Dossier
La numérisation des salles obscures bouleverse le média cinéma comme support de publicité. À la clé, plus de souplesse et un meilleur ciblage des spectateurs. Une révolution qui intervient dans un marché dynamique.

Imaginez un jeune cadre ultraconnecté, natif du numérique, installé dans une salle de cinéma, l'esprit libéré de toute contrainte et de toute tâche digitale. Autour de lui, des dizaines, voire des centaines de personnes de la même génération et au pouvoir d'achat comparable.

Dans leurs mains, pas de télécommande pour changer de programme, tout au plus un smartphone et un magazine qu'il devient difficile de lire lorsque s'abaisse la lumière. Commence alors la séance et donc la diffusion des spots publicitaires sur écran géant. Une qualité d'écoute qu'aucun autre média n'égale et qui se monnaye très cher.

Pourtant, en 2010, le cinéma a généré 90 millions de recettes publicitaires nettes, selon l'Irep (Institut de recherches et d'études publicitaires), soit 0,8% seulement du marché publicitaire français. Mais des recettes en hausse de 9,7% ces cinq dernières années, et même de 18% entre 2009 et 2010, ce qui fait du cinéma le média en plus forte progression.

Première raison de cette apparente santé, un nombre d'entrées en augmentation de 10% en dix ans, à 206 millions l'an dernier. Pour la seule année 2010, celles-ci ont progressé de 2,4%, portées par le succès d'Avatar (8,42 millions d'entrées). Des spectateurs de choix pour les annonceurs: presque un quart des entrées provient de jeunes qui ont entre 15 et 24 ans et 27% de personnes appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures, les fameux CSP+.

«C'est une cible très difficile à toucher par ailleurs», explique Thierry Pasquet, PDG de la régie Screenvision. «À la télévision, du fait de la fragmentation de l'audience, les annonceurs doivent aujourd'hui investir davantage pour toucher les 15-24 ans et les seniors. D'où l'intérêt du cinéma», renchérit Benjamin Badinter, président du directoire de la régie concurrente et leader, Mediavision.

L'objectif pour les annonceurs est de créer de l'image de marque, en complément d'une campagne classique. Mais pas question de tomber dans la banalité, car au cinéma, les films publicitaires sont plus longs qu'à la télévision et souvent plus créatifs. Lorsqu'ils sont courts, les spots sont généralement diffusés plusieurs fois, sous des variantes diverses, au cours de la même séance, afin d'augmenter le taux de mémorisation.

Quant à la durée de la campagne, le cinéma requiert trois semaines minimum afin de toucher l'ensemble de la cible, contre une semaine pour des affiches, explique Jean Minost, directeur des départements cinéma et affichage d'Havas Media.

Un avant-séance plus souple grâce au numérique

Une qualité d'écoute inégalée, une cible premium: rien de surprenant donc à ce que les tarifs pratiqués soient bien supérieurs à ceux des autres médias. Mais difficile d'obtenir des chiffres précis. «Au cinéma, le taux de mémorisation est cinq fois supérieur à celui de la télévision», rappelle Philippe Nouchi, directeur de l'expertise médias de Zenith-Optimedia. Selon lui, le ratio serait le même en ce qui concerne les tarifs. Benjamin Badinter, lui, situe le coût pour mille d'une publicité cinéma numérique non 3D entre 60 et 100 euros brut. Quant au coût du GRP, il est en progression de 1% en tarif brut entre 2010 et 2011, indique Havas Media.

Le marché se porte donc particulièrement bien pour le cinéma. Une tendance que va très certainement conforter la généralisation du numérique. Actuellement, plus de 1 800 salles ont déjà troqué les bobines argentiques pour des fichiers informatiques, un tiers des écrans français. C'est deux fois plus qu'il y a un an.

Une révolution qui divise par cinq le coût de production des copies pour les longs-métrages, chiffre Benjamin Badinter, de Mediavision. Selon Jean Minost, le passage au numérique permet une économie d'au moins 40% pour des films publicitaires courts.

Surtout, il réduit les délais de fabrication et donc rend beaucoup plus souple l'avant-séance. Car si l'argentique imposait aux régies de boucler la bande publicitaire d'un film trois semaines avant le début de sa diffusion, le numérique permet de réduire ce délai à cinq jours.

Techniquement, il ouvre également la voie à des avant-séances qui varient pour un même film en fonction du jour de la semaine, de son horaire de diffusion et du profil des spectateurs. «On peut très bien imaginer l'émergence d'un prime time cinéma», estime Frédéric Hergaux, directeur des achats radio et cinéma chez Zenith-Optimedia. Selon le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée), le dimanche et le samedi représentent respectivement 21,1% et 20,7% des entrées en 2010, le vendredi arrivant à la troisième place (13,2%).

Un spectacle à part entière

Screenvision propose déjà aux annonceurs des «packages» afin de diffuser leurs publicités dans les cinémas franciliens, les multiplexes et en avant-séance des films pour enfants. Un ciblage voué à s'affiner dans les mois qui viennent. En projet, des offres permettant de toucher les cadres, les 15-24 ans, les amateurs de films d'action ou de comédies romantiques…

Mais trop de ciblage peut tuer le ciblage! «Il faut voir si économiquement, c'est intéressant», s'interroge le PDG de la régie, Thierry Pasquet. Car, en permettant à l'annonceur de n'acheter que ce qu'il veut, les régies risquent d'y perdre en volume, et difficile de savoir si l'augmentation du coût pour mille permettra de combler le manque à gagner.

Du côté de Mediavision, la stratégie est différente. Pas de ciblage séance par séance ni de «package»: la régie tire plus du tiers de ses revenus de l'achat de campagne film par film, qui permet aux annonceurs de s'adresser exclusivement aux fans d'Harry Potter ou de La Conquête.«En France, il n'y a pas assez de films à très grosse audience pour aller au-delà du ciblage film par film», estime Benjamin Badinter. Ce que Mediavision vend aux marques, c'est donc d'abord de la puissance.

Autre tendance du marché, la 3D, qui a montré aux marques tout son potentiel avec la publicité pour les bonbons Haribo, diffusée en 2009-2010 juste avant Avatar (lire page xx). Une technique particulièrement appréciée des 15-24 ans et qui contribue à faire de l'avant-séance un spectacle à part entière.

La numérisation des cinémas a également pour effet de faciliter et donc de généraliser la retransmission de spectacles autres que des films, tels des ballets, des concerts ou encore des matchs de football. Pathé Live (ex-Ciel Écran) propose par exemple des représentations du Metropolitan Opera de New York ou le Festival d'humour de Marrakech avec Djamel Debbouze. Des événements qui permettent de toucher un public différent, plus pointu, et auxquels les marques peuvent s'associer sous forme de sponsoring.

Au-delà de la pure vente d'espaces, les régies vont peu à peu développer des activités de coproduction. Une corde de plus à leur arc déjà bien fourni en ces temps d'après-crise.

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