Dossier
Touchés de plein fouet par le ralentissement publicitaire, les quotidiens gratuits d’information n’ont d’autre choix que de multiplier les innovations éditoriales et publicitaires pour tirer leur épingle du jeu. Reste à voir s'ils survivront tous à cette crise.

La France compte-t-elle un gratuit de trop? Si la question ressemble à un serpent de mer, le ralentissement actuel du marché publicitaire lui redonne toute sa pertinence. Certes, les quotidiens gratuits d'information ont bien résisté en 2012, avec une croissance de leurs recettes publicitaires brutes de 6,3%, selon Kantar Media, quand l'ensemble de la presse a reculé de 2,3%. Avec les quotidiens régionaux, c'est le seul segment de presse à avoir progressé l'an dernier.
Le début d'année est plus compliqué. En janvier, leurs recettes de publicité ont reculé de 9,6% en valeur et de 25,5% en volume, quand le secteur de la presse dans son ensemble a perdu respectivement 3,4% et 6,4%. «On sent que le marché est tendu, y compris pour les gratuits», note Véronique Priou, directrice du pôle presse chez Vivaki (Publicis).
Signe de cette tension palpable, Metro a suspendu sa parution durant une semaine début mars quand 20 Minutes n'est pas sorti les 4 et 5 mars, anticipant une baisse de la fréquentation des lieux de distribution et un ralentissement de l'achat d'espace publicitaire en raison des vacances scolaires.

 

20 Minutes, seul gratuit rentable

Si elle devait durer, cette crise fragiliserait le modèle économique des gratuits et donc leur existence. D'autant que onze ans après le lancement de Metro et de 20 Minutes, six ans après celui de Direct Matin, seul un gratuit sur trois est rentable. Qu'en sera-t-il une fois la crise passée? Auront-ils tous survécu?
«Je n'ai pas une vision malthusienne du marché. A chacun de trouver son positionnement pour atteindre l'équilibre», estime Edouard Boccon-Gibod, président de Metro France, qui vise le point mort en 2014. Racheté à 100% par TF1 à l'été 2011, le titre a depuis regagné en attractivité grâce à un repositionnement éditorial sur l' «infotainment», un format réduit et une stratégie marketing plus offensive.
Résultat, Metro a vu ses recettes brutes bondir de 15,9% en 2012, quand 20 Minutes a progressé de 5,5% et Direct Matin reculé de 0,5%. En nombre de pages en revanche, seul 20 Minutes progresse sur un an. «Dans les plans média, Direct Matin arrive souvent en complément de 20 Minutes ou de Metro, c'est la cerise sur le gâteau», estime Véronique Priou de Vivaki.
En diffusion également, Direct Matin est à la traîne. En 2012, le gratuit du groupe Bolloré a reculé de 9,4%, à 909 837 exemplaires chaque jour, selon l'OJD, abandonnant à 20 Minutes le titre de quotidien le plus distribué de France (979 440 exemplaires, +0,2%). De son côté, Metro est quasi stable (754 437 exemplaires, -0,2%). Ces quelque 200 000 exemplaires de moins permettent à Metro d'économiser autour de 5 millions d'euros par an. La course au million d'exemplaires semble bel et bien derrière.
«En 2011, nous voulions être le premier quotidien à franchir la barre du million, se souvient Jean-Christophe Thiery, président de Direct Matin. Aujourd'hui, avec la nouvelle étude d'audience One, la diffusion reste importante mais l'axe essentiel de notre développement est de progresser en audience.»
Pour y parvenir, le quotidien a basculé le 1er juillet 2012 l'ensemble de ses dix éditions (Marseille Plus, Lille Plus, Bordeaux 7...) sous la marque unique Direct Matin. Pour le groupe Bolloré, il y a urgence: à niveau de diffusion équivalent, Direct Matin est loin derrière 20 Minutes en audience. Le premier touche chaque jour 2,8 millions de lecteurs, presque autant que Metro qui diffuse pourtant 150 000 exemplaires de moins. De son côté, 20 Minutes affiche une audience de presque 4,4 millions de lecteurs quotidiens.
«Nous talonnons Metro alors que nous sommes partis cinq ans après les autres, se défend Jean-Christophe Thiery, qui vise lui aussi l'équilibre pour 2014. De plus, 20 Minutes et Metro s'appuient sur de grands groupes médias, ce qui n'est pas notre cas. Etre là où l'on est aujourd'hui est une performance à saluer.»

 

Direct Matin, partenaire de la PQR   

Quel que soit le titre, tous semblent avoir atteint leur rythme de croisière en termes de couverture du territoire. Avec des stratégies très différentes. D'un côté, Direct Matin se concentre sur 14 grandes villes, fort de son partenariat avec la presse quotidienne régionale. En revanche, celui qu'il avait signé avec Le Monde lors de son lancement n'a pas été renouvelé en janvier 2012 et le quotidien du soir, qui détenait au départ 30% de Direct Matin, n'a aujourd'hui plus qu'une participation de l'ordre de 1%.
«Ces 14 villes nous suffisent pour toucher l'essentiel de nos cibles: 75% du public que nous visons se trouvent dans ces 14 grandes agglomérations. Pour toucher 100% de ces cibles, le coût marginal deviendrait très élevé», assure Jean-Christophe Thiery.
Objectif pour le gratuit, être partout où les lecteurs potentiels passent, à savoir les urbains CSP+ de moins de 50 ans. C'est ainsi qu'en plus de son partenariat avec la RATP, qui lui permet d'être le seul gratuit distribué directement dans les stations du métro parisien, Direct Matin a annoncé début janvier un partenariat avec les centres commerciaux Unibail-Rodamco dans huit grandes villes. «Notre objectif est de rester numéro un en diffusion dans les 14 villes où nous sommes», souligne le président de Direct Matin.

De leur côté, 20 Minutes et Metro ont adopté une stratégie de maillage du territoire beaucoup plus fine, avec 40 villes couvertes pour le premier, 36 pour le second, les deux titres diffusant une même édition nationale dans les communes de plus petites tailles. «Nous garantissons à nos annonceurs plus de 90% de la population urbaine active», souligne Edouard Boccon-Gibod, selon qui les revenus publicitaires de Metro sont réalisés pour les deux tiers sur la publicité nationale et pour le tiers restant sur la publicité locale et multivilles.
«Nous ne nous interdisons rien», répond Olivier Bonsart, le nouveau PDG de 20 Minutes, quand on l'interroge sur les projets de déploiement du journal. «Mais il y a un danger à aller trop vite», ajoute celui qui a succédé à Pierre-Jean Bozo en septembre 2012.
Dans ce contexte, chacun veut optimiser sa diffusion et les outils marketing ne manquent pas pour y parvenir. Dernier en date, l'open data de la RATP, ces données que l'organisme collecte sur la fréquentation du métro parisien grâce à la validation par les usagers de leur pass Navigo. Chez Metro, la distribution du journal a ainsi été étendue à quatre nouvelles stations. «Nous aurons bientôt la même chose sur les bus et les tramways», se réjouit Edouard Boccon-Gibod.

 

Metro, vers de nouvelles déclinaisons

Autre axe de développement pour la presse gratuite d'information, outre les activités numériques (lire page suivante), les déclinaisons de marque. Comme Direct Soir l'avait fait il y a quelques années avec le sport et les femmes, Direct Matin travaille au lancement cette année de suppléments thématiques.
De son côté, Metro s'est associé fin 2012 au site Melty pour parler à la communauté étudiante. Le gratuit vient également d'annoncer un partenariat avec la start-up Job à proximité, une plateforme de recherche d'emploi en ligne basée sur la géolocalisation. «L'un de nos objectifs cette année est de développer la marque Metro sur d'autres territoires que l'information», souligne Sophie Sachnine, directrice générale du quotidien.
En période de crise publicitaire, les opérations spéciales sont également un relais de croissance précieux. 20 Minutes, Metro et Direct Matin ont tous bien compris que le «street marketing» était particulièrement en adéquation avec leur modèle de distribution. «La presse quotidienne gratuite permet d'événementialiser une campagne grâce au sponsoring de rubrique, au brand content, au marketing de rue, à l'échantillonnage... Et c'est un média tout à fait abordable», estime Véronique Priou de Vivaki.
«C'est un élément de diversification qui est dans l'ADN de Metro», explique Edouard Boccon-Gibod, selon qui plus de 12 millions d'éléments ont été distribués par ses colporteurs l'an dernier. 20 Minutes n'est pas en reste: parmi les premières décisions qu'il a prises lors de son arrivée à la tête du quotidien, Olivier Bonsart a créé une cellule de six personnes «partenaire des marques» intégrée à la rédaction.

«20 Minutes n'est pas qu'un support publicitaire, nous sommes un partenaire marketing de référence pour toucher le consommateur actif urbain de 15 à 49 ans», martèle Renaud Grand-Clément, directeur général adjoint en charge des revenus. L'avenir des gratuits passera par les marques ou ne sera pas.

 

TABLEAU DE BORD :

 

Les trois quotidiens gratuits en chiffres

 

Metro

 

Date de lancement : 18 février 2002
Actionnaire : groupe TF1
Diffusion OJD 2012 : 754 437 exemplaires
Audience (Audipresse 2011-2012) : 2 923 000 lecteurs
Chiffre d'affaires 2012 : 35,5 millions d'euros (+6%)
Résultat opérationnel 2012 : -4 millions d'euros
Couverture : 36 villes
Rédaction : 50 journalistes en CDI

 

20 Minutes

 

Date de lancement : 15 mars 2002
Actionnaires : 50 % Schibsted, 50% groupe Sipa Ouest-France
Diffusion OJD 2012 : 979 440 exemplaires
Audience (Audipresse 2011-2012) : 4 377 000 lecteurs
Chiffre d'affaires 2012 : 58,4 millions d'euros (-3,6%)
Résultat opérationnel 2012 : 1,5 million d'euros
Couverture : 40 villes
Rédaction : 93 journalistes

 

Direct Matin

 

Date de lancement : 6 février 2007
Actionnaire : groupe Bolloré
Diffusion OJD 2012 : 909 837 exemplaires
Audience (Audipresse 2011-2012) : 2 824 000 lecteurs
Chiffre d'affaires 2012 : 30 millions d'euros (=)
Résultat opérationnel 2012 : -5 millions d'euros
Couverture : 14 villes
Rédaction : 45 journalistes

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