Les sondages créent, pour les médias comme pour les instituts, un «effet de notoriété».

Le 16 avril, la Commission de contrôle des sondages épinglait Le Monde sur «la présentation» d'un sondage dans sa une du 10 avril, «Marine Le Pen arrive en tête des 18-24 ans». L'organisme reprochait au quotidien de n'avoir pas précisé que l'étude portait sur un sous-échantillon de moins de 200 personnes, avec une marge «d'incertitudes» importante. En revanche, le sondage «n'appell[ait] aucune critique quant à la méthode retenue et au caractère significatif des résultats établis par l'institut [CSA]», assurait-elle.
La candidate du FN y devançait d'un point celui du PS dans les intentions de vote des jeunes. Une mini-avance qui fit beaucoup de bruit, comme auparavant le «croisement de courbes Hollande-Sarkozy», ou les questions de «troisième homme».

Beaucoup de bruit... pour rien? «Le sondage est une science sociale utile lorsqu'on étudie les tendances lourdes, affirme Antoine Mercier, professeur d'information et de communication et auteur de Médias et opinion publique (CNRS, mars 2012). Les sondages montrent des dynamiques - la chute de Bayrou, l'ascension de Mélenchon. Mais les histoires de "untel qui repasse devant untel" n'ont aucun intérêt.» Repris par tous les médias qui cherchent à se vendre sur des nouveautés, ces sondages constituent cependant un bon «placement de marque» pour les sondeurs et remplissent à bon compte les colonnes de journaux ou les minutes d'antenne.

 

Les médias, apprentis sorciers

«Les journalistes politiques des rédactions sont mobilisés pour suivre des personnalités à cause de la "pipolisation" de la vie politique, explique le sociologue Jean-Marie Charon (CNRS). Ils n'ont plus le temps de créer de l'actualité (par le reportage) ou de commenter la politique (par l'analyse).» Selon lui, les rédactions ont donc recours aux sondages et ce, depuis longtemps. «Albert Du Roy [directeur général adjoint de France 2 en 1997-98] nous l'avait dit très clairement: la commande de sondages est beaucoup moins chère qu'un reportage, raconte Jean-Marie Charon. Et le résultat est attendu: il n'y a pas de “flop”. Alors qu'avec une enquête, un reportage, on peut obtenir un contenu différent de celui que l'on imaginait, moins attractif.»

Le sondage peut avec un peu d'adresse se transformer en scoop. «Quand les médias extrapolent un résultat à partir d'un sous-groupe sur un échantillon de 1000 personnes, dénonce Antoine Mercier, ils arrivent à faire dire des choses insensées en se basant sur l'opinion de 25 personnes! L'institut, lui, n'a aucun intérêt à être associé à un commentaire ahurissant, à être décrédibilisé.» D'autres estiment, de même, que les médias jouent aux apprentis sorciers alors que les instituts sont des scientifiques impartiaux. Le directeur général adjoint de l'Ifop, Frédéric Dabi, se pose en technicien: «Quand un institut publie un sondage, il engage son nom, sa réputation. Le problème est l'usage qui en est fait, comme lorsque les médias ne donnent pas les méthodes.»

Mais il poursuit en donnant un avis pour le moins «éditorialisé»: «Il peut y avoir aussi surexploitation dans la titraille: par exemple, avec un Nicolas Sarkozy au premier tour à 29%, le journal titre “Sarkozy arrive en tête”, alors que l'information principale, c'est qu'il n'arrive pas à creuser l'écart avec Hollande, alors qu'il n'y a presque plus personne à droite et cinq candidats à gauche...» Il confirme, par ailleurs, qu'il est celui qui a eu l'idée d'un autre sondage très commenté, l'élection «sans Marine Le Pen» pour le JDD: «Je l'ai soumise à Bruno Jeudy [rédacteur en chef]. En 2007, nous avions fait un sondage sans Jean-Marie Le Pen, en testant seulement les candidats qui étaient sûrs d'avoir leurs 500 signatures. Oui, cela change la donne au premier tour. Pas au second. La Commission n'a pas émis d'avis contre nous. Le sondage a été surexploité par les gens de l'UMP et du PS».

 

Ces études sont cependant vendues «avec pugnacité», selon Jean-Marie Charon, par des instituts en concurrence... La publication d'un sondage à sensation est aussi une garantie de forte notoriété qui ne peut pas totalement déplaire à l'institut dont le nom est cité. Lorsque Libération titra en une, le 9 janvier, «30% n'exclueraient [sic] pas de voter Le Pen», on n'entendit guère Viavoice protester que l'on ne pouvait décemment pas agglomérer les 12% qui n'envisageaient «probablement pas» de voter Marine Le Pen aux 18% qui se disaient «certainement» ou «probablement» disposés à le faire.

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