Olivier Mauco, consultant, concepteur de serious games et spécialiste du «gaming» en entreprise, tient le blog «Game in society». Il fait le point sur le rôle du jeu dans le management.

Le «gaming» a mis du temps à être pris au sérieux dans les entreprises françaises. Pourquoi?

 

Olivier Mauco. Il y a toujours eu des salariés qui faisaient du «gaming» sans le savoir dans les sociétés, à commencer par le directeur marketing quand il organisait des jeux concours... Mais la perception du jeu a nettement évolué ces dernières années: avant, on nous demandait de créer des jeux très sérieux, car il y avait toujours un soupçon de légèreté. Maintenant, au contraire, il faut que ce soit sympa, car les dirigeants ont compris que c'était aussi une façon de travailler leur image.

 

Dans le même temps, les «serious games» sont devenus incontournables...

 

O.M. Depuis 2009, on constate le décollage des «serious games» dans les groupes du CAC 40 et même du SBF 120, avec un pic en 2011 et 2012. Il y a, bien sûr, un côté moutonnier à cette adoption massive: il fallait se lancer pour faire comme les autres. D'ailleurs, la progression s'est un peu tassée en 2013. Mais toutes ces entreprises, après avoir exploité un premier jeu pendant 3-4 ans, se demandent aujourd'hui ce qu'elles peuvent faire d'autre. Certains groupes commencent à passer à l'étape supérieure, en établissant des contrats cadres sur plusieurs années.

 

Combien ce marché des «serious games» représente-t-il? Est-ce une activité rentable pour les agences?

 

O.M. Il faut compter entre 80 000 et jusqu'à 200 000 euros l'unité, grand maximum, pour ce type de jeu. Aujourd'hui, ce marché est géré par les agences spécialisées en communication événementielle ou corporate. En effet, ces jeux doivent s'inscrire dans un dispositif de communication global. Même si ces agences sous-traitent bien souvent la conception à d'autres acteurs, car cela requiert de multiples compétences techniques. Mais les agences continuent de réaliser une marge confortable sur les «serious games».

 

Après la mode des jeux de recrutement, les jeux d'intégration sont-ils en vogue?

 

O.M. Au départ, la plupart des «serious games» s'inscrivaient dans le cadre de campagnes de communication de marque employeur ou de recrutement. De grands groupes, comme L'Oréal et Danone, visaient des étudiants. Cela se démocratise, puisque des sociétés de taille moyenne les adoptent désormais. En parallèle, on note une montée en puissance des jeux d'intégration dans quelques grands groupes du CAC 40. Si de tels dispositifs existaient depuis les années 1980, avec le digital, ils prennent une autre dimension: c'est une façon d'immerger les collaborateurs dans les dispositifs digitaux de l'entreprise. En effet, les sociétés vantent souvent leur caractère «digital» dans leur communication employeur et dans leur processus de recrutement. Or, c'est au moment de l'intégration que les nouvelles recrues peuvent juger sur pièces et parfois être déçues... Actuellement, je travaille sur un jeu d'intégration destiné à un groupe du secteur de l'énergie et je propose un dispositif global, qui s'articule avec les journées d'intégration.

 

Et dans la formation, les «serious games» sont-ils promis à un bel avenir?

 

O.M. Oui, l'utilisation des «serious games» va s'accélérer dans la formation. A la différence de l'e-learning, sorte de plaquette améliorée, les «serious games» permettent une vraie immersion, utile par exemple pour mettre en scène des gestes, des méthodes professionnelles ou des techniques de gestion de la relation client. Pour l'instant, les scénarios restent trop linéaires, il n'y a pas encore d'écriture dynamique, mais cela va changer. Autre domaine où cela devrait exploser: le team building (processus pour créer ou renforcer la cohésion d'équipe). Là encore, le jeu permet de mettre en situation, de construire du lien. Il peut même contribuer à la transformation de l'organisation, en cassant son fonctionnement en silos.

 

Aux Etats-Unis, des entreprises recourent à des mécanismes inspirés du jeu (points, badges, niveaux, etc.) pour évaluer leurs collaborateurs. Ce n'est pas le cas en France...

 

O.M. Vu le droit du travail français et les réactions des syndicats, les grands groupes ne sont pas près d'y aller. Et puis, cette combinaison de la data et des jeux peut aboutir à un contrôle en temps réel de toutes les actions d'un collaborateur. C'est une vision assez «tayloriste» du travail... voire totalitaire.

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