Si le packaging demeure l’activité la plus importante, le conseil en stratégie de marque et le design de service s’imposent, et de nouveaux secteurs émergent avec le digital. Les enjeux ne manquent pas.

1. L'amélioration de la rentabilité

 

Est-ce encore la crise pour les agences de design ? En tout cas, la période reste agitée. Certaines enseignes ont mis la clé sous la porte, telle Vincenti Design placée en liquidation judiciaire en mai. Quelques mois auparavant, fin 2012, White Spirit avait connu le même sort. Pulp, placée en redressement judiciaire à la même période, a depuis redémarré sur de bonnes bases.

Dans ce contexte de crise, les agences voient leurs marges de rentabilité réduites. Elles se situent «entre 5 et 10% pour la plupart des agences membres de l'ADC (Association design conseil), alors que celles des groupes cotés comme Publicis dépassent les 10%. Seules les agences qui ont une forte marque, comme Saguez & Partners ou Dragon rouge, se vendent un peu plus cher auprès des annonceurs», estime Frédéric Messian, président de l'agence Lonsdale et de l'ADC depuis janvier.

Dans les faits, de l'aveu de plusieurs agences, les indépendantes atteindraient souvent difficilement les 5% de marge. Malgré un léger mieux observé en 2013 par l'ADC dans son étude annuelle portant sur ses agences membres, mais que l'association n'a pas souhaité communiquer à Stratégies.

Ces difficultés s'expliquent évidemment par les restrictions budgétaires auxquelles sont eux-mêmes soumis les annonceurs. «Sous la pression de leurs services achats, ils ont serré la vis à tous leurs fournisseurs, ce qui a eu un impact sur le prix ou le contenu des prestations, et donc sur les marges des agences», estime Nicolas Chomette, nouveau directeur associé en charge du développement et de la stratégie de l'agence AKDV.

Autre facteur explicatif, l'internationalisation du marché. L'agroalimentaire, le plus important pour l'activité packaging, repose sur «des groupes plus internationaux, donc les dossiers de packaging sont plus internationaux. Ce qui explique que le budget Kraft soit revenu à l'agence LPK après avoir été longtemps chez Landor. De plus, alors que les agences vivaient beaucoup sur le déploiement de programmes de produits, celui-ci part chez des grosses plateformes de production comme Schawk et Diadeis», estime Nicolas Chomette. Et de citer des marques mondiales telles que Coca-Cola, Apple et Nike, recourant abondamment à Schawk.

Parallèlement, on observe «une hyperactivité sur le marché, avec de nombreuses compétitions organisées dans des temps très courts», assure Christophe Fillâtre, PDG de Carré noir. Cette année, parmi les grosses compétitions qui ont agité le marché: Air France (Brandimage a été reconduite) et actuellement EDF, Aéroports de Paris ou SFR pour ses points de vente. «Il y a plus d'activité: des marques qui remettent en compétition leur design, demandent des propositions d'accompagnement sur la stratégie de marque, le branding...», reconnaît toutefois Luc Speisser, président de Landor France (Omnicom/WPP).


2. La rémunération des compétitions

 

La fréquence des compétitions serait aussi une menace pour l'équilibre financier des agences de design. Depuis ce printemps, l'ADC travaille avec l'Association des agences de conseils en communication (AACC), l'Union des entrprises de conseil et d'achat média (Udecam), le Syntec RP et l'Union des annonceurs (UDA) à l'élaboration d'une charte commune, qui vise à améliorer les pratiques en la matière. Celle-ci devrait voir le jour cet automne.

L'ADC avait déjà publié un livre blanc sur les compétitions en 2010. «Les agences devraient être dédommagées lors d'une compétition, au moins pour ne pas perdre d'argent en y participant. Ou alors, elles devraient pouvoir présenter un devis», estime Christophe Fillâtre. «Nous connaissons cependant une situation privilégiée par rapport à des agences d'autres disciplines. Sur 2011-2012, la période où j'étais président de l'ADC, les deux tiers des compétitions étaient rémunérées », nuance Gilles Deléris, cofondateur et directeur de la création de l'agence W&Cie.

La fréquence même des compétitions fait débat. «Beaucoup portent sur une opération "one shot". Il y a peu de contrats à trois ans, alors que l'on se bat pour faire de l'accompagnement de clients», regrette Christophe Fillâtre. «Nous pouvons créer de la valeur en nous situant davantage en amont, en travaillant sur le positionnement d'une marque, son branding, en apportant du conseil. C'est pour cela que des PME et des start-up commencent à venir nous voir», ajoute Grégori Vincens, président de l'agence Quatre.

 

3. Le développement international

 

L'attrait des marchés émergents et de leur classe moyenne avide de consommer n'ont évidemment pas échappé aux agences de design. Plusieurs ont ouvert des bureaux au Brésil, point d'entrée du marché latino-américain qui va accueillir la Coupe du monde de football en 2014 puis les Jeux olympiques en 2016. Team créatif a ouvert le feu dès 2004. Elle y réalise aujourd'hui 60% de son chiffre d'affaires à l'étranger. En 2012, Saguez & Partners, puis Dragon rouge ont fait de même. «Nous y sommes allés avec des clients comme Unibail-Rodamco ou la SNCF, mais aussi, avec un vrai partenaire sur place [l'agence de design Criacitta], pour connaître les réseaux», détaille Patrick Roux, directeur général de Saguez & Partners.

La Chine est sans surprise tout aussi prisée. Dragon rouge a ouvert en 2010 ses bureaux à Hong Kong, puis Shanghai, dirigés par Patrick Dassier. «Cela permet de comprendre la culture locale. C'est ainsi que l'on a décroché, cette année, le marché mondial de la marque de bières Tsingtao. Une marque du gouvernement chinois, mais qui vise à un positionnement international», explique Jean-Baptiste Danet, PDG de Dragon rouge.

Carré noir a aussi depuis cet été une antenne à Pékin, au sein de l'agence Publicis locale. Même Saguez & Partners va effectuer à Hong Kong, d'ici à la fin de l'année, sa seconde ouverture d'agence à l'international, en partenariat avec Richard Hsu. Elle gère déjà en Chine des projets locaux pour L'Oréal par exemple.

Landor, pour sa part, a préféré ouvrir cette année une agence au Cap en Afrique du Sud, son 25e bureau et son 19e pays. Team créatif va ouvrir une agence à Jakarta en Indonésie d'ici à début 2014 : «On y travaille depuis trois ans. Nous recherchons encore des managers locaux», précise sa PDG, Sylvia Vitale-Rotta.
Mais attention aux phénomènes de mode. «Beaucoup d'agences ont fermé leurs bureaux en Europe du Sud avec la crise en 2009. Ce fut aussi le cas en Russie. C'est le client qui crée un marché sur un pays, et non les seuls bureaux», tranche Frédéric Messian, PDG de Lonsdale.

 

4. L'émergence de nouveaux secteurs et profils

 

En design comme ailleurs, le digital bouscule beaucoup d'habitudes. «Nous avons des disciplines qui s'inventent et ne reposent pas sur les métiers historiques», estime Gilles Deléris. Même si «notre expertise fondamentale reste le design, le branding et le packaging, les technologies étant juste un outil», complète Sylvia Vitale-Rotta.

Premier exemple, le design de service, qui met l'accent sur la fonctionnalité et la forme des services du point de vue des clients. Ainsi, une interface de site Web qui doit être utile et adaptée dans son ergonomie au client. Pour répondre à ce genre de nouvelles prestations, plusieurs agences se dotent d'entités ad hoc: Dragon rouge Zurich, ouvert fin 2012, est spécialisée dans la stratégie digitale, Digiteam (Team créatif) dans la création d'interfaces digitales pour le packaging, tels les tags 2D.

Déjà en 2010, Quatre s'était dotée d'une entité spécialisée dans le «motion design» (conception graphique en mouvement). «Une identité de marque statique n'existe plus, les codes de marques sont désormais en mouvement. On commence à retrouver cela dans les compétitions», estime Grégori Vincens.

Autre nouveau métier potentiel, le data design ou la mise en forme de données multiples. W&Cie vient de lancer une entité spécialisée dans cette discipline et dans la datavisualisation, W Data Intelligence, dirigée par Olivier Dureau, directeur de création content de l'agence W.

Les adaptations des sites de marques sont une autre opportunité pour les agences de design. «Des annonceurs proposeront des pages d'accueil avec une interface appropriée à vos besoins, vos goûts, vos achats, en fonction des sites Internet que vous fréquentez le plus. On va avoir un merchandising personnalisé», prédit Nicolas Chomette, directeur associé chez AKDV. Ce que pratiquent déjà, par exemple, Amazon ou la Fnac, en affichant des home pages adaptées à vos derniers achats.

Fort logiquement, les agences recrutent de nouveaux profils: des collaborateurs «digitaux» (consultants et Web designers), des réalisateurs spécialisés, «des créatifs stratégiques qui peuvent bâtir des récits autour de dispositifs», précise Gilles Deléris. Plusieurs agences citent aussi le recrutement de spécialistes en motion design ou encore de visualisation en 3D. Une bouffée d'oxygène sur un marché de l'emploi plutôt contraint.

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