Dossier
Sur fond de crise économique, la production publicitaire se donne de nouveaux horizons qui sont autant de défis: retrouver son statut, jouer la carte des talents et tester de nouvelles formes d'écriture... Une question de survie.

Difficile de se projeter dans les mois, voire même les semaines à venir. Voilà le discours que tiennent nombre de maisons de production en France. Or, avec la crise économique, ces calendriers à très court terme inhérents aux commandes publicitaires (réalisées dans des délais raccourcis) se font tout d'un coup plus pesants… Sans parler des budgets resserrés, qui entraînent les producteurs dans un combat permanent afin de maintenir une qualité d'exécution. Du coup, les pesanteurs du petit marché français donnent à beaucoup des envies d'ailleurs.

Ainsi, une jeune société comme Iconoclast s'est d'emblée positionnée pour vendre ses talents à l'international. Un basculement opéré depuis plusieurs années déjà par des précurseurs, tels Partizan, Quad, Wanda et Irène. «On ne peut plus survivre en restant uniquement sur le marché local», confirme Pierre Marcus, président de WAM (Publicis Groupe), qui a lancé WAM Londres l'an passé et regarde désormais vers le Brésil, la Chine et les Etats-Unis.

Mais la profession s'est donné d'autres horizons, nouveaux, qui sont autant de défis: retrouver son statut, jouer la carte des talents et tester d'autres formes d'écriture… Au final, c'est une question de survie.

 

1. Redonner un statut au producteur

Le producteur de film publicitaire est un patron de PME qui travaille sur commande pour des agences-conseils, travaillant elles-mêmes pour le compte d'annonceurs. Mais ce processus – établi depuis le début de la production des films publicitaires en 1968 – a fini par faire de lui un sous-traitant cantonné à la simple prestation de services. Et ce d'autant plus que le producteur, propriétaire à l'origine des images qu'il produit, cède ensuite ses droits à l'agence et à son client.

La production indépendante a également pâti des velléités des agences publicitaires plus importantes, qui se sont dotées d'unités de postproduction interne (TBWA Else pour TBWA, WAM pour Publicis Groupe et Rita pour BETC), certaines intégrant même la production. En s'offrant ainsi la possibilité de répondre directement à certaines commandes de leurs clients, les agences récupèrent désormais des parts supplémentaires du budget consacré à un film.

«Attention, WAM ne prend pas le travail des sociétés de productions françaises. Nous collaborons d'ailleurs avec nombre d'entre elles en bonne intelligence. Par le biais des filiales de Publicis, nous leur ramenons aussi des commandes, d'Asie notamment, qu'elles n'auraient jamais obtenus sans notre entremise», tient à préciser Pierre Marcus, dont la société a dernièrement coproduit avec Quad le dernier film «Odyssée» pour Cartier, récompensé par un Lion d'or en Craft à Cannes et par le Grand Prix Stratégies du luxe.

Mais le sentiment de n'être plus que l'un des maillons d'un projet sur lequel les producteurs ont perdu toute vision globale est bel et bien réel parmi un bon nombre d'entre eux. Pourtant, leur rôle et leur valeur ajoutée devraient leur donner quelques espoirs. N'est-ce pas eux qui engagent des techniciens et des artistes interprètes? Ne sont-ils pas les seuls garants du droit moral du réalisateur et de la bonne fin du film, les seuls responsables au niveau juridique, social et financier? Autant dire que le doux rêve d'un trio épuré (annonceur-agence-réalisateur), que certains caressent, est encore loin de se réaliser.

Toutefois, face à cette perte d'influence, la profession souhaite davantage institutionnaliser le statut de producteur. «Aujourd'hui, il n'y a pas de convention collective étendue au secteur de la publicité, pas de contrat type adapté aux mutations du marché actuel, et nous manquons de représentation au niveau politique. Il faudra pourtant certainement en passer par là pour redonner un statut au producteur», explique Julien Pasquier, président de l'APFP.

 

2. Miser sur les talents

Remettre les talents en avant est également un des enjeux de ce métier où, l'avancée des technologies aidant, tout le monde peut s'improviser réalisateur, voire producteur. Investir dans ses talents, parfois à perte dans un permier temps, miser sur leur développement doit rester le cœur du métier de producteur, la valeur de ce dernier s'estimant en effet par les réalisateurs qu'il a dans sa besace… Et sur ce terrain, la boîte de production qui fait parler le milieu publicitaire en ce moment est Iconoclast, après seulement une petite année d'existence. Ses dernières productions marquantes: les réalisateurs Romain Gavras pour Opium (Yves Saint Laurent) et Yoann Lemoine pour Lolita Lempicka. Du lourd donc, au point de donner envie à Jean-Baptiste Mondino de quitter la société Bandits pour rejoindre, en septembre, l'équipe formée par Nicolas Lhermitte et Mourad Belkeddar (ex-Caviar).

Leur savoir-faire: signer des réalisateurs aussi éclectiques que le chorégraphe Angelin Preljocaj (Air France) ou les ex-créatifs We Are From LA (MTV «Gif me more party»). Leur méthode: produire des clips très esthétiques pour faire la démonstration du talent de leurs réalisateurs. «Après son clip Stress pour Justice, la marque YSL a osé Romain Gavras. La preuve que cela fonctionne», explique Mourad Belkeddar.

Iconoclast n'est pas la seule société à miser sur le clip, comme vitrine, pour faire émerger ses réalisateurs dans la publicité. Ainsi, Arno Moria, producteur exécutif aux Télécréateurs, qui a lancé un label spécifique pour les clips baptisé Division, confirme: «La renommée internationale des réalisateurs français dans le clip est une des réussites des maisons de productions hexagonales.» Des clips pour des artistes internationaux aux publicités des agences de publicité étrangères, il n'y a parfois qu'un petit pas pour certains de ces réalisateurs.

Dans la même idée de mise en valeur des talents, un autre vecteur de développement créatif s'invite dans la production: l'art contemporain. Se rapprocher des galeristes, c'est l'idée de la société Cosa, maintenant devenue Standard (filiale d'Iconoclast). En septembre, celle-ci a produit un clip du groupe musical anglais Alt-J («Fitzpleasure») en y mêlant les œuvres du plasticien belge Wim Delvoye, le tout réalisé par une signature maison, le réalisateur Guillaume Cagniard. «Plutôt que de mal copier l'œuvre originale d'artistes existants, il vaut mieux les mettre au centre de projets créatifs qui offrent à leur art une exposition supplémentaire sans le dénaturer», explique le producteur Julien Pasquier. Ce dernier collabore à présent avec la galeriste Magda Danysz. «L'évolution de la diffusion de vidéos via Internet, notamment, permet aux artistes d'envisager de nouveaux horizons. L'engagement d'une marque à travers une collaboration active, qu'elle soit du mécénat ou de l'ordre d'une action marketing, peut faire aboutir des projets artistiques ambitieux», estime cette dernière.

«Une partie de notre budget doit être plus que jamais investi en recherche et développement de talents. C'est notre boulot à nous producteurs, car les agences ne le font pas. Dans cinq ans, on risque de voir de manière très forte la différence entre les sociétés de production qui auront suivi cette stratégie et les autres…», estime Arno Moria, des Télécréateurs.

 

3. S'essayer à de nouvelles formes d'écritures

Internet a explosé les formats, et ce n'est qu'un début, avec l'arrivée des tablettes et autres types d'écrans connectés. Les formats s'allongent, même à la télévision, et certaines marques pensent désormais non plus spot mais contenu. Une aubaine pour les auteurs-réalisateurs? Cela se pourrait bien. Dernière réussite du genre, «Les Dumas», une websérie produite par les Télécréateurs pour Bouygues Telecom. «Charlotte Roux et Héloïse Condroyer, les créatives de l'agence DDB, sont arrivées avec un projet déjà bien écrit. Nous connaissions aussi l'équipe Bouygues Telecom et nous savions qu'avec eux, nous pourrions pousser la créativité assez loin», explique Arno Moria qui, côté production, avec Rudi Rosenberg, l'auteur-réalisateur, transforme le projet en saga numérique. Pari gagné.

Mais produire une websérie reste un exercice périlleux et les exemples réussis ne sont pas légion. A suivre en novembre, toujours du côté des Télécréateurs, une websérie, feuilletonnante cette fois, sur la vie amoureuse et sexuelle des adolescents, avec l'agence McCann Paris. Dans le même sens, Vito Ferreri, fondateur d'Aprile Productions, confirme l'envie grandissante de ce type de projets chez les marques. Il termine tout juste le tournage d'une websérie avec le réalisateur de long-métrages François Desagnat pour une marque de loisirs. Il y a dix mois, son film de lancement avec l'acteur Edouard Baer, entre teaser et court-métrage, se voulait déjà un message en ce sens auprès des annonceurs.

La production est en train de vivre une révolution similaire à celle qu'ont vécue les agences avec l'arrivée du digital. Au-delà des nouveaux formats, le métier semble osciller entre course à la technologie et course à la création. Et le développement de l'écriture 3D en ajoute encore dans la confusion. Alors que les productions publicitaires ayant recours au film d'animation se multiplient, certains ont tendance à la considérer comme une simple technologie de plus. «C'est une erreur de fonctionner ainsi. Avec pour résultat qu'aujourd'hui, on est encore dans une sous-exploitation de cette nouvelle écriture», lance Baptiste Massé, cofondateur de la société de production Mécanique générale. Issu du print, cet orfèvre de la 3D a embarqué avec lui quelques oiseaux rares, des réalisateurs-graphistes, avec qui il projette de renouveler le film d'animation.

Enfin, autre type d'écriture nouvelle à laquelle se retrouve confronté le métier de producteur, celle centrée autour d'un événement. Autrement dit, comment produire des films – digitaux en général – qui rendent compte d'une opération grandeur nature montée par une marque? Influencée par les studios étrangers, comme Unit 9 et B-Reel, la jeune société Fighting Fish (Quad Productions) en a fait une de ses spécialités, avec des films récents pour Tic Tac ou Contrex. Captées en direct, ces opérations concentrent plusieurs technologies évènementielles comme le «stunt», le «flashmob» ou le «mapping», qu'il faut savoir rendre à l'image. «Ce type de productions fait appel à des réalisateurs différents de ceux de la publicité traditionnelle, d'où l'intérêt de se spécialiser pour savoir repérer ces talents», explique Benjamin Przespolewski, directeur de la création digitale chez Fighting Fish. «Etre novateur est la seule façon de se faire remarquer par le marché», ajoute François Brun, président de Quad Pub. Même ambiance chez Wanda, où un nouveau studio de création numérique, Wanda Digital, a été lancé le 15 octobre, intégrant la production de films et d'événements. Après les agences, le basculement lié au digital est venu à son tour réveiller les maisons de production à travers ce genre de nouveaux projets.

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