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En 2013, le marketing participatif est roi. Salariés et consommateurs apportent des idées aux entreprises, qui misent plus que jamais sur des stratégies d'innovation ouvertes.

Si 2013 a été qualifiée «d'année du co» par Marian Salzman, présidente d'Havas PR en Amérique du Nord, c'est parce qu'il devient difficile de résister aux logiques de cocréation qui émergent aujourd'hui un peu partout dans le monde. Dans la lignée des «stratégies communautaires» développées par les marques afin d'entrer en conversation avec les internautes, le marketing participatif se développe sous de multiples formes, bousculant plus ou moins fortement le fonctionnement des entreprises.

 

Plus ou moins, car tout dépend des outils choisis pour innover: «focus group», «brainstorming», observation des communautés en ligne, recours à une agence, à une école de design, concours de créativité, mais aussi «crowdsourcing». «Les paradigmes changent et l'innovation ne peut plus être descendante, explique Pascal Ansart, spécialiste du conseil en stratégie chez Price Waterhouse Coopers (PWC). L'entreprise doit apprendre à lâcher prise et à tendre la main à des publics auxquels elle n'avait pas l'habitude de s'adresser en ces termes.»

 

Les logiques cocréatives sont devenues si indispensables aujourd'hui pour le cabinet de conseil qu'il a conclu un partenariat exclusif il y a un an avec Experience Cocreation Partnership, une structure créée par le professeur franco-américain Francis Gouillart, coauteur de L'Entreprise cocréative. Clients, employés, fournisseurs… Quand l'organisation s'ouvre à ses partenaires (éditions Vuibert, 2011). Objectif: faciliter, chez les clients de PWC, les démarches d'innovation participative. «Les mots et les attitudes exprimés dans ce processus d'ateliers concentriques permettent de saisir 90% de l'expérience client», explique le spécialiste, pour qui cette approche transforme les études de marché conventionnelles.

Que font les entreprises en matière de crowdsourcing? L'approche d'innovation partagée la plus répandue consiste à solliciter une communauté d'utilisateurs pour répondre à un besoin donné.

En témoigne le succès d'Eyeka, qui organise des concours créatifs en ligne pour des groupes aussi prestigieux que Danone, Unilever ou Procter & Gamble. Depuis quatre ans, plus de 500 concours ont été réalisés pour 300 marques différentes. «Nos clients nous sollicitent pour inventer un nouveau produit, développer l'usage d'une technologie, trouver un positionnement marketing, imaginer un packaging», explique Yannig Roth, en charge de la veille au sein de cette communauté internationale de quelque 235 000 membres.

Citroën, qui a organisé un concours de personnalisation de la citadine DS3 sur Eyeka, reconnaît avoir été attiré par la taille du réseau: «Nous voulions communiquer et tester le positionnement du modèle auprès d'un large public de créatifs», explique Philippe Claverol, responsable de la ligne DS. Pour lui, «la cocréation s'insère à merveille dans le positionnement créatif de Citroën» et justifie l'organisation, depuis 2010, des Citroën Creative Awards: ce concours de créativité invite qui le souhaite à imaginer une tenue assortie à un véhicule ou une application mobile facilitant la vie des conducteurs. En 2013, la marque a reçu un millier de propositions et soumis 59 contributions au vote du public.

Appel aux différents publics

Pour d'autres entreprises, l'innovation ouverte n'est pas nouvelle. C'est le cas d'Orange, qui explique pratiquer la coconstruction depuis toujours. «Un opérateur est obligé de développer des offres avec l'ensemble de son écosystème, explique Xavier Perret, en charge des partenariats stratégiques. Les SMS, les normes de compression vidéo ou les services liés au livre numérique sont issus d'un travail de codéveloppement inscrit dans les gènes de notre activité.»
Le développement des offres passe ainsi par la complémentarité des savoir-faire, tel le travail effectué sur le prototypage d'Aldo, un assistant de mobilité personnel développé entre ALD Automotive, Orange Business Services et plus de 500 «bêta-testeurs». Enfin, l'entreprise sollicite également ses clients: sur Sosh.fr, ils sont 160 000 à déterminer l'évolution de l'offre (142 idées ont abouti) et à venir aux «meet-up» pour faire le point sur les idées proposées. Sur Le Cloud Pro, les clients professionnels ont évalué 200 solutions avant de retenir les vingt contenues dans l'offre actuelle.

D'autres entreprises se sont ouvertes à la cocréation à l'initiative de leurs collaborateurs. En témoigne la dynamique initiée par Casino avec le site Internet Cvous.com, pensé par des salariés, quatre «jeunes talents» récompensés lors d'un concours interne organisé en octobre 2011 pour réfléchir à l'avenir de la marque. «Nous avons imaginé un site d'échange entre consommateurs permettant de cocréer l'offre des enseignes du groupe en garantissant la transparence, l'honnêteté et l'amélioration continue de la relation client», explique Adrien Moreira, alors chef de produit dans l'entreprise. Séduite, la direction lui a donné pour mission, avec ses trois collègues, de superviser ce site à temps plein. Aujourd'hui, il enregistre près de 30 000 inscrits, à l'origine de 350 idées concernant l'amélioration des magasins ou des produits mis en vente.

Le même soin a été apporté à la clientèle sur Castore, la plate-forme de cocréation et de téléchargement d'applications bancaires du Crédit agricole ouverte en septembre 2012. «Les clients consultent de plus en plus leur compte avec leur téléphone ou leur tablette, et ils ont plein d'idées: pour offrir une gamme d'usages adaptée à leurs besoins, nous ne pouvions que leur faire appel», explique Bernard Larrivière, directeur de l'innovation à la Fédération nationale du Crédit agricole (21 millions de clients).
Le dispositif a été conçu afin que les idées d'applications les plus plébiscitées soient réalisées par les membres d'une coopérative de 200 développeurs («les digiculteurs») réunie pour l'occasion. «Le Crédit agricole n'intervient pas dans les échanges, l'essentiel de notre investissement concerne les règles de sécurité», précise Bernard Larrivière, fasciné par cette application qui indique la probabilité d'être à découvert ou celle qui simplifie la gestion des notes de frais. Au total, 18 applications ont été inventées, le site enregistre environ 100 000 visites par mois et la banque vise le million d'utilisateurs d'ici trois ans, soit 5% de ses clients.

Engrenage révolutionnaire

La cocréation en entreprise peut aller plus loin. Comme utiliser l'expérience client accumulée par les personnels pour adapter le management. Exemple avec la démarche «Bienvenue à La Poste», qui prouve à quel point cocréer est une histoire d'écoute, de confiance et d'organisation.
Lorsque Jacques Rapoport, alors directeur général du réseau des bureaux de poste, demande à l'un de ses directeurs exécutifs, Julien Têtu, d'expérimenter en région lyonnaise une démarche participative permettant de transformer l'accueil des clients, celui-ci ne s'attendait pas à mettre le doigt dans un engrenage collaboratif aussi révolutionnaire pour l'enseigne. «Ce projet d'établissement, étendu à chacun des 10 000 bureaux de poste, a permis aux équipes de dialoguer librement sur les atouts et les difficultés de l'équipe, et d'inventer localement le meilleur chemin pour améliorer le quotidien du bureau, des clients et des postiers qui les accueillent.»

Après dix mois d'élaboration des outils, la formation des 3 000 managers et deux ans de lancement d'échanges participatifs auprès des 60 000 postiers, La Poste a totalement réaménagé ses bureaux et réduit le temps d'attente de sa clientèle (de plus de huit minutes pour une lettre recommandée en 2008 à moins de deux minutes en 2012). «Nous avons choisi de faire des pires maux que nous rencontrions les objectifs majeurs de changement. Nous recueillons maintenant 95% de satisfaction à la sortie de nos bureaux, soit 13 points de plus qu'en 2007», résume celui qui est désormais directeur exécutif de l'enseigne pour l'Île-de-France.

De l'opération de communication au process de travail, en passant par la transformation plus radicale de l'entreprise et de son organisation, la cocréation prend ainsi de multiples chemins. Une révolution est en marche.

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