Dossier agences medias

L'année 2013 devrait être mouvementée pour les agences, avec des prévisions d'investissements médias préoccupantes. Pour autant, les agences médias sont d'ores et déjà réactives: elles affinent leurs offres, se sont bien positionnées sur les «ad-exchanges», prennent à bras le corps les questions du «data» et du «second écran», sans oublier la gestion des dossiers réglementaires…

 

1. Une conjoncture tendue

Les chiffres ne sont guère encourageants. Les prévisions d'investissements médias pour 2013, déjà préoccupantes fin 2012, ont été revus à la baisse. OMD table ainsi sur un recul de 4,1% en France cette année, avec une baisse de 6,5% pour la télévision et la presse, de 2,5% pour la publicité extérieure et une stagnation pour la radio. Seule la publicité sur Internet devrait être en hausse, de 3%, ainsi que les investissements sur les mobiles (+65%), qui ne représentent cependant que 1,8% des dépenses en ligne, selon le Syndicat des régies Internet (SRI).

«Les investissements clients sont en baisse de plus en plus forte, tout comme les prix des médias, en valeur et en volume. La chute des ventes de la presse pousse à une concentration des volumes publicitaires, il y a donc une baisse des revenus des journaux, qui diminuent leur diffusion en volume», avertit Bertrand Beaudichon, vice-président d'Omnicom Media Group et président de l'Union des entreprises de conseil et d'achat média (Udecam).
«On observe une frilosité des annonceurs qui sont attentistes. Nous faisons face à une crise macroéconomique et une forte évolution du paysage des médias, avec de nouveaux entrants dans la TNT, des évolutions technologiques et des changements d'usages»
, estime de son côté Luc Tran-Thang, président de Starcom (Publicis Groupe). «Il y a certes une certaine inquiétude par rapport à la presse, mais contrairement à 2009, les annonceurs ne baissent pas trop leurs budgets», tempère Dominique Delport, PDG de Havas Media France et nouveau patron opérationnel de Havas Media Group.

Conséquence indirecte de ce climat, l'accélération des compétitions (lire page 32). «Avec la crise, on a une accélération des appels d'offres. Nos clients sont dans des secteurs très sensibles à la conjoncture et à l'évolution des prix des matières premières. Certains ont revu leur budget à la baisse depuis le début de l'année. La direction des achats est d'ailleurs de plus en plus intégrée dans les processus de décision, dans une logique d'optimisation», résume Alexandra Chabanne, coprésidente de Group M Interaction.

2. La professionnalisation des ad-exchanges

Depuis leur arrivée en France en 2011, les ad-exchanges (places de marché publicitaire digital) ont changé la donne dans l'achat d'espace, avec un nouveau modèle économique, le «real-time bidding» (RTB, ou vente aux enchères d’espaces publicitaires en temps réel) sur des plates-formes ad hoc. Depuis, plusieurs agences médias ont lancé leur «trading desk» (service prenant en charge l'achat de l'espace publicitaire sur les ad-exchanges, ou autre DSP, «Demand Side Platforms»). La plupart ont créé des entités pour les gérer: Affiperf (Havas Media), Amnet (Aegis Media), AQN (OMD), Audience on Demand (Vivaki), etc. Pour sa part, Group M France a lancé, en septembre 2012, Group M Trading Desk, qui permet aux agences d'aller se connecter à différentes sources d'inventaire – les places de marché – en fonction des demandes des annonceurs. L'avantage: «L'industrialisation de l'achat permet de ne payer que pour une audience qualifiée», souligne Thierry Jadot, président d'Aegis Media France. Assurément, cette bascule va de pair avec «la “digitalisation” du paysage média [qui] s'accélère avec le développement des trading desks. En Grande-Bretagne, début 2013, 40% du volume de “display” passait par les ad-exchanges», estime Dominique Delport, d'Havas Media France.

Une nouvelle opportunité pour les médias historiques? Plusieurs, en tout cas, ont lancé leur ad-exchange depuis 2012. «Cela leur permet d'effectuer un meilleur ciblage. Cette année-là a été un tournant pour les éditeurs médias, qui se sont adaptés à cette nouvelle donne», estime Luc Tran-Thang, de Starcom. Sur sa plate-forme AOD, Vivaki (Publicis Groupe) a d'ailleurs progressivement lancé plusieurs inventaires: sur Internet, en vidéo et sur mobile.

L'agence indépendante My Media dispose, quant à elle, d'équipes spécialisées dans le «search», et travaille depuis septembre 2012 avec le trading desk Trade Spotting. «Cela nous a permis de diviser par six nos coûts d'acquisition clients, précise le président-fondateur de l'agence, Anthony Ravau. Mais le marché tend de plus en plus vers le RTB. Jusqu'où cela ira-t-il?»

 

3. La data

La «data», terme générique pour les masses de données issues de sources multiples, qui doivent être exploitées au mieux pour optimiser les achats à la performance. «Il y a une richesse des données qu'il faut gérer et exploiter. Cela passe par des tableaux de bord, des statistiques… Cela permet, par exemple, un ciblage du trading desk, pour la segmentation des clients», détaille Sébastien Danet, le président de Vivaki. Un enjeu intrinsèquement lié aux ad-exchanges, donc. «Il n'y a plus d'investissements médias en silo. La data permet de faire le lien entre les différents canaux, de mieux comprendre le parcours du consommateur, dont les points de contacts sont de plus en plus multiples. Cela permet de passer d'un système d'orchestration des médias à une intégration intermédias», ajoute Luc Tran-Thang.

Plusieurs agences se sont dotées récemment d'entités data: Performics (Vivaki/Publicis) vient de finaliser son offre, Zenith-Optimedia a une équipe ad hoc d'une dizaine de personnes tout comme Starcom, sans compter la vingtaine personnes au sein de Vivaki sur lesquelles les deux filiales de Publicis peuvent s'appuyer. Chez Aegis Media, Posterscope et Isobar ont aussi des structures en propre.

Cette abondance de données est nourrie par «une audience toujours plus fragmentée et plus “sociale”, où chacun produit un nombre incroyable de data en s'exprimant sur des médias sociaux. On est dans un monde où l'on passe du médiaplanning à l'audience planning», analyse Dominique Delport, PDG d'Havas Media France. «L'avantage, c'est qu'il s'agit de données volontaires fournies par des gens directement en ligne. Ils n'aiment pas remplir des formulaires, mais tweetent et “likent” sur Facebook», ajoute Raphaël de Andreis, CEO d'Havas Media France.

 

4. Des médias toujours plus «sociaux»

La consécration de la télé «sociale» («social TV») n'a pas échappé aux agences médias, alors que les internautes sont de plus en plus nombreux à commenter les programmes sur les réseaux sociaux, des émissions de télé-réalité aux séries TV (voir enquête dans Stratégies n°1712 du 21 février 2013). «On observe 10 à 20% d'audience supplémentaire sur la diffusion différée des séries. Avec les médias sociaux, il y a une capacité à générer du bruit autour d'un contenu avant, pendant et après sa diffusion. Il y a création d'interactions, cela évite que les gens ne quittent l'émission en cours», estime Dominique Delport.

Le précédent de la séquence-culte de Nabilla dans Les Anges de la télé-réalité les fait réfléchir. «L'instant replay pourrait influer sur les émissions. On pourrait imaginer des moments de “climax” d'audience, voire des instants décalés avec des marques partenaires», indique Raphaël de Andreis.

Et, de fait, Twitter lui-même a bien l'intention de nouer des liens plus étroits avec la télévision, surfant sur l'effet «second écran»: c'est en ce sens qu'il a fait l'acquisition en début d'année de Bluefin Labs, société d'études spécialisée dans la social TV, et qu'il vient de signer un partenariat publicitaire avec Starcom, révélait le Financial Times le 22 avril. L'idée est de proposer aux marques un accès publicitaire privilégié au réseau social ainsi qu'aux outils de recherche, données et nouveaux produits de Twitter.

Autre cas d'école révélant la puissance des médias sociaux, celui de la marque Oreo. En plein Super Bowl, le 3 février dernier, alors que l'écran publicitaire était interrompu par une coupure d'électricité, les créatifs de la marque ont bricolé en quelques minutes une publicité diffusée directement via Twitter. Un simple visuel, avec un des célèbres biscuits qui semble produire de la lumière, accompagné du slogan «You can still dunk in the dark» («On peut toujours faire trempette dans le noir»), le verbe «to dunk» faisant référence au rituel américain qui consiste à tremper son Oreo dans du lait. «Buzz» assuré.

«Les tweets en direct d'émissions font maintenant partie des points de contacts que peuvent avoir les marques avec les consommateurs. Mais il faudra être capable de mesurer et de quantifier cette audience et son impact», note Luc Tran-Thang.

 

5. La rémunération à la performance

Et si la loi Sapin du 29 janvier 1993 était en partie caduque? En tout cas, elle ne serait plus tout à fait adaptée au développement de nouvelles activités, dont celle des ad-exchanges, qui impliquent que les agences médias, de facto, jouent le rôle de régies publicitaires. Car d'après celles-ci, une agence médias ne peut avoir son propre ad-exchange, ne pouvant percevoir des revenus des régies publicitaires.

Une évolution des activités qui pose par ricochet une autre question, objet de revendication des agences médias: l'évolution de leur mode de rémunération. «Il va falloir revoir le système de rémunération des agences médias. Il est actuellement largement basé sur le pourcentage de volume acheté, ce qui est obsolète. Il devrait désormais l'être sur des honoraires et sur le temps passé. Il faut aussi prendre en compte le temps passé sur le coût économique des compétitions. On devrait être rémunérées comme des agences faisant de la performance marketing et non de l'achat», estime Bertrand Beaudichon, d'OMG et de l'Udecam. Un argument repris par bon nombre d'agences médias. «Il faut sortir du modèle de la commission pour passer à celui de la rémunération au temps passé. Ce sera d'autant plus indispensable si les volumes de publicité continuent de chuter», souligne Sébastien Danet, de Vivaki.

Des négociations pour arrêter une position commune sont actuellement en cours entre l'Udecam (Union des agences médias), le SRI (Syndicat des régies Internet) et l'UDA (Union des annonceurs).

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