Vous êtes ici
Pour bénéficier des alertes ou des favoris, vous devez vous identifier sur le site :
Vous avez déjà un identifiant sur stratégies.fr ? Identifiez-vous
Pas encore d'identifiant ? Créez vos identifiants
Roulez valises !
08/04/2004Le rouleau compresseur des bagages à roulettes a écrasé des milliers de doigts de pieds et conquis la planète.
C'est l'histoire d'une valise. En 1974, les ingénieurs de Samsonite eurent l'idée de l'équiper de deux roulettes et d'une poignée pour la tirer. Dans le même temps, un commandant de bord de United Airlines inventait le « Trolley ». L'expression est devenue un nom générique, propriété officielle de Delsey. La guerre des roulettes était déclarée. Elle dure depuis trente ans.
Finie l'époque héroïque où, à l'aéroport de Nice, Alfred Hitchcock faisait des tours de piste au bas de la passerelle avec un tracteur à bagages dans l'hilarité générale. Aujourd'hui, c'est avec une valise « Trolley » et un vanity-case que Juliette Binoche, alias Rose, séduit Jean Reno dans le filmDécalage horairede Danièle Thompson. Marie-Christine de Comarmond, ancienne chef de cabine d'Air France, se souvient de sa première valise du genre, dénichée en 1972 au Japon. La seconde, une Samsonite, elle l'a achetée, comme tous les navigants, à New York, dans une boutique du bord de l'Hudson, en bas de la 46 e rue.« Elles étaient très lourdes, nous les utilisions beaucoup car elles résistaient aux pires traitements »,raconte-t-elle en se remémorant une publicité représentant une jeune fille descendant une piste de ski à califourchon sur sa valise.
Chez Lancel, la roulette représente 60 à 70 % de la bagagerie. À peu près la proportion que l'on retrouve sur l'ensemble du secteur. Quoi qu'il en soit et à quelques nuances près, rien ne ressemble plus aujourd'hui à un globe-trotteur qu'un autre globe-trotteur. Les roulettes montées sur valise ou sur sac sont leur signe de reconnaissance. Hommes et femmes d'affaires, enseignants, étudiants, attachés de presse ou familles Fenouillard, le recours au bagage à roulettes pour transporter dossiers, ordinateurs, Moonboots ou maillots de bain est universel. Les Américains ont une tendresse particulière pour les grands formats, les Japonais pour les marques de luxe, surtout Vuitton - l'idole de tous les Asiatiques -, et les jeunes pour les sacs.
On trouve de tout à la Samaritaine, c'est bien connu.« Les roulettes représentent 75 % de nos ventes, et cette part continue à progresser,confirme Marie Haverkerbeke, directrice du secteur accessoires, où la plupart des grandes marques sont représentées.On les retrouve sur des formes classiques, des gros sacs à armature, des grands formats à quatre roues que l'on pousse devant soi, des coques rigides en ABS, pour des usages très divers, y compris pour transporter une planche de surf. Toutes générations et nationalités confondues, c'est quasiment le minimum requis par les clients. »En fin de voyage, on choisit en plus un sac fourre-tout.
Le plus terrible, lorsque l'on vieillit, est ne plus pouvoir porter sa valise et donc de perdre son autonomie, disait en substance Françoise Giroud. Les roulettes ont en partie résolu le problème. Le docteur Fritz, rhumatologue, le confirme - même si, contrairement aux lits et aux matelas, aucune étude n'a jamais été publiée sur la question à sa connaissance :« Les personnes qui les utilisent ont souvent un problème de dos. Les roulettes leur permettent de faire glisser plutôt que de porter. Mais il y a toujours un moment où il faut soulever son bagage. »Quant à Isabelle Bosc, jeune ostéopathe, elle est une inconditionnelle des roulettes, à titre personnel comme professionnel :« C'est super pour les gens comme moi qui ne savent pas faire leurs bagages et emportent toujours dix fois trop de choses. C'est moins lourd et, en même temps, cela reste une valise bien carrée et fermée, un peu comme un tiroir à casiers. »Mais reste à faire le bon choix :« Comme mes valises sont solides, je ne me sens pas gênée du tout de faire de grands " boum boum " pour descendre un escalier. Pour les personnes âgées, les roulettes sont indispensables. Ma grand-mère de 91 ans fait un grand voyage par an. Sans les roulettes, ce serait impossible. Cependant, les grands doivent faire attention à la dimension de la canne pour ne pas avoir à se pencher, les enfants à leur dos, etc. Des baguettes peuvent aussi se mettre en S sous le poids d'un sac à dos trop lourd. »Message reçu par les concepteurs, qui ont appelé la technologie à la rescousse.
Résistance, design et légèreté
« La roulette a considérablement évolué techniquement. Les bagages aussi, dans leur ergonomie et dans leur design. Nous sommes dans un marché de renouvellement, même si nous jouons la durabilité et le rapport qualité-prix »,explique Jean-Michel Vaills, directeur général France de Samsonite, leader mondial du secteur avec 850 millions d'euros de chiffre d'affaires et 1 200 brevets déposés. Seul bagagiste membre de l'International Air Transport Association (IATA), adopté par James Bond et Bruce Willis, ses neuf marques couvrent tous les segments des bagages roulants : Samsonite, Black Label, Samsonite by Starck, Trunk&Co et Saturn en sélectif, American Tourister, seconde marque mondiale en mass market, et les licences Lacoste, très présentes aux États-Unis, Hedgren et Sammies, ligne pour enfants« qui comble la distribution ».« Nous sommes passés du roulement à billes au roulement à aiguilles, puis à la roulette autolubrifiée qui apporte fiabilité, confort d'utilisation, silence et longévité, testée même sur des escaliers »,ajoute Jean-Michel Vaills. Les matières ont également énormément évolué : polypropylène léger et très résistant injecté dans un moule ou associé à des panneaux thermoformés (dans le modèle Flight Light), ABS composé de feuilles embouties à chaud et de densité différente pour les coins ou la partie centrale, etc. D'où une large gamme de produits rigides (comme les Spinner à quatre roues), souples ou hybrides, dont le modèle Upright qui s'ouvre comme un livre, travaillés par des designers dans une série de tailles adaptées aux réglementations non normalisées des compagnies aériennes.« Résistance, design, légèreté, aspect pratique »,résument selon Jean-Michel Vaills les fondements d'un bagage moderne et le savoir-faire de sa marque. Discours voisin chez le Français Delsey, second acteur du marché avec quatre marques (Delsey, Gyl Bagages, RDL, Visa) et des licences. On y insiste sur la pluralité des besoins. Partenaire du Rallye des princesses, Delsey a fabriqué la plus grande valise du monde et lancé des valises horizontales à double-conduite, selon que le sol est plat ou accidenté. Il travaille beaucoup sur les roues et multiplie les modèles à soufflets et poches extensibles (comme sa gamme Expan Dream et les polochons décontractés Xeo). Sa ligne Carisma avec finitions cuir a obtenu un prix au salon de la maroquinerie.
« On ne voyage pas pour le plaisir. On est con, mais pas à ce point-là. »Cette saillie du philosophe Gilles Deleuze conduit à se demander pourquoi, à l'exception du rouge, le bagage préfère les couleurs sombres et neutres, difficiles à reconnaître sur un tapis roulant. À quand le rose bonbon ou l'orange fluo ? Eh bien, ils arrivent. 2004 est l'année de toutes les audaces technologiques et créatives, qui se concoctent dans le secret des services développement. Mandarina Duck, la marque italienne haute en couleurs, propose 20 % de produits à roulettes en tout genre, dans toutes sortes de couleurs vives dont un jaune citron à succès. Après le nylon bleu clair, jean et bordeaux, la jeune marque française R. Town annonce des pois pour l'été. Les autres suivent. Samsonite a présenté au dernier salon Maison et Objet, en janvier, des modèles avec panneaux imprimés (ciel bleu, paysages, couleurs, etc.) très bien accueillis. Lancel reconduit son modèle Signature à motifs, Delsey son bleu lavande semi-transparent.
Côté luxe, les maisons se mettent doucement aux roulettes car le marché n'est pas lié à la mode.« La qualité suppose une expertise et un temps de développement long que toutes les maisons n'ont pas. La fabrication demande trois heures et demie contre quarante minutes pour un sac »,observe Laurent Vigneron, directeur du studio de création de Lancel, dont les produits sont testés sur des tapis roulants équivalant à trente kilomètres. Après une première génération peu stable, d'énormes progrès ergonomiques et technologiques ont été faits depuis cinq ans, grâce à l'influence de l'Asie, à la fois prescriptrice et fournisseur des composants. Le premier fabricant des mécanismes, Matzuzaki, est japonais et une bonne partie de la fabrication est délocalisée en Chine.« Après les tubes télescopiques, le toucher soft en caoutchouc, les boutons qui éjectent la poignée devenue plate ou en ellipse ovoïde, ce qui était impossible il y a peu, une nouvelle génération va arriver en fin d'année, avec des poignées plus ergonomiques et des formes moins encombrantes »,confirme Laurent Vigneron. Les plus de Lancel :« Sa toile enduite, son cuir végétal qui se patine comme la sellerie, son rouge best-seller qui va être retravaillé pour l'été et son image de luxe abordable. »Le monde du bagage représente 25 % des ventes de Lancel.
De son côté, Gucci propose plusieurs modèles de sacs et valises à roulettes de différentes tailles en toile siglée, imperméabilisée et travaillée avec du cuir marron. Sa dernière nouveauté : la toile en nylon noir Parana. Le très chic Goyard s'y est mis aussi.
Roulettes centenaires
« L'histoire de Louis Vuitton est intimement liée à celle du voyage moderne. Nous nous devions d'offrir cette fonctionnalité à nos clients »,explique le service marketing de la marque, qui a lancé en 1998 la famille des Pégases, avec un premier modèle Monogram. L'offre s'est ensuite enrichie de différentes tailles, des lignes Damier et Taïga complétées, cette année, par Damier géant.« Cette ligne innovera grâce à sa toile - un textile résistant, léger, au contact très sensuel - et son procédé de fabrication, la thermocompression, qui nous permet d'associer une meilleure protection avec plus de légèreté et des formes nouvelles, tout en courbes. »Leur fabrication est entièrement intégrée.
Seront mises en vente à Drouot, le 5 avril prochain, sous l'expertise du cabinet Chombert et Sternbach, des malles-cabines Vuitton avec leurs roulettes... plus que centenaires.
Pour accompagner les innovations, 2004 sera une grosse année de communication pour l'été et l'hiver, périodes de pointe des ventes. Samsonite devrait intensifier sa campagne de l'automne dernier (890spots télévisés conçus par TBWA\Bruxelles). Lancel en peaufine une nouvelle avec Maurice Betite, qui a longtemps travaillé pour Vuitton. Sonnez trompettes, roulez valises...