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Face à la montée de la «data» et des «ad exchanges», les agences médias proposent désormais des prestations pointues de marketing à la performance. Certaines créent même des entités spécialisées et recrutent des profils ad hoc.

C'est le nouveau credo des agences médias: le marketing à la performance. Une activité en plein essor associant les technologies et systèmes pour organiser les flux de «data» et «ad exchanges», avec pour objectif une gestion optimale des multiples points de contacts. «Le marketing à la performance consiste à gérer toutes les actions menées sur les différents canaux et à déployer des dispositifs médias et marketing avec des retours sur investissement directs, précise Bertrand Fraboulet, directeur général d'Ecselis, nouvelle entité ad hoc créée par Havas Media. On est davantage dans des stratégies de contact et de marketing globales que dans des stratégies purement médias. Nous sommes au croisement des problématiques d'acquisition et de fidélisation, médias et CRM.»

La notion de performance a pris toute son importance avec Internet, qui a tout rendu mesurable. La multiplication des leviers digitaux y a largement contribué: référencement naturel ou payant, «display», «search», «e-mailing», marketing mobile, «paid social» (publicités achetées sur Facebook, Twitter, Instagram…).

Mais c'est avec un nouveau carburant, les incontournables «datas» – ces données qui peuvent désormais être organisées et activées en temps réel grâce à des algorithmes –, que le marketing à la performance a gagné ses lettres de noblesse. «La “data intelligence” permet de traiter la masse de données pour améliorer la qualité du ciblage et la pertinence des messages que l'on veut adresser. On a vu l'extension du “targeting”, qui permet de toucher des segments de clients par des liens sponsorisés, à tous les éléments publicitaires: bannières, vidéos sur Internet, etc.», précise Pierre Calmard, président d'I-Prospect, filiale d'Aegis Media.

Nouveaux concurrents

Ces montagnes de données, nombre d'agences médias se dotent d'outils technologiques et s'appuient sur des algorithmes maison pour les exploiter. La technologie permet, par exemple, de développer un volet prédictif qui offre à l'annonceur la possibilité d'anticiper sur ses dépenses médias. Ainsi, Group M Interaction, filiale de WPP, dispose d'une technologie propriétaire, «avec une couche d'algorithmes qui permet de maximiser les leviers d'achat en ligne: en détectant les différentes typologies de présence des internautes, les bassins d'achat, etc.», explique Alexandra Chabanne, codirectrice de Group M Interaction. Performics (Publicis Groupe), pour sa part, a développé un algorithme publicitaire avec la société Numsight pour lancer son outil Performics Live Profiler, qui croise des données collectées et analysées en temps réel sur les canaux en et hors ligne

Ces «data» sont devenues d'autant plus précieuses avec le RTB («Real Time Bidding», soit enchères en temps réel) et les ad-exchanges qui s'étendent aux mobiles et à Facebook. «A chaque instant, on peut décider d'acheter ou non de l'espace publicitaire en fonction du profil du client devant son écran. Cela permet à la marque de segmenter sa prise de parole de manière plus efficace que dans une logique de “mass media”», poursuit Pierre Calmard.

Sur ce marché émergent de la performance, les agences médias rencontrent de nouveaux concurrents, à commencer par des «pure players», tel Netbooster. «Depuis deux ans, sur des compétitions, nous nous retrouvons face à des entités digitales d'agences medias traditionnelles. De fait, nous sommes multicanal en ligne: search, display, CRM, e-mail, affiliation…», rappelle Yann Gabay, codirigeant de Netbooster, qui a remporté récemment une compétition organisée par Voyage privé sur le volet trading media et display en temps réel, face à Performics.

A l'exemple de Netbooster, certains pure players se dotent d'ailleurs de leurs propres trading desks. En juillet dernier, l'agence de marketing digital 1 000 Mercis a ainsi fait l'acquisition du trading desk Matiro.

Parallèlement, les groupes publicitaires accélèrent la cadence. Havas vient de lancer Ecselis (30 personnes). «On crée des pure players de deuxième génération sur des métiers très pointus à l'intérieur du digital, comme Ecselis, qui gère la partie performance digitale de nos gros clients: Orange, Air France, Canal+, Mulliez ou encore le Crédit agricole», détaille Raphaël de Andreis, CEO d'Havas Media France. Ecselis est codirigée, aux côtés de Christophe Le Marchand, par un ancien de Netbooster, Bertrand Fraboulet.

Pour sa part, Group M Interaction a récemment lancé en France Quisma, son agence de marketing à la performance déjà présente dans neuf pays. IPG Mediabrands France (Interpublic) a inauguré en avril dernier MAP (Mediabrands Audience Plateform, 75 salariés), issue de la fusion de Reprise Media (webmarketing) et Ensemble (brand content). Quant à Publicis Groupe, son pôle médias Vivaki s'est doté depuis 2010 d'une structure ad hoc sur les bases de Performics, qui compte aujourd'hui 200 salariés, avec un pôle data (mutualisé au sein des agences de Vivaki) de trente ingénieurs, statisticiens et mathématiciens, lancé cet été. Enfin, Aegis Media propose une offre de performance digitale avec son agence I-Prospect (220 salariés).

Nouvelles rémunérations

Avec le marketing à la performance, les groupes publicitaires doivent aussi s'adapter à de nouveaux modes de rémunération. «Nous étions payés en honoraires en fonction des investissements médias faits par nos clients. Désormais, nous le sommes au résultat: chiffre d'affaires, revenu, etc., explique Sylvain Gimenez, directeur digital d'IPG Mediabrands. Cela ne devient rentable pour nous que lorsque nous atteignons l'objectif du client.»

Une nouvelle donne qu'il faut intégrer dans le cadre des compétitions. «Avant, les agences achetaient de l'espace publicitaire et en mesuraient ensuite les performances. Maintenant, dans les compétitions, le marketing à la performance permet de capter et traiter la data sur des modèles prédictifs et d'optimiser l'investissement. Cela permet aux agences de vendre plus de modèles économétriques: consolidation de données clients type, chiffre d'affaires, impact météo, etc.», résume Fabrice Valmier, codirigeant de VT Scan, conseil en sélection d'agences.

Concrètement, dans les appels d'offres, «on voit apparaître des objectifs de performance, de chiffres d'affaires», explique Sylvain Gimenez. «Depuis un an, les pitchs d'annonceurs traditionnels sur la performance digitale s'accélérent», corrobore Pierre Calmard, d'I-Prospect. Ainsi, la récente compétition médias des centres E.Leclerc était découpée en deux lots, l'un pour l'achat d'espace, l'autre pour la performance digitale. «D'autres, en cours, sont sur le même modèle. C'est inédit», reconnaît-il.

Enfin, pour répondre à cette nouvelle demande, les agences médias recrutent de nouveaux profils. Avec en premier lieu les «data analysts» (analystes de données), des statisticiens capables de comprendre et d'analyser la donnée, qu'elles recrutent en masse. Chez I-Prospect, Pierre Calmard annonce avoir embauché essentiellement des statisticiens parmi ses soixante nouvelles embauches cette année. Autres nouvelles recrues, des mathématiciens, à l'image d'Havas qui en a engagé un certain nombre, en plus des «Math men» de la start-up MFG Labs, acquise en juin dernier.

 

Encadré


Glossaire

Ad exchange. Plate-forme automatisée de vente et d'achat d'espaces publicitaires, interface entre demandeurs (annonceurs et agences médias) et offreurs (sites éditeurs, réseaux et régies) d'espace.

Marketing à la performance. L'annonceur rémunère la prestation en fonction des résultats de la campagne (transactions réalisées, visites ou clics…), avec des techniques telles que l'affiliation, le reciblage publicitaire («retargeting») et les liens commerciaux.

Real time bidding (RTB). Vente aux enchères d'inventaires publicitaires en temps réel et en ligne.

Trading desk. Service qui prend en charge l'achat de l'espace publicitaire Internet sur les ad exchanges ou autres DSP («Demand Side Platform»).

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