Dossier
L'élection présidentielle est une incomparable vitrine pour les instituts de sondages. A un an du scrutin de 2012, la course aux alliances médiatiques est lancée alors qu'une proposition de loi visant à une plus grande transparence des sondages politiques a été votée à l'unanimité au Sénat, contre l'avis du gouvernement.

Jamais une échéance électorale en France n'aura suscité si précoce prodigalité sondagière. La présidentielle de 2012 galvanise les instituts d'études et leurs clients, qui rivalisent de supputations depuis… l'été 2007. A un an du scrutin, tout est prétexte à spéculation, d'autant plus qu'entre la pléthore de candidats putatifs et la vacance des candidatures déclarées, les contours de l'élection demeurent des plus flous, et que les stigmates du 21 avril 2002 ajoutent à la dramatisation.

Pour les instituts d'études, une élection présidentielle est toujours un formidable ressort de visibilité, avec un effet de réverbération précieux sur l'ensemble de leurs activités. Car, si elles portent la notoriété des instituts, les études électorales ne pèsent pas bien lourd dans leur activité (autour de 3% du chiffre d'affaires des plus importants, même les années électorales).

L'occasion est donc trop belle: il faut occuper l'espace médiatique. «Une élection présidentielle, c'est une formidable chambre d'écho. On ne peut pas ne pas en être», résume Frédéric Dabi, responsable du département opinion de l'Ifop.

Seulement voilà, le gâteau se fait de plus en plus petit. Les médias, qui jusqu'alors accordaient leurs faveurs titre par titre, chaîne par chaîne, station par station, ont rationalisé leurs processus d'achats. Fini l'époque où France 2 et France 3 pouvaient travailler avec deux instituts différents. «Les choix répondent très clairement à une logique de groupe», confirme Arlette Chabot, directrice de l'information d'Europe 1 et ancienne patronne de l'info de France Télévisions. La station du groupe Lagardère travaillera donc avec l'Ifop, partenaire historique du Journal du dimanche et de Paris Match, deux titres appartenant au groupe.

Mutualisation oblige, les processus de sélection se font plus rigoureux. «Jusqu'alors, le choix de l'institut se faisait un peu au feeling, raconte François Bachy, directeur adjoint de l'information de TF1. Nous avons souhaité professionnaliser la procédure en lançant pour la première fois un appel d'offres. Ce suffisamment tôt pour pouvoir choisir le meilleur.»

Mutualisation tous azimuts

Plus vite on se lance, plus vite on est servi. Car dans le jeu des alliances au sommet, les choix sont finalement limités. Les plus grosses ficelles se tirent à quatre: TF1 et France Télévisions d'un côté, TNS Sofres et Ipsos de l'autre.

TF1 a lancé son appel d'offres en septembre 2010. Dès octobre, France Télévisions dégainait le sien, auquel s'associait Radio France. Affaire rondement menée puisque l'audiovisuel public réussit le tour de force de boucler sa procédure avant la Une. Ce sera Ipsos, partenaire du groupe audiovisuel public depuis une dizaine d'années.

«Le choix de France Télévisions n'a rien modifié au nôtre», soutient François Bachy, de TF1. En s'alliant à Sofres, TF1 – dont l'audience des soirées présidentielles équivaut à celles de France 2 et France 3 réunies – renoue un partenariat de vingt ans, à peine émaillé de deux petites infidélités, du côté d'Ipsos et plus récemment d'Opinion Way.

La parenthèse Opinion Way-TF1 lors des européennes de 2009 et des régionales de 2010 fait d'ailleurs exception, tant il s'avère quasiment impossible pour des challengers de doubler Sofres et Ipsos pour les grand-messes de TF1 et France 2. En 2012, Opinion Way pourra néanmoins fournir des sondages au groupe TF1 via LCI (la chaîne TF1 n'en diffusera pas), mais de manière non exclusive.

M6 aurait, pour sa part, retenu Harris Interactive. Quant au groupe Next Radio TV (RMC, BFM et BFM TV), il a attendu que soient bouclés les appels d'offres de TF1 et de l'audiovisuel public pour lancer le sien, et jeter son dévolu sur l'institut CSA.

Lorsque les grands médias choisissent de travailler avec des instituts moins en vue, c'est le plus souvent en marge des soirées électorales. Ainsi, RTL va confier à Harris Interactive ses sondages de période pré-électorale. Les soirées, elles, seront réservées à TNS Sofres, avec une estimation à 20 heures «partagée» entre RTL et TF1.

Car la tendance à la mutualisation ne s'exprime pas qu'à l'intérieur des groupes. «Les médias se montrent moins exclusifs dans le montage des partenariats. On voit se mettre en place des troïkas réunissant un institut et deux médias sans lien organique, en bonne intelligence, simplement parce que c'est opportun», note Edouard Lecerf, directeur général de TNS Sofres.

Opportunité également d'afficher sa présence sur Internet. L'Ifop vient ainsi de lancer ifopelections.com, une plate-forme d'échanges et d'analyses autour de 2012. TNS Sofres doit ouvrir fin mai un site Web sur cette échéance. «Ce sera un laboratoire politique, ouvert à tous nos partenaires médias, à nos expertises internes et à celles de groupes, comme Kantar Média, à des intellectuels et des universitaires, mais aussi à l'opinion, au travers de contributions de citoyens», détaille Edouard Lecerf.

Personnalisation

A la fois plus rigoureuse et plus ouverte, la relation médiatico-sondagière est aussi très incarnée. Il n'est pas rare qu'un média choisisse de continuer à travailler avec tel ou tel sondeur, quel que soit son employeur. Pierre Giacometti n'a-t-il pas prolongé sa présence sur les plateaux de France 2 alors qu'il avait quitté la direction générale d'Ipsos pour créer son propre cabinet, Giacometti Péron & Associés?

Le marché des sondages n'échappe pas à la personnalisation. Les médias veulent des têtes d'affiche, qui ne sont pas légion. En s'offrant les pointures du moment, les instituts s'ouvrent les portes des médias leaders. D'ailleurs, une élection présidentielle annonce toujours l'ouverture d'un mercato. Celle de 2012 n'échappe pas à la règle. En juin 2010, Ipsos, numéro deux du marché, absent des plateaux télévisés en 2009 et 2010, débauchait Brice Teinturier chez le leader TNS Sofres. A l'automne de la même année, Jérôme Sainte-Marie, ex-BVA, qui avait fondé en 2008 sa propre société, Isama, rejoignait l'institut CSA comme directeur du département opinion, en lieu et place de Jean-Daniel Lévy, parti chez Harris Interactive.

Pour 2012, France Télévisions reprend sa collaboration avec Ipsos, la nouvelle maison de Brice Teinturier. Lequel avait travaillé avec France 2 lors des dernières européennes et régionales, alors qu'il dirigeait l'opinion chez Sofres. En recrutant Jérôme Sainte-Marie, l'institut CSA retrouve aussi le chemin des plateaux TV, où il était beaucoup moins présent depuis le départ de Roland Cayrol. En faisant venir Jean-Daniel Lévy, Harris Interactive jette non seulement les bases d'un département opinion qui manquait à son offre, mais en profite pour chaparder à l'institut CSA un partenaire historique: Le Parisien.

Pour autant, au sein des instituts d'études, on se défend de briguer une visibilité à tous crins. «Nous ne recherchons pas seulement de l'audience. Ces opérations en période électorale nous donnent la possibilité de mettre en place des outils importants et intéressants en termes de contenu, et de construire un positionnement», argumente Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos France.

Pour remporter l'appel d'offres France Télévision-Radio France, Ipsos a mis dans la balance un spectre élargi d'approches et de méthodologies: quantitatif, qualitatif, «rolling polls», enquêtes thématiques, sondages primaires, études explicatives, veille communautaire… Une offre complète, à tiroirs, où les médias partenaires pourront piocher en fonction de l'évolution de la campagne et de la teneur des scrutins.

Une équation «gagnant-gagnant»

Dans le choix des médias, le critère de taille n'est donc pas qu'une coquetterie. Un sondage sortie des urnes suppose que l'on puisse mobiliser des équipes, une logistique, des outils et une expertise éprouvée. Il s'agit d'opérations lourdes et coûteuses, dont le schéma économique s'est sensiblement complexifié.

On n'est plus dans un modèle binaire et unilatéral où des médias «achètent» une soirée électorale pour 150 000 ou 250 000 euros, mais bien davantage dans une équation «gagnant-gagnant» où, contre le bénéfice d'image qui lui est offert, l'institut va accepter de «sous-vendre » sa prestation.

«Aujourd'hui, même les instituts leaders ne peuvent plus supporter seuls la sous-valorisation marchande d'une soirée électorale», explique Brice Teinturier. Il s'adossent à des partenaires technologiques, des sponsors, qui vont, en échange de la visibilité que leur apporte l'institut et ses partenaires médias, cofinancer le dispositif et apporter un support technique.

Mais pour trouver un partenaire, encore faut-il le convaincre. Là aussi, la taille, la notoriété et l'expertise vont peser. Le partenaire d'Ipsos n'est autre que Logica Business Consulting, qui s'appelait il y a peu encore Unilog, partenaire attitré de la Sofres lorsque… Brice Teinturier en dirigeait le département opinion. TNS devrait très prochainement annoncer le nom de son nouveau partenaire.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.