La Silicon Valley est-elle toujours le centre mondial de la high-tech?
Sergi Herrero. Oui. La proximité de deux universités renommées, Standford et Berkeley, et la présence de sociétés de capital-risque dites «venture capital» ou «VC», comme KPCB [Kleiner Perkins Caufield Byers], Sequoia, Accel Partners ou Khosla Ventures, font de la Silicon Valley un passage obligé pour les entrepreneurs des secteurs de la high-tech et du numérique. Chaque année, ces quatre sociétés investissent, à elles seules, pas moins de 15 milliards de dollars.
Quelles sont les dernières innovations digitales là-bas?
S.H. La localisation et le paiement. Après la première vague des réseaux sociaux, les marques sont passées, avec la géocalisation, à une deuxième étape, qui leur permet d'envoyer le bon message au bon endroit et au bon moment sur les portables de leurs clients ou prospects. Une application de plus en plus intégrée aux nouveaux moyens de paiement. Square, par exemple, fondée par Jack Dorsey, cocréateur de Twitter et candidat au titre de «nouveau Steve Jobs», a vu son porte-monnaie électronique Wallet adopté par les 7 000 points de vente américains de Starbucks, qui a investi 25 millions de dollars dans cette start-up. On peut aussi citer le «peer to peer lending» (prêt de pair à pair) avec Lending Club. Cette start-up fondée en 2006 par un Français, Renaud Laplanche, met en relation emprunteurs solvables et prêteurs sans intermédiaires bancaires. Elle est soutenue par KPCB, le plus important des VC. En France, la plate-forme Prêt d'union fonctionne sur le même principe, mais pas avec le même succès, car la législation bancaire américaine est beaucoup plus souple.
L'Internet des objets est-il toujours un sujet d'actualité?
S.H. Le Consumer Electronics Show [CES], la grand messe du secteur high-tech de Las Vegas, a démontré que oui. L'année 2013 est celle des objets connectés. Parmi eux, j'ai noté le projet de Cloud Intelligence de Samsung, qui permettra de piloter toute sa domotique, mais aussi ses appareils ménagers (réfrigérateur, chauffage…), ses écrans (ordinateur, télévision…) ou son automobile grâce à des algorithmes prédictifs. Le secteur de la santé, avec plusieurs initiatives de coaching personnel et d'appareils de surveillance des performances, est également très prometteur.
L'impression 3D suscite-t-elle toujours autant d'intérêt?
S.H. Oui, mais elle reste chère. Au CES, les derniers modèles d'imprimantes 3D sont beaucoup moins encombrants, mais leur prix reste élevé, de l'ordre de 3 000 dollars (environ 2 200 euros). Cette technologie mettra sans doute un peu de temps à se démocratiser. En revanche, le mouvement «open source» et la communauté qui s'est créée autour des logiciels d'impression 3D est un phénomène intéressant. Dans ce secteur, la start-up française Sculpteo, spécialisée dans l'impression d'objets uniques pour professionnels et particuliers, a ouvert un bureau à San Francisco. Ses dirigeants passent tous les deux ou trois mois dans la Valley pour faire du «networking».
Où en est la vogue du «crowdfunding»?
S.H. En fait, ces sites de financement collaboratif n'étaient pas légaux aux États-Unis, jusqu'à l'application du Jobs Act en avril 2012. Cette loi a légalisé le recours aux particuliers pour le financement de start-up. Aujourd'hui, le site de référence reste Kickstarter, créé en 2009, qui a financé plus de 84 000 projets pour un montant de 400 millions de dollars, suivi par Indiegogo (60 000 projets) qui vient d'ouvrir un site en français. Autre nouveauté dans ce domaine du financement, c'est la possibilité d'acheter des actions d'entreprises technologiques non cotées, comme Twitter, ou de jeunes start-up, via des sites comme Angel List ou Second Market.
Les start-up françaises réussissent-elles à s'implanter dans la Silicon Valley?
S.H. Nous commençons à voir venir beaucoup d'entrepreneurs français qui restent de quelques jours à quelques mois, mais peu réussissent à s'implanter. Le premier frein, c'est le montant du visa d'investisseur, qui est de 200 000 dollars minimum. La deuxième barrière, c'est l'immobilier. Palo Alto, métropole de la Silicon Valley où siège Facebook, est la seule ville des États-Unis où le prix de l'immobilier n'a cessé de grimper depuis dix ans. Le loyer minimum actuellement est de 1 600 dollars par mois. Et encore, c'est le prix pour une chambre en colocation. Quant aux frais de scolarité, ils s'élèvent à 15 000 dollars par an et par enfant. Le troisième obstacle, c'est la manière dont les Français approchent les VC, avec un discours très européen. C'est efficace pour emprunter de l'argent à une banque, mais pas du tout pour séduire les investisseurs américains. Les start-up hexagonales ont une approche patrimoniale: je monte une boîte, je la fais prospérer et la donne à mes enfants. Ici, les entrepreneurs souhaitent vraiment changer le monde. Ils montent une société pour la faire grossir et la revendre après trois ou quatre ans maximum. Si on fait une analogie avec le football, nous, Français, sommes en Ligue 1, et les américains en Champions League. Pour chaque entrepreneur français qui arrive, son équivalent américain est habitué à jouer contre les Microsoft ou Apple. C'est un marché très, très compétitif.
Un exemple de réussite française?
S. H. Celle de Carlos Diaz, l'instigateur du mouvement des «Pigeons», fondateur de Kwarter, mais aussi de l'agence digitale Reflect, devenue Emakina France, et de Blue Kiwi, une société qui commercialise des logiciels de création de réseaux sociaux d'entreprises. Kwarter, c'est le «second screen device» (la solution du second écran), une application sociale pour smartphone ou tablette, orientée dans les sports américains. Le logiciel crée un pont entre les deux écrans en mettant en relation la communauté des fans. Côté annonceurs, il propose aux marques des jeux à vivre en direct, du type si tel joueur marque, la pizza est offerte. Kwarter vient de lever 4 millions d'euros auprès des fonds T-Ventures et Kinetic Ventures. Dans la Valley, le premier million de dollars est encore facile à lever. Mais la deuxième phase, qui consiste à réunir entre 2 et 4 millions, est devenu très difficile. Le fait que Carlos Diaz ait réussi est une bonne nouvelle pour les entrepreneurs français.
Apple, entreprise emblématique de la Silicon Valley, est-elle en perte de vitesse?
S.H. Les meilleurs jours sont derrière elle. Le «business model» de l'entreprise, avec 37% de son chiffre d'affaires dépendant de l'Iphone, me laisse sceptique. Ils ont inventé le marché des smartphones, mais ils ne sont plus seuls, avec Samsung ou Google, dont le système Android fonctionne très bien pour moins cher. Apple a toujours été bon pour faire un seul produit très performant: le Mac, l'Ipod, l'Iphone ou l'Ipad. Changer ce modèle est compliqué. D'où la chute du cours de son action entre septembre 2012 et janvier 2013. Malgré son trésor de guerre de 137 milliards de dollars, l'entreprise n'achète par ailleurs pas assez de sociétés tierces. A titre de comparaison, Google s'offre deux start-up par semaine! Enfin, Apple continue à tout faire en interne. Or, cette stratégie est moins souple et surtout moins rapide.
Quelles sont les dernières tendances en matière de publicité digitale?
S.H. L'avenir, c'est le mobile. Les «ad-exchanges» mobile, comme Ad Mob, racheté en 2009 par Google pour 750 millions de dollars, n'ont pas encore trouvé la bonne formule. C'est aussi le gros challenge de Facebook. Pour l'instant, les seuls à avoir réussi à gagner de l'argent avec la publicité sur mobile, c'est Twitter.
Et le dernier réseau social à la mode en Californie?
S.H. Snapchat, un site d'échange de photographies sur les mobiles, des photos éphémères qui disparaissent après envoi, un Chatroulette mais sans les tchats et les gens nus…