Dossier
Aux prises avec des contraintes légales et à des critiques croissantes, les laboratoires pharmaceutiques s'orientent bon gré mal gré vers un nouvel modèle de communication moins descendante, plus ouverte et plus digitale.

Fini les jours heureux! L'industrie pharmaceutique, elle aussi, connaît la crise. Soumis en France à la pression des pouvoirs publics, soucieux de réduire le coût de la santé, les laboratoires estiment avoir perdu en 2012 plus de 900 millions d'euros, du fait des baisses de prix sur les médicaments.

Et ce, alors que sur le front des génériques (copie proche d'un médicament original ou princeps dont le brevet a expiré), l'Autorité de la Concurrence vient de placer le secteur dans sa ligne de mire en 2013 afin de vérifier s'il n'existe pas "des entraves au développement" de ce type de médicament.

De fait, ce segment en plein essor (14% du marché en valeur en 2011 contre 4,1% en 2002) est bien moins juteux pour les laboratoires, qui auraient perdu au niveau mondial quelque 135 milliards de dollars entre 2005 et 2010.

Quant à la nouvelle manne de l'automédication, produits vendus sans ordonnance (Doliprane, Nicorette et autres Oscillococcinum), dont les ventes ont crû l'an dernier de 3,3 % en valeur sur un marché total du médicament en baisse, elle fait régulièrement l'objet de mise en garde: "45 % de ces médicaments sont inefficaces, inutiles, voire dangereux", rappelle le Pr Jean-Paul Giroud, pharmacologue et auteur de "Médicaments sans ordonnance, les bons et les mauvais!" (éd. La Martinière).

A ce tableau peu engageant s'ajoute un cadre réglementaire de plus en plus strict renforcé par la loi Bertrand sur la sécurité des produits de santé adoptée suite à l'affaire du Mediator (lire page xx). "Nous avons encore peu de recul quant à l'impact de ce texte qui rigidifie tout de même les choses", déclare Florence Bernard, directrice Industrie du Médicament & Santé à l'Union des annonceurs (UDA).

"Concernant les déclarations de liens d'intérêt entre laboratoires et professionnels de santé, l'UDA travaille à un projet de site tiers partagé, "Transparence Santé", pour mettre en ligne ce type d'informations", ajoute-t-elle.

L'avalanche de mauvaises nouvelles ne s'arrête pas là. Les récentes affaires liées aux contraceptifs oraux de 3e et 4e générations font à nouveau planer un air de suspicion sur les laboratoires qui par la voix de leur syndicat, le Leem, ont estimé nécessaire de rappeler le 14 janvier dernier dans un communiqué "que les médicaments sont mis sur le marché après un processus de mise au point particulièrement exigeant au vu d'une balance bénéfices-risques favorable et régulièrement réévaluée par les autorités de santé".

Le cœur du problème pour l'industrie pharmaceutique est le changement de paradigme auquel elle est confrontée depuis quelques années. La diminution du nombre de blockbusters (médicaments générant plus d'un milliard de dollars de recettes annuelles) et dont les brevets tombent les uns après les autres dans le domaine public ont cédé la place à de nouvelles thérapeutiques issues des biotechnologies. Destinées à une population plus restreinte de patients, ces dernières ne suffisent pas à compenser les ventes des produits de masse.

"Dans ce contexte, les dépenses de communication sont les premières concernées par les réductions de coûts, d'autant que ces nouvelles innovations thérapeutiques nécessitent une communication plus ciblée, pour l'essentiel en milieu hospitalier", constate Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, qui rappelle que le nombre de visiteurs médicaux est passé en cinq ans de 24 000 à 16 000. 

"Compte tenu de la baisse de la communication "produits" et des visites médicales par ailleurs moins bien acceptées que par le passé (on est passé de 8 à 10 visites en moyenne par an et par médecin à 4 ou 5), les laboratoires doivent réinventer leur relation avec les médecins et passer d'une communication descendante à une communication d'accompagnement autour de leurs besoins en matière de connaissances, de pratiques...", résume Carole Wassermann, directrice générale de Publicis Life Brands.

En diminuant son effort de communication en direction de la médecine de ville - laissant ainsi le champ libre à l'Assurance maladie et à ses propres visiteurs médicaux prônant l'usage des génériques -, l'industrie s'est repliée sur les outils de communication digitaux.

"Mais la charte actuelle sur la communication digitale relative au médicament n'est pas adaptée, elle n'intégre ni les réseaux sociaux, ni la mobilité", regrette Vincent Varlet, président du Comité Industrie du Médicament & Santé de l'UDA et vice-président exécutif Marketing et Communication de Novartis. "Il faut convaincre les pouvoirs publics qu'Internet n'est pas un moyen pour les laboratoires de contourner la réglementation", ajoute-t-il. 

L'Etat ne semble pourtant pas sourd à ce genre d'appel: le 21 décembre dernier, une ordonnance publiée au Journal Officiel en application d'une directive européenne de 2011 a autorisé la vente en ligne de médicaments en libre accès (OTC), à condition que leur vente soit effectuée à partir du site d'une pharmacie. Une transposition à laquelle l'Ordre national des pharmaciens n'a eu de cesse de s'opposer, la jugeant "inopportune et dangereuse pour la santé publique".

Pourtant, le marché n'est pas à négliger. Selon un sondage Ifop réalisé pour l'association Institut de recherche anti-contrefaçon de médicament (Iracm) et l'Union des fabricants (Unifab), 9% des Français ont déjà acquis des médicaments sans prescription via Internet et 26% y seraient disposés dans un cadre légal.

L'extrême prudence des pharmaciens vis a vis du Web se retrouve chez les industriels quand on évoque l'explosion des médias sociaux: "Les laboratoires sont souvent réticents vis à vis des réseaux sociaux", reconnaît Philippe Lamoureux du Leem, "Twitter notamment implique des réactions à chaud, or les sujets que nous traitons sont sensibles et très contraints légalement, les éléments de langage sont donc très pesés".

Les patients, eux, se sont largement emparés de ces nouvelles sources d'information. Les communautés de patients sur la Toile ne cessent en effet de fleurir depuis un ou deux ans, de CareVox à Carenity en passant par Entrepatients.

Et les associations de patients ne sont pas en reste, comme le rappelle Dalila Sid-Morhand, directrice de la communication de l'Association pour la lutte contre le psoriasis (APCLP): "Nous disposons d'un site, d'un compte Twitter, d'une page Facebook avec 1 200 fans et de deux groupes Facebook dont l'un est caché pour les patients qui ne veulent pas que cela apparaisse sur leur mur. Avec le courier et le téléphone, Internet est notre principal vecteur de communication."

En octobre dernier, suite à la diffusion d'un épisode de la série de TF1 Nos chers voisins évoquant dans un sketch le supposé caractère contagieux du psoriasis, plus de 150 messages de réprobation de la communauté de l'APCLP ont inondé la page Facebook de la chaîne qui s'est empressée de présenter ses excuses. 

Si les laboratoires sont encore prudents en matière de réseaux sociaux, ils sont toutefois de plus en plus nombreux à recourir aux nouvelles technologies, des visites à distance aux Ipad des visiteurs médicaux en passant par les applications mobiles (suivi de traitement, prise de  tension...) et par les QR code sur les notices de médicaments.

"Le développement de produits de niche et l'arrivée d'une nouvelle génération de professionnels de santé obligent l'industrie à passer d'un macro-marketing à un micro-marketing, donc à privilégier de nouveaux services et notamment des e-services en formation, sensibilisation, partage de connaissances...", plaide Florence Bernard, de l'UDA.

Depuis deux ans, des mots comme e-santé, m-santé, télésanté ou télémédecine entrent peu à peu dans le vocabulaire des laboratoires, qui d'entreprises du médicament tendent à devenir des entreprises de santé proposant des dispositifs médicaux (moniteurs de glycémie...).

Une notion de service qui peut être très large. Ainsi, Novartis est un des précurseurs en l'espèce, en contribuant depuis douze ans, entre autres à travers son site www.generation-proches.com, au développement de la "proximologie", une nouvelle aire de recherche sur les relations entre le patient et ses proches, les "aidants".

Une approche plus sociétale que les acteurs du marché appelle "communication environnementale". "Au lieu d'arriver en pompier sur des sujets de crise, les laboratoires devraient davantage participer au débat sur les grands sujets de société", lance Alain Sivan, de TBWA Adelphi, qui évoque le cas du laboratoire Roche ayant organisé l'an passé des débats sur le thème: "Jusqu'où peut-on traiter? A quel prix?" "Avec les crises sanitaires à répétition, le public a oublié l'apport considérable de l'industrie en terme d'avancées thérapeutiques", regrette Vincent Varlet.

De fait, l'opinion et les médias ont une image peu flatteuse des laboratoires, comme le montrera encore le 22 février la diffusion du magazine d'investigation Les Infiltrés de France 2 intitulé "Laboratoires pharmaceutiques, un lobby en pleine santé".

"Dans ce bruit de fond négatif, il est difficile d'émerger. Nous avons de fait un problème de légitimité pour mener une indispensable communication pédagogique notamment sur le rapport bénéfices/risques des médicaments", ajoute Philippe Lamoureux du Leem qui, du coup, a demandé aux pouvoirs publics d'engager des actions d'information auprès des patients et de l'ensemble des Français auxquels les industriels seraient prêts à s'associer.

Mais même sur ce sujet, la profession s'estime aussi menacée. Un projet de décret visant à taxer cette communication dite "environnementale" (séminaires scientifiques, campagnes de sensibilisation...) dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale leur fait craindre le pire.

Le pire serait toutefois de voir se populariser la thèse du docteur Sauveur Boukris développé dans son dernier ouvrage La Fabrique des malades (éd. du Cherche Midi) et qui dénonce la «médecine marketing» à savoir "le fait de lancer une opération de sensibilisation pour capter l'attention du public, qui, inquiet, se rendra chez son médecin et se fera prescrire un traitement". Les laboratoires ne sont décidément pas près de se débarrasser de cette image délétère qui leur colle à la peau.

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