La question a longtemps agité le secteur. Quel modèle l'emportera entre celui du pure player digital et celui des agences de communication digitalisées? Ce sujet fait-il encore débat? En vérité, le marché, qui a sa propre logique, et qui, dans le domaine du digital, redessine en permanence ses contours, s'est chargé de confronter à la réalité les affirmations définitives des uns et des autres, qui étaient autant d'argumentaires commerciaux pro domo que la vision de leur métier en devenir.

Les clients ont besoin de pure players du digital et d'agences digitalisées, l'étude Limelight le réaffirme. La question aujourd'hui n'est plus tant de défendre une chapelle que de savoir définir son modèle d'agence dans un marché mouvant, où il faut noter le poids de Publicis qui a fait un «hold-up digital» ces dernières années.

Le marché français s'est en effet structuré sous l'impulsion de son président Maurice Lévy qui mène depuis 2006 une politique de croissance externe tous azimuts. Son offre «en rateau» répond aux besoins des annonceurs. Pour Maurice Lévy, le digital est un autre métier que celui des publicitaires et il a choisi de se doter d'un réseau numérique en propre, capable de produire des sites et des plateformes, à l'inverse de ce qu'a fait David Jones chez Havas. Il a racheté en 2007 Digitas, fusionné cette année avec l'agence de marketing et technologie LBI (ex-Framfab) reprise après une OPA fin 2012.

En France, Digitas (300 personnes) intègre toutes les expertises et soutient son équipe créative. Présidée par Mathieu Morgensztern, l'agence annonce 10% de croissance en 2012 et 2013. Elle a intégré l'agence de marketing mobile Phonevalley et récemment gagné la stratégie digitale de La Poste, la refonte de la plateforme mondiale de Michelin et, agence digitale de Nissan, elle participe à la compétition que le constructeur mène actuellement avec Renault pour leur plateforme commune digitale et CRM mondiale.

Publicis s'est aussi attaqué à la digitalisation du métier de la relation client. L'agence Modem, issue de Digitas, a été rapprochée de Publicis Dialog et, en France, le rachat de W Cube a donné naissance à Publicis Modem. Coprésidents de Publicis Dialog/Modem (plus de 200 personnes), Nicolas Zunz et Christian Verger ont réussi cette intégration en fusionnant les équipes mais en gardant les deux marques. L'agence a gagné la plateforme CRM et digitale de Carrefour, BNP Paribas... Et elle va intégrer ETO, agence experte en gestion de la data marketing client, rachetée début novembre.

 

Quid de l'intégration des pure players ?

Toutes les agences de marketing client se sont digitalisées, à l'instar de Proximity BBDO, présidée par Olivier Rippe, dont le programme relationnel «Envie de plus» de P&G est une référence, d'Ogilvy One présidée par Reza Ghaem-Maghami (ex-global chief digital officer de Proximity Worldwide), de MRM remise en selle par François Tastet et Erik Bertin (ex-Business Lab), ou encore de Wunderman qui s'appuie sur Kassius et Blast Radius. Stéphane Raoul, président de Rapp, a même décidé, en mars dernier, de quitter la délégation customer marketing de l'AACC pour rejoindre l'AACC interactive.

Digitaliser la publicité a été un autre sujet pour Maurice Lévy, plus compliqué pour des raisons culturelles et de modèle économique. Après l'échec du rapprochement entre Publicis Net et Publicis Conseil, c'est l'agence digitale qui a intégré la publicité en fusionnant avec Marcel. L'enseigne coprésidée par Pascal Nessim et Charles Georges-Picot emploie désormais 200 personnes, dont une majorité de «digital natives», et aligne de beaux budgets, dont Oasis et sa saga digitale exemplaire, Total et Pierre & Vacances pour toute la communication en ligne et hors ligne. Marcel est la troisième offre pure player du groupe Publicis.

Alors, faut-il ou pas intégrer le pure player dans les agences de publicité? La réponse varie. Elle hante les agences indépendantes qui, comme le confie François Garcia, directeur général de X-Prime, experte en dispositifs d'activation, et vice-président de l'AACC interactive, «sont prêtes à perdre leur indépendance capitalistique mais par leur indépendance culturelle».

Dans presque tous les cas, sauf Soleil noir chez McCann Paris et Publicis Net, le pure player passe à la moulinette et les fondateurs ne restent pas. Ce fut le cas pour Duke finalement absorbée par Saatchi & Saatchi. Et pour Médiagong, rachetée il y a deux ans par Leo Burnett. Le choc des cultures a poussé les fondateurs vers la sortie. Olivier Abel, ex-Duke Razorfish, arrivé en septembre, comme directeur général adjoint de Leo Burnet et directeur général de l'agence digitale, a l'ambition, dit-il, de «préserver les deux cultures et les deux métiers».

Pour sa part, Ogilvy a choisi l'intégration et affiche ses nombreux prix dans le digital. Comme DDB, dont le coprésident Matthieu de Lesseux a supprimé la marque Tribal dès son arrivée. Il reconnaît aujourd'hui, à l'épreuve des faits, qu'il doit «faire œuvre de pédagogie pour faire comprendre au marché qu'il a la capacité de rivaliser avec les pure players, Digitas, Fullsix et Nurun». Il a nommé une directrice du développement digital et a créé un pôle social média. Il confie à Stratégies: «Si dans un an le message n'est pas assez bien passé, je recréerai une structure digitale.» Chez Havas Paris, même politique d'intégration. L'agence a récemment débauché chez DDB Paris Paul Boulangé pour le nommer directeur du digital et membre du «comex».

Chez TBWA Paris, le vice-président Philippe Simonet (ex-Publicis Net) a créé à son arrivée un pure player rebaptisé Dan Paris, du nom du réseau d'Omnicom. «L'agence de publicité digitalisée est sur la conception de messages et leur expression digitale quand le pure player crée des plateformes de marques qui supposent de produire des sites», explique-t-il. Dan travaille à 70% pour les clients de TBWA (Vichy, Nina Ricci, la SNCF...) et vient de finaliser son offre de brand content avec les réputés Franck Botbol et Hugues Cholez, arrivés il y a deux ans.

Le brand content, c'est effectivement une fenêtre de tir pour les agences publicitaires dont le métier est de raconter des histoires de marque. Publicis Conseil, réputée difficile à digitaliser, s'y essaie avec succès et a remporté le Grand Prix Stratégies du brand content 2013, avec les web-films pour Nescafé.

 

Fullsix et Nurun, les deux indépendants

Le poids de la culture publicitaire est tout aussi écrasant chez BETC qui, bien qu'à l'aise avec la communication digitale, a davantage de mal à positionner sa structure BETC Digital issue de son agence de marketing relationnel 4D et dont les patrons se succèdent. Le nouveau président, le directeur de création Ivan Beczkowski (lire page 48), porte le projet de développer l'agence sur la digital utility et les services, fort de la création avec Joshfire du prototype d'objet connecté de la Smart drop pour Evianchezvous.com.

La digital utility est la tendance actuelle, lancée en France par Nurun. C'est aussi le sujet de DDB qui a travaillé avec McDonald's depuis trois ans sur la commande en ligne, de Digitas dont le laboratoire planche sur ces sujets, et même de CLM BBDO. Antony Hamelle, son directeur du newbiz et de l'innovation, annonce pour 2014 un objet connecté pour un client avec le concours aussi de Joshfire.

Le digital est partout avec une réalité: à l'exception d'Havas, tous les groupes de communication ont fait main basse sur les gros réseaux de pure players indépendants et internationaux. Pour mémoire, RGA - absent de France - appartient à Interpublic, Blast Radius et AKQA à WWP. Le bureau d'AKQA, ouvert à Paris il y a un an, travaille surtout dans une logique de réseau, indique son directeur général Romain Lartigue, transfuge d'Ogilvy, sur des clients comme Red Bull et Nike.

Certes, les acquéreurs conservent le modèle pure player dans son «jus» mais assèchent le marché. «Il ne reste plus désormais que deux réseaux indépendants, Fullsix en Europe et Nurun, propriété du groupe média Quebecor, qui n'est pas un groupe de communication», note Antoine Pabst, président de Nurun France et Europe.

Fullsix (400 salariés en France), qui compte parmi les quatre plus gros pure players francais, avec Digitas, Modem et Nurun, produit des plateformes e-business européennes avec Ekino et se positionne sur le «marketing synchronisé», en phase avec un marché qui remet le client au centre. Le groupe de Marco Tinelli connaît depuis un an une zone de turbulences, après l'échec de sa vente à Havas et le départ d'associés dont les cofondateurs Anne Browaeys et Jérôme Toucheboeuf.

Nurun (200 salariés) se définit autrement. «Le marché se segmente, explique son président Antoine Pabst, entre des agences qui abordent le digital comme un média et d'autres comme un sujet CRM en activant la data. Chez Nurun, nous réfléchissons à la transformation digitale des offres et des organisations.» «Nous remontons sur le consulting qui représentera 30% du chiffre d'affaires fin 2014, et mettons en place des méthodes du type Human-centered design qui font appel à l'anthropologie, et de cocréation, pour trouver des produits et des services digitaux innovants.»

Nurun prend pour modèle des agences de design comme Frog ou Ideo. Du coup, Nurun produit des plateformes marchandes ou de marques pour Sncf.com, B&You, L'Oréal Luxe ou Lacoste au niveau mondial, mais «ne fait plus de communication digitale de marque», explique Antoine Pabst.

 

Entre e-business et communication publicitaire

De taille moyenne, Business Lab (70 personnes) se positionne sur «l'activation, avec une forte expertise retail, et sur l'innovation», indique sa coprésidente Valérie Legat. Agence digitale de Leroy Merlin et Casino, elle conçoit des programmes de cocréation avec les consommateurs, a réalisé le lancement full digital sur Facebook de la Peugeot 1008 et a gagné le budget Sacem, contre Digitas, sur l'idée de les transformer en prestataire de services.

Le marché des pure players se segmente effectivement entre un positionnement e-business, avec des acteurs comme Extrême Sensio, Emakina, Noven... et un positionnement communication publicitaire. Même si la plupart des acteurs se disent généralistes, à l'instar de 5e Gauche, qui développe, par exemple, tout l'écosystème digital d'Yves Rocher.

 

De même, MNSTR se définit comme «une agence de l'ère digitale spécialisée dans les dispositifs publicitaires qui connecte le virtuel au réel», dixit son président Lionel Curt, qui compte Reebok parmi ses clients. «Il y a un mouvement du digital vers l'événementiel, la publicité et le brand content dans une logique d'engagement des consommateurs», ajoute-t-il. MNSTR est dans l'univers des Marcel, Buzzman, Kids Love Jetlag (Fred & Farid) et autres 84 Paris. Cette dernière s'est lancée cette année, après avoir été le sous-traitant de la plupart des agences (DDB, Buzzman, Isobar...).

Un nouveau segment de marché se développe aussi autour du social media, avec une myriade d'offres et déjà des références, comme We are Social, agence conversationnelle dirigée par Sandrine Plasseraud. Jérome Duchamps, ex-BETC Digital, et vice-président de l'AACC interactive, a lancé Spoke, une agence de communication sur les médias sociaux qui se propose, dit-il, de «socialiser la marque stratégiquement pour engager durablement les consommateurs». Il travaille notamment pour Universal Music et Hatier.

Le marché compte aussi un grand nombre de structures ou d'experts en free-lance très recherchés par les agences. «Le mobile, le social media, la data, les technologies, cela bouge tellement vite qu'il est impossible de maîtriser toutes les compétences en interne», souligne Matthieu de Lesseux (DDB).

Les pure players affrontent, enfin, deux sujets tendus: la rentabilité et leur capacité à se développer de manière autonome. Considérés comme des producteurs web payés en temps/homme, ils ont du mal à monétiser leur prestation de conseil payée en honoraires, qui est le modèle des agences publicitaire.

François Garcia (X-Prime) croit au «rapprochement des pure players avec les agences de publicité si leur métier est préservé». «Le statut d'agence digitale indépendante n'est pas une fin en soi, car on est forcément limité par notre taille, dans un marché de la communication très concentré sans avoir souvent accès aux patrons des marques», reconnaît-il.

Grégory Pascal, patron d'Extrême Sensio (80 personnes), veut, lui, rester indépendant et préfère monter des partenariats pour proposer des offres verticales (expérience en points de vente, performance média...). Idem pour MNSTR (30 personnes) qui voudrait augmenter sa taille et envisage de s'implanter à l'international, lui aussi en trouvant des partenaires. Le marché est dynamique mais compliqué pour les sociétés de taille intermédiaire comme on l'a vu avec la faillite de Dagobert, en février dernier, reprise depuis par Ikube, qui a annoncé le départ du fondateur Olivier Debin mi-novembre, remplacé par Vincent Saccomanno, ex-LSF Interactive.

Rien de figé donc, d'autant que le projet de fusion entre Publicis Groupe et Omnicom se chargera bien de rebattre les cartes.

mis en gratuit pour les bon plans le 18 décembre 2013
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