées en matière de «social media». Il y a plus de sept ans, le fabricant finlandais de téléphones mobiles a débuté, au niveau mondial, le monitoring de son e-reputation et les RP 2.0 vers les «influents» (blogueurs, forums). Il a depuis lancé de nombreuses campagnes buzz et virales, agrégé les avis de consommateurs de manière publique sur womworld.com/nokia, blogué (même en chinois) sur conversations.nokia.com, mis en place un programme de promotions sur Facebook et Twitter. Plus récemment, Nokia a ouvert un intranet 2.0 (avec Socialcast) pour tous ses salariés et coconçoit désormais un certain nombre de produits via un site communautaire en ligne (http://betalabs.nokia.com). Ce travail de collaboration et d'intégration entre communication, support, recherche & développement et marketing mené avec succès autour des médias sociaux ne s'est pas fait sans soutien. Outre la rédaction de «guidelines», la formation a été un élément clé pour en garantir la bonne diffusion et compréhension. Chez Nokia, chaque pays et département doit progressivement devenir «social compliant» (conforme), au lieu de se reposer uniquement sur une cellule de quelques experts. Un peu d'incentive pour la motivation des équipes, un soupçon de communautés pour partager les bonnes pratiques et concevoir des modèles réellement applicables… Au-delà des outils, la maîtrise des médias sociaux tient d'abord à un bon accompagnement du changement.

 

SAMSUNG

Le contenu et la relation au service de la «brand utility»

South by South West est le plus grand salon digital aux États-Unis, avec plus de 40 000 participants présents à Austin, au Texas, pendant plusieurs jours. Pour émerger auprès de cette audience technophile, Samsung a décidé d'innover en 2011 avec une stratégie de «brand utility» mixant création et curation (sélection) de contenus et relation «on» et «off-line» avec les participants. Au lieu de placarder partout son logo, le fabricant de matériel électronique s'est lancé dans la création d'un «hub», véritable tableau de bord Web permettant aux participants de profiter au mieux du salon (idem pour les internautes n'ayant pu s'y déplacer): sélection des meilleurs tweets des intervenants, vidéos, interviews, analyses d'experts, infographies, cartographies, lieux populaires, etc. Les visiteurs étaient aussi invités à partager leurs contenus et lieux préférés. Un grand écran (le «media wall») présent dans le salon permettait également de visualiser les contenus, faisant le lien en et hors ligne. Au-delà de l'aspect technologique, Samsung s'est aussi impliqué sur le plan relationnel: présence d'un «social media manager» pour répondre en temps réel aux tweets, remercier les auteurs de chaque photo ou contenu sélectionnés et accueillir sur place les visiteurs au «bloggers lounge». En se plaçant ainsi au centre des conversations, Samsung a été une des marques les plus citées, et de manière très positive, sur Facebook, Twitter et dans les blogs durant l'événement. «Le message est le messager», résume Esteban Contreras, «social media manager» chez Samsung USA.

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