Dossier
Après une course aux fans portée par une vision opportuniste ou fantasmée de Facebook et autres, les marques réalisent que le choix des technologies et des supports doit être l’aboutissement d’une stratégie et d’objectifs définis en amont, et non le contraire.

Gaspillage digital! L'alerte a été lancée, fin 2011, par TNS Sofres à l'occasion de la publication de son étude «Digital Life» menée dans 60 pays auprès de 72 000 internautes. Avec un chiffre qui ne peut laisser indifférent: 59% des internautes français présents sur les réseaux sociaux ne souhaitent pas s'engager avec les marques, la réticence atteignant 67% chez les 21-24 ans. Par ailleurs, seulement 15% des internautes estiment que les réseaux sociaux sont un bon endroit pour acheter des produits.

«La course au "online" a vu le développement des réseaux sociaux, tels que Facebook ou YouTube, des médias qui permettent de parler aux clients rapidement et à moindre coût, souligne Frédérique Bonhomme de TNS Sofres. Digital Life révèle que si ces efforts ne sont pas ciblés avec attention, ils sont une perte de temps dans plus de la moitié des cas

Et d'ajouter: «Le gaspillage digital provient de l'accumulation de milliers de marques se précipitant sur le "online", sans réfléchir à qui elles souhaitent s'adresser et surtout pourquoi elles le font. Et ne comprenant pas assez que ces espaces appartiennent aux consommateurs et que leur présence doit être proportionnée et justifiée. La clé est la compréhension de sa cible et de ce qu'elle attend d‘une marque.»

La seconde édition du baromètre «Facebook: qui sont les fans de marques?», réalisée par DDB Paris avec l'institut Opinion Way et publiée en septembre 2011, ne disait pas autre chose. «Le comportement des Français se singularise par une réticence manifeste», constatait alors Catherine Lautier, directrice Business Intelligence chez DDB Paris, dans Stratégies. L'étude montre en effet que même si les internautes français sont toujours plus nombreux à utiliser Facebook (22 millions de membres), 78% s'inquiètent de l'utilisation qui est faite de leurs données personnelles et 52% indiquent s'être déjà désabonnés d'une page de marque (+17% par rapport à 2010).

Les raisons? La marque ne les intéresse plus (46%), elle ne poste pas assez d'informations intéressantes (49%) ou, au contraire, elle en poste trop souvent (48%). En dépit du nombre sans cesse croissant d'opérations lancées par les marques, chaque fan français ne suit en moyenne que cinq marques, contre plus de neuf aux Etats-Unis. Cette réserve se retrouve sur le plan commercial: 59% des internautes interrogés ne seraient pas intéressés si des marques leur proposaient d'acheter leurs produits sur Facebook.

Ces études ont le mérite de recadrer les enjeux et les priorités. «Facebook permettant tout à la fois de faire de l'image, de la notoriété, de la proximité, du retour sur investissement, de la génération de trafic ou de constituer des bases de données, les marques ont voulu y voir la solution miracle, explique Philippe Torloting, responsable social media chez Performics (Vivaki). Sans repères, elles ont souvent navigué à vue. Il est désormais temps de définir des objectifs prioritaires en fonction de la stratégie de la marque.»

Sandrine Plasseraud, directrice générale de We Are Social, confirme: «L'étude TNS Sofres révèle surtout que, lorsque les efforts des marques ne sont pas adaptés aux médias sociaux, ils sont contre-productifs.» Elle ajoute avec malice: «N'oublions pas que si TNS souligne que six internautes sur dix ne désirent pas échanger avec une marque sur les médias sociaux, une autre de ses études réalisée en octobre 2011 avec l'agence Australie indiquait que 81% des Français trouvent la publicité traditionnelle envahissante!» Selon elle, «un certain nombre de marques se trompent lorsqu'elles se lancent sur ces canaux avec un discours qui reste très publicitaire et loin d'être adapté à ces nouveaux médias».

Un point de vue partagé par Loïc Chauveau, directeur social media de Marcel: «Les campagnes sur les médias sociaux ont trop souvent consisté à agréger des fans, sans que se pose la question de leur engagement vis-à-vis de la marque et de ce que la marque a à partager avec eux. Les approches étaient bien plus souvent "média" que "social".» «Oui, en achetant à court terme - de plus en plus cher - des fans à coups d'euros et de jeux-concours, les marques ont usé et abusé du "like" sans réel bénéfice, lance Stéphane Guerry, directeur général de Duke Razorfish. L'enjeu est désormais d'investir dans des contenus de plus en plus exclusifs et engageants.»

Exit donc, la course aux fans et la surenchère volumétrique que Facebook a évidemment poussé. «Il n'y a pas de "social media" au sens d'un dispositif miraculeux qui vivrait par lui-même, sans stratégie globale et sans moyens, rappelle Lucas Denjean, directeur conseil d'Extrême Sensio. Les conversations ne peuvent pas être achetées, ni contrôlées, et les gens ne parleront pas spontanément comme les services de communication pourraient le rêver. Il y a un contresens fondamental qui donne lieu à des stratégies de "social washing", aussi peu contributives ou crédibles que le "green washing".»

Freinage et virage confirmés par les responsables de Facebook eux-mêmes. «2010 aura été l'année du fan, analyse Damien Vincent, directeur marketing France. Depuis, nous avons développé des critères qualitatifs, comme le nombre de fans actifs, et différents outils statistiques pour permettre aux marques d'optimiser leur présence. Et nous le disons: il n'existe pas de solution miracle sur Facebook. Si l'action de la marque n'est pas "social", si le contenu, le ciblage sont mauvais, les internautes ne viendront pas.» Une évolution du discours qui semble indiquer que Facebook a vu les limites et les dangers d'une politique de la terre brûlée qui risquait de faire fuir ses utilisateurs et ses annonceurs, d'autant que des sites se sont créés permettant d'acheter des fans.

On le dit depuis deux ans mais en 2012, il semblerait que les entreprises le comprennent enfin: le choix des technologies et des supports doit être l'aboutissement d'une stratégie et d'objectifs définis en amont, et non le contraire! «Les annonceurs sont encore immatures et trop souvent dans des logiques de retour sur investissement immédiat, comme dans les médias classiques, souligne Baptiste Cartereau, responsable social media chez Havas Digital. Ils veulent rentabiliser leurs fans rapidement, ce qui n'est pas la logique des médias sociaux, où il est question de construire une relation sur le long terme et de comprendre que les fans sont dans l'attente d'expériences de marques, de réponses à leurs questions et d'interaction avec les autres consommateurs.»

« Une prise de parole sur les médias sociaux se veut émotionnelle, engageante et pérenne. Penser "social media" pour une marque, c'est réfléchir en amont au prolongement de son identité d'un point de vue «social», c'est penser tonalité, pertinence et transparence, complète Sandrine Plasseraud, de We Are Social. Et donc d'abord réfléchir à une stratégie conversationnelle en commençant par un audit.»

Il s'agit de repérer où l'on parle de la marque et de l'entreprise (forums, blogs, twitter, instagram, Facebook, etc.) et en quels termes. Puis de comparer aves ses concurrents. Enfin, en fonction d'objectifs précis, de concevoir un «social mediaplanning» et des indicateurs de succès à valider en post-test.

Se pose alors la question du contenu. Comment activer les valeurs de la marque? Quelle histoire raconter? L'enjeu étant bien de créer de la préférence de marque, d'engager une conversation constructive avec les clients et les prospects, de développer des ambassadeurs de marques et de générer du retour sur investissement.

A cet égard, une étude de Bain & Company de septembre 2011 montre que les premières marques ayant développé leur présence sur les médias sociaux (Dell, Wall-Mart, Starbucks, JetBlue et American Express) ont réellement dégagé un profit économique de cette activité: les clients dialoguant avec les marques via les médias sociaux dépensent 20 à 40% de plus que les autres clients.

«Mener une stratégie sur les médias sociaux, c'est aussi travailler un eco-système», poursuit la directrice générale de We Are Social. Sur les forums, il s'agit d'être à l'écoute et d'intervenir - quand c'est possible - en toute transparence, via un porte-parole de l'entreprise ou un collaborateur identifié sur le forum qui pourrait devenir un ambassadeur. Sur les blogs, on recherche l'affinité. «Le fait que de nombreux blogs soient rémunérés transforme la conversation en publi-reportage», souligne Sandrine Plasseraud. Ce qui n'est pas exactement la même chose!

Les médias sociaux ont chacun des usages différents. Certains sont davantage des outils de publication (blogs, microblogs de type Twitter, Tumblr), d'autres sont des outils de partage et de création de contenus (Youtube et Dailymotion pour les vidéos, Flickr pour les photos). «Et au-delà de Facebook, il existe des centaines de milliers de sites communautaires et d'applications mobiles "social"», note Cédric Deniaud, du blog Mediasociaux.com et de The Persuaders. A l'instar d'Instagram, réseau social sur Iphone qui permet de partager ses photos, ou de Path qui propose le même service mais de manière plus privée car limité à 50 proches.

« Mais à la fin, la révolution, ce n'est pas Facebook, c'est la digitalisation de l'entreprise, poursuit-il, car l'enjeu est bien l'intégration du média Internet dans les métiers, en mutualisant les efforts dans une vision centrée sur le client. C'est aussi l'acculturation digitale de l'entreprise favorisant l'adoption de nouveaux outils et nouveaux modes de travail plus collaboratifs et réactifs.» Ce que les Américains appellent le «social business». Raphaël Roy, directeur Business Innovation de Nurun France, confirme: «Le sujet "social" va bien au-delà du média. Cette notion concerne l'entreprise dans son ensemble, la communication, le marketing, le service client, le juridique, les ressources humaines, la logistique, etc. Elle pose des questions de gouvernance et d'organisation interne, comme de savoir qui est en charge du dialogue direct.»

« Il faut se garder d'une approche conservatrice, opportuniste ou angélique des médias sociaux, poursuit ce transfuge de Procter & Gamble. La question est comment faire des entreprises socialement connectées, comment le "social" répond à une stratégie globale? Autour de la "Digital Utility", l'enjeu est bien que le digital serve le business des marques, ce qui induit une analyse critique au-delà des effets d'aubaine.» Et Raphaël Roy d'ajouter: «Je crois à une démarche proche de la sociologie et de l'anthropologie.» On respire!

 

 

 

Sous-papier:

Titre : Annonceurs et internautes dépendants de Facebook?

Mais le modèle économique de Facebook est bien celui d'une régie publicitaire. D'un côté, la plateforme doit conserver son audience, et donc ne pas faire fuir ses membres inscrits pour échanger avec leurs amis et qui ne veulent pas être pollués par les marques; et, de l'autre, sa finalité est de vendre son espace publicitaire à des annonceurs. En l'espèce, son algorithme Edgerank filtre les informations dans le flux d'activités de l'utilisateur et ne pousse que les contenus les plus «populaires» des marques dont ce dernier est fan. De fait, «seulement 15 à 20% des publications des marques sont vues par ses fans», dixit Damien Vincent.

Pour Cédric Deniaud, coauteur du blog Mediasociaux.com et cofondateur du cabinet The Persuaders, «la stratégie de Facebook vis-à-vis des marques est ainsi de les pousser à la fois à engager un dialogue qualitatif avec ses membres et à acheter de la publicité pour combler leur manque de visibilité («actualités sponsorisées» dans le flux d'activités du fan ou formats divers à droite de la page - jeu, invitation, sondage, échantillonnage, etc.), et de les inciter via l'Open Graph à l'intégration des conversations sur leur site de marque par des widgets sociaux, que sont les boutons de partage "j'aime", "je lis", "je regarde", "j'écoute".»

Cette ambition de «facebookiser» le Web est évidemment une façon de rendre les annonceurs dépendants tout en devenant indispensable aux internautes... et d'occuper le terrain face à Google et ses ambitions «social» avec Google+. «L'Open Graph est l'atout majeur de Facebook qui va permettre d'enrichir la connaissance client - le Graal des marketeurs - en rapprochant les données relatives aux fans (profils, centres d'intérêt, etc.) des bases CRM des marques, explique Laurent Buanec, directeur des nouveaux médias de Group M. Quant à Google, sa force réside dans le référencement et le développement de fonctionnalités comme le chat vidéo de groupe sur Google+, récemment utilisé par Barack Obama.»

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