Les régies Web des médias print et audiovisuels s'appuient sur leurs contenus et leur habileté à gérer le multiécran pour séduire les annonceurs.

Articles de presse, séries, télé-réalité: les contenus constituent le fer de lance de l'offre des régies en ligne des groupes médias. «Les contenus de qualité sont au cœur de notre offre de régie prémium», confirme Christèle Campillo, directrice marketing d'Amaury Médias.

Même discours chez Lagardère Publicité, qui s'affirme, dixit Alix Pandrea, directeur général Internet et mobile, comme «la seule régie à préempter tous les territoires éditoriaux. Nous disposons d'une marque forte pour chaque univers: Europe 1 pour l'information, Première pour le cinéma, Gulli pour la cible enfants, Elle pour les femmes, etc.», argumente-t-il.

Concentrées sur la promotion de l'image des marques – le «branding» –, les régies Web des médias préfèrent laisser les dispositifs fondés sur la performance, comme le ciblage comportemental ou le «retargeting» (reciblage publicitaire), aux «pure players» et aux régies spécialisées. C'est le cas de TF1, comme l'explique Sylvia Tassan-Toffola, directrice de TF1 Publicité Digital: «Notre positionnement est clairement branding. Nous ne faisons ni “search” [liens sponsorisés] ni “display” [bannières] à la performance.» Stéphane Gotajner, directeur du département Web de Canal+ Régie, est sur la même longueur d'ondes: «Notre offre est essentiellement centrée sur du branding via des espaces display et vidéo ”pre-roll” autour d'emplacements et contenus prémiums.»

Pour sa part, M6 Publicité Digital met en avant ses trois offres display: les sites des émissions de la chaîne, les portails Web thématiques (le high-tech pour Clubic.fr, les jeux sur Jeuxvideo.fr, l'automobile avec Turbo.fr, etc.) et la vidéo, principalement sur la “catch-up” TV (télévision de rattrapage).

Cette stratégie déployée par l'ensemble des régies digitales des groupes médias semble efficace: +53% de progression du chiffre d'affaires de la publicité en ligne au premier trimestre 2011 pour le groupe Amaury, +25% pour l'année 2010 chez TF1, une «forte croissance» pour M6 et Canal+. Des chiffres à pondérer, car la part du digital dans les revenus globaux des régies publicitaires est encore faible, 10 à 20% selon les groupes, mais la tendance est là.

La publicité vidéo et le multiécran, enjeux majeurs

Pour les régies Web des médias, deux enjeux majeurs ont émergé au cours des derniers mois: l'essor de la publicité vidéo et le multiécran (ordinateurs, mobiles, tablettes, IP TV, tlévision connectée et consoles de jeux). Selon le Syndicat des régies Internet, «l'explosion de la publicité vidéo constitue un des faits les plus marquants de 2010». M6 vient ainsi d'annoncer un partenariat avec la société suédoise Videoplaza, dont «l'ad server» (plate-forme de gestion des publicités en ligne) permet aux fournisseurs de vidéos comme aux médias d'administrer et de monétiser de la publicité sur leurs vidéos. «Avec cet accord, nous prenons une longueur d'avance», se félicite Nicolas Thorin, directeur de M6 Publicité Digital.

Chez Lagardère, Alix Pandréa qualifie la publicité vidéo de «nouvelle expérience de marque». «C'est le levier qui redonne sa vraie valeur au contenu éditorial», ajoute-t-il tout en regrettant «une pénurie de vidéos sur le marché». Ce qui conduit le groupe à produire ses propres contenus vidéo. Toutes les émissions d'Europe 1 sont ainsi filmées et consultables sur le Web.

La catch-up TV en plein essor permet aux chaînes de recycler leurs programmes sur le Web tout en offrant aux annonceurs une nouvelle opportunité de diffuser leurs publicités. «Plus de 80% de notre grille est proposée en catch-up», précise Sylvia Tassan-Toffola, de TF1.La Une a réalisé une étude sur le thème «complémentarité et efficacité de la catch-up»(1). Il en ressort que 78% des utilisateurs de ce procédé de visionnage en différé regardent au moins un programme de catch-up par mois. Et ils sont 70% à trouver «acceptable d'avoir de la publicité dans les contenus en catch-up à partir du moment où l'accès est gratuit», 96% préférant carrément ce système plutôt que de devoir payer pour la télévision de rattrapage.

Néanmoins, cet enthousiasme général pour la vidéo ne doit pas masquer le manque de critères d'évaluation de cette forme de publicité invasive qui reproduit le modèle de la télévision.

Franck Farrugia, cofondateur de l'agence Remind, se déclare sceptique: «On assiste à un report des budgets publicitaires de la télévision vers le Web sans avoir étudié au préalable le contrat de lecture. Avec ces publicités, on vient m'interrompre dans ma session. Mémorisation et taux de clics sont certes excellents, mais ce genre de publicité n'est pas fait pour générer du clic. Je m'interroge sur le véritable impact en termes de préférence de marque.»

Des stratégies bouleversées 

L'irruption du multiécran (télévision interactive, mobiles, tablettes, consoles de jeux) bouleverse également les stratégies des régies médias. Pour Alix Pandréa, de Lagardère, celles-ci n'ont pas le choix: «Il s'agit de s'adapter aux nouveaux usages grâce à une offre multiécran.»

Le nouveau nom de la régie Web de TF1, Digital Publicité, s'écrit ainsi avec un A en forme de 4, pour les quatre écrans (PC, mobile, tablette et IP TV). «Le “multidevice” est un enjeu majeur, annonce Sylvia Tassan-Toffola. Sur le mobile, par exemple, nous allons faire un test de géolocalisation dans les Hauts-de-Seine avec Bouygues Telecom, que nous venons de prendre en régie, et des enseignes, comme H&M et Sephora, pour mesurer le degré de tolérance des mobinautes.»

Arnaud Rouat, d'Havas Digital, conseille de «rester prudent face à des supports encore peu répandus. Il y a moins de 500 000 tablettes en circulation et la télévision connectée n'existe pas encore, même si fabricants et diffuseurs sont sur le pied de guerre.»

Quant à Franck Farrugia, de Remind, il rappelle que «chaque nouveau support créé un échelon supplémentaire d'intermédiation et une déduplication des audiences. La capacité à gérer le multiécran est devenue un élément de différenciation des régies.»

 

 

Sous-papier

La vidéo va-t-elle tuer la bannière?

 «La publicité vidéo sera le format le plus dynamique du marché de la publicité en ligne dans les prochaines années», prédit Vincent Bonneau, directeur de la «business unit» Internet à l'Idate. Au point de détrôner la bonne vieille bannière?

La publicité vidéo n'est pas sans inconvénients. Le «pre-roll», cette publicité placée avant la vidéo, a pour défaut d'être intrusive aux yeux des internautes, qui n'ont pas envie de voir reproduire sur le Web le modèle de la télévision. C'est pourquoi des acteurs comme M6 ou Google proposent de nouveaux formats «zappables». «Nous lançons l'“inroll”, un format pre-roll enrichi mis au point par la société israélienne Innovid. Si je clique sur la publicité, elle s'arrête. Coca-Cola l'a adopté pour sa récente campagne sur sa bouteille grand format», détaille Nicolas Thorin, directeur de M6 Publicité Digital. Sur You Tube (propriété de Google), l'innovation se nomme True View, avec un bouton permettant d'interrompre ou de fermer la publicité. L'annonceur n'est facturé que si l'internaute visionne sa publicité.

Pour Olivier Raussin, directeur display Google France et You Tube, «le modèle de la publicité vidéo “opt-in” montre un taux d'engagement dix fois supérieur aux publicités vidéo actuelles. Nous estimons que, d'ici à 2015, 50% des campagnes display seront en “cost-per-view”». Oasis a testé ce format pour sa campagne Superfruits, lauréate du Grand Prix Stratégies du marketing digital 2011.

Complémentarité

Quoi qu'il en soit, la publicité «in stream» (qui consiste à insérer une publicité vidéo au sein même du flux vidéo original regardé par l'internaute) reste encore un petit segment du marché du display: environ 30 millions d'euros en 2010, selon Hervé Brunet, président de Sticky AD STV, une régie 100% vidéo. «C'est un format proche de la télévision qui permet de toucher les CSP+ et les jeunes, des catégories qui la regardent de moins en moins», précise-t-il.

Stéphane Ambrosini, directeur général France d'Adconion Media Group, propriétaire de la plate-forme Joost Video Network, met en avant la complémentarité entre télévision et Web: «Grâce au logiciel de médiaplanning d'Armand Morgensztern, concepteur du coefficient de mémorisation des médias, nous pouvons calculer l'investissement optimum en vidéo sur Internet. Par exemple, la courbe de mémorisation d'une campagne TV chute brutalement après quinze jours. Combiné avec le Web, on dépasse les six semaines.»

Autre frein au développement de la publicité vidéo: son prix. Les tarifs au CPM (coût pour mille affichages) sont élevés: de 8 à 10 euros le CPM pour une diffusion sur un site médias ou une plate-forme de vidéos, et jusqu'à 30 euros pour un programme de “catch-up” (télévision de rattrapage), d'après Arnaud Rouat, directeur chez Havas Digital, contre entre 1 et 3 euros pour une publicité display classique. Des tarifs qui ne risquent pas de baisser, en raison de la pénurie d'inventaire vidéo (10% de l'inventaire display total).

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