corporate
Christophe Coffre (Euro RSCG C&O), Pascal Couvry (Publicis Consultants), Jean-Charles Davin (TBWA Corporate) et Gilles Deléris (W&Cie) analysent les spécificités et les atouts d'un secteur souvent considéré comme de deuxième zone chez les publicitaires.

Quelles sont les spécificités de la publicité corporate? Fait-elle appel à des profils particuliers? Attire-t-elle les créatifs? Quelles sont les grandes campagnes de 2012? Réponses de quatre directeurs de création.


Pascal Couvry, directeur de la création de Publicis Consultants

Un monde à part? «Chez nous, la publicité corporate est un des outils à la disposition des annonceurs, au même titre que les relations publics ou le lobbying, alors qu'elle est au cœur d'une agence de publicité commerciale. Elle vise des cibles variées pouvant avoir des intérêts divergents et non la grande masse des consommateurs. Elle peut avoir tendance à soigner et faire plaisir à l'émetteur et non au récepteur du message. Ce qui produit des créations sans effet et ennuyeuses.»

 

Profils. «Le créatif doit avoir un intérêt pour l'entreprise et les ressources humaines, pour la politique, la société, le citoyen. Il doit pouvoir plancher sur la “copy strategy”, seule façon d'explorer toutes les facettes d'une problématique pour la synthétiser dans un message pertinent d'une grande justesse de ton et de propos. Avec le corporate, nous ne sommes pas dans «l'over-promising», le fantasme, la caricature ou l'idée préconçue. Le talent créatif ne peut suffire. Il faut être conscient des enjeux. C'est pourquoi l'expérience est importante et la moyenne d'âge des créatifs supérieure, plus proche de trente-cinq/quarante ans. Mais la publicité corporate ne sera efficace que si elle utilise les mêmes techniques que la publicité commerciale. Toute la difficulté est de mettre de la fluidité et de la légèreté dans des messages souvent complexes et lourds de sens. Si j'avais à recruter, je choisirais donc des gens d'expérience passés par des agences de publicité commerciale.»

 

Réputation. «Depuis que nous avons gagné le budget de la Sécurité routière, l'agence est repérée pour sa capacité d'expression créative. Quand les budgets et les campagnes arrivent, les candidats se font forcément plus nombreux. Pour la RATP, nous partageons le budget avec Publicis Conseil. A eux les campagnes grand public. A nous les campagnes B to B ou celles visant l'interne, les salariés et les candidats. Pour la Sécurité routière, nous faisons tout. Avec succès. Depuis la diffusion en février 2012 de «Tant qu'il y aura des morts», notre première film pour ce client, le nombre de mort a baissé de 25% par rapport à l'année précédente.»

 

Coup de cœur à l'international. «Le film Chrysler avec Clint Eastwood. On est passé d'une problématique de grande consommation consistant à vanter les mérites d'une voiture à une approche intégrant le patrimoine américain, l'activité économique de la ville de Detroit, la vie des gens, l'emploi… Avec elle, on voit bien qu'un film corporate s'adresse à toutes les facettes d'un individu et non au seul consommateur.»

 

Christophe Coffre, directeur de la création d'Euro RSCG C&O

Un monde à part? «On ne parle plus de corporate. C'est un vieux modèle. Nous parlons d'idée, de client, de sujet. Nous sommes une agence intégrée qui vient du corporate, mais qui a évolué. Nous faisons du marketing comme pour vendre un yaourt. Le ton change, mais la mécanique reste la même. La part de cœur, c'est comme la part de marché: elle n'est pas extensible. Ce qui a changé, c'est que les sujets liés à l'emploi, aux ressources humaines et au développement durable, sont devenus primordiaux. La RSE [responsabilité sociale des entreprises] est même aujourd'hui la deuxième raison d'achat des français. Ces sujets, réservés autrefois à des cibles minoritaires, sont devenus éligibles au plus grand nombre. Ce sont des sujets grand public. A l'heure où l'entreprise parle davantage de ses valeurs, à l'heure où 50% de ce qui est dit sur elle vient du grand public, à l'heure où les marques doivent créer leur audience, le niveau créatif de l'agence doit forcément être élevée.»

 

Profils. «Nos créatifs viennent de partout et beaucoup, comme moi, sont passés par des agences de publicité classique. Ils sont capables de créer cette attention au plus grand nombre, mais ils ont aussi de l'intérêt pour les sujets de société. Ils ne raisonnent plus en techniques, mais recherchent la meilleure idée. Quand le ministère de la Culture est venu nous voir pour relancer la carte musique, il pensait à une campagne télévisée. A l'arrivée, nous avons imaginé un webdocumentaire, une radio éphémère et des abribus événementiels. Tout sauf un film de publicité.»

 

Réputation. «La réputation créative de l'agence est vitale. Ils sont venus me chercher en 2011 pour la renforcer et la déployer. Mon objectif est donc de gagner des prix. Ce qui a été le cas pour l'Armée de l'air, couronnée d'un Gold au Top Com Corporate, ou encore de la carte de vœux 2012 de l'agence, primée aux IAC Awards. Les expertises de l'agence étant multiples, il est difficile de dégager une création représentative de notre savoir-faire. Disons que les Journées particulières de LVMH, qui sont à la fois du corporate et de la communication grand public, sont un bon exemple. Tout comme la plate-forme de microdon lancé sur Facebook sur le modèle du “social-gaming” pour la CCFD-Terre solidaire. Je peux également citer la saga de trois films conçus pour l'opérateur de centres d'appels Webhelp, une communication B to B devenue B to C. Elle renoue avec la comédie, la légèreté et la connivence, parfois oublié des annonceurs du B to B.»

 

Coup de cœur à l'international. «La dernière campagne absolument sublime dont j'aurais aimé avoir l'idée est celle de l'armée colombienne. Elle a enregistré et diffusé à la radio des chansons sur un rythme de morse destinées aux prisonniers militaires pour qu'ils gardent espoir. Une idée magique.»

 

Jean-Charles Davin, directeur de la création de TBWA Corporate

Un monde à part? «La publicité corporate s'adresse à des publics variés avec des attentes parfois contradictoires. Les budgets ne sont pas non plus les mêmes. Ils sont deux à quatre fois plus élevés dans le secteur de la grande consommation. Enfin, le corporate souffre d'un excès de frilosité, d'un manque de courage et d'impertinence. Une entreprise qui parle d'elle-même redevient plus sage, plus sérieuse, car elle s'adresse au consommateur tout autant qu'au marché financier, qui a besoin d'être rassuré. Dans ce secteur, tout l'enjeu est d'appliquer au corporate la qualité créative remarquable de la grande consommation. En B to B, on part de loin. La bonne nouvelle, c'est qu'il reste un vaste terrain de jeu à défricher.»


Profils. «Le corporate demande de la créativité et de la maturité dans la réflexion. Il faut une appétence pour la marche du monde. En général, un créatif qui y a goûté apprécie l'exercice. Difficile après de retourner vendre de simples produits.»

 

Réputation. «Il y a dix ans, l'agence n'avait que quatre créatifs qui faisaient de la communication de recrutement. Aujourd'hui, elle s'est structurée pour faire valoir sa créativité et gagner des prix. C'est chose faite. Notamment avec la campagne pour l'armée de terre, plusieurs fois primées. Déployée en télévision, en affichage et sur Internet, elle a obtenu des scores de reconnaissance et d'agrément époustouflants. La prochaine étape, pour nous, est d'être shortlisté à Cannes.»

 

Coup de cœur à l'international. «Les films du dernier Super Bowl, celui de Chrysler pour son parallèle entre la marque et l'Amérique, et celui de Chevrolet dont le jeu des acteurs me fait rire à chaque fois.»

 

Gilles Deléris, directeur de la création de W&Cie

Un monde à part? «La publicité corporate n'est spécifique que par la nature de ses contenus. Elle traite de sujets sensibles qui relèvent de l'humain. Et l'on ne parle pas des gens comme on parle des produits. On utilise d'ailleurs dans ce secteur le terme de parties prenantes et non de cible. Les messages s'adressent à des publics très segmentés, ce qui demande qu'ils soient d'une justesse et d'une pertinence quasiment chirurgicale. Avec un film corporate, l'entreprise affirme ses convictions, présente ses activités ou travaille la fierté d'appartenance de ses salariés. Les enjeux sont très humains.»


Profils. «Il faut plus de maturité pour comprendre et tenir compte des enjeux complexes de l'entreprise. Cela barbe certains créatifs, qui n'y voient que langue de bois et faisceau de contraintes. Mais tout le talent consiste justement à transformer ces contraintes en saut créatif. Les meilleurs savent tout faire. Ils visent l'excellence créative même si les terrains sont plus arides. Il faut aussi une posture mentale particulière capable d'associer des expertises différentes, sans hiérarchie des médias. La publicité n'est plus le nœud central de la réflexion. Chez W & Cie, nos créatifs sont tous expérimentés. Ils ont entre trente et quarante ans. Et ce ne sont pas des monomaniaques du spot de 30 secondes.»

 

Réputation. «Nous recevons beaucoup de CV, plus qu'on ne peut en honorer. Depuis qu'Atjust nous a rejoint, nous sommes plus à même d'élargir le spectre de notre offre à la publicité. En 2011, nous avons été largement primés. Le film pour RFF [Réseau ferré de France] a notamment remporté le grand prix du public Stratégies. Mais nous avons également remporté le Grand Prix du “brand content” pour une campagne du ministère de l'Education nationale contre le harcèlement des enfants.»

 

Coup de cœur à l'international. «La campagne de Greenpeace, qui a proposé aux internautes d'acheter symboliquement des pièces du bateau Rainbow Warrior III. Ou encore celle de BDDP Unlimited baptisée “Water & Ink” pour Solidarités International.»

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