Régies cap sur le plurimédia

Description

L'appel d'offres pour la commercialisation de l'espace publicitaire du site Web de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), qui s'est clos le 9 juin, l'a montré : il n'est plus aujourd'hui de chasse gardée dès lors qu'il s'agit d'Internet. À côté des structures ad hoc Hi-Média et Adlink, les images d'archives haut débit de l'INA mobilisent les candidatures de régies provenant d'horizons divers : TF1 Publicité, France Télévisions Publicité, IP, Lagardère Active Publicité, AOL, etc. Fini le temps où chacune d'elles se contentait de défendre son média, son mode de diffusion et sa part de marché. « On est tous sur le même territoire, celui de l'image et du son », observe Michel Cacouault, directeur général d'IP, la régie de RTL, qui n'hésite pas à affirmer qu'il veut en faire « la première régie du Web ». Comme nombre de régisseurs, l'homme travaille sur son interface avec le haut débit via la numérisation de l'antenne, la diffusion en « streaming » et, bien sûr, les podcasts : les émissions Les Grosses Têtes et On refait le match, sur RTL, comptent parmi les plus grosses audiences du genre. Ce n'est pas un hasard si IP axe aujourd'hui sa communication autour du label « triple play ». La régie se juge légitime pour faire aussi bien des vidéos podcasts pour Peugeot que des spots parlés sur les grandes ondes. Un signe ? Elle a récemment signé un accord de reprise avec Podemus, le premier site de podcasts. « Les marques de médias restent un fédérateur essentiel des " mass media ", mais elles fédèrent des communautés pour lesquelles nous pouvons travailler des offres », estime Michel Cacouault.

Individualisation et sur-mesure

Valoriser non seulement des contenus, mais ceux qui les consomment, être en mesure de suivre le téléspectateur ou l'auditeur nomade quels que soient les supports : telles sont les nouvelles règles d'or des régies, dites à 360 degrés. Philippe Santini, directeur général de France Télévisions Publicité, parle de « don d'ubiquité ». « Il en faut pour suivre le même signal sur les différents canaux de distribution et les divers écrans, qui vont du téléphone au cinéma en passant par l'ordinateur et le téléviseur. » Selon lui, cette révolution numérique va inciter les régisseurs à proposer aux annonceurs de véritables stratégies de construction d'audience en fonction de cibles données. « Ce qui caractérise cette ubiquité, c'est la possibilité de contacts de plus en plus individualisés », estime-t-il.
Car il s'agit aujourd'hui moins de bâtir des offres toutes faites incitant à l'achat du média que de proposer des solutions sur mesure, dans la panoplie des vecteurs de communication, en fonction des problématiques du client. France Télévisions Publicité a déjà développé une offre alliant ses écrans régionaux de France 3 aux grands écrans de Screenvision en Rhône-Alpes, soit l'alliance d'une couverture plutôt locale et âgée avec des cibles jeunes et urbaines. Elle prévoit d'étendre ce couplage à l'ensemble du territoire et d'y adjoindre une offre Internet. « Nous voulons avoir un dispositif audiovisuel transversal au niveau régional, voire national », explique Philippe Santini, qui a repris en régie les sites de Radio France ainsi que celui de la « communauté des gourmands » marmiton.org. Quelle est la légitimité de France Télévisions sur Internet ? « Notre capacité à diffuser de l'image et du son », répond le patron de la régie. La numérisation et le haut débit offrent en effet un boulevard aux spécialistes de l'audiovisuel sur Internet.
Pour faire face à la demande croissante des annonceurs de solutions transversales, les régies commencent ainsi à s'organiser. M6 Publicité a intégré, fin mars, les activités Internet, événementielles (spectacles, tournées d'été) et presse (Homme en ville, Femme en ville, Citato, Fan 2, etc.) du groupe. Pour son produit 7 Up, PepsiCo communique par exemple depuis le 21 juin sur Internet, sur la chaîne et la presse du groupe M6. « Des annonceurs ont adopté une approche plurimédia alors qu'ils étaient jusqu'alors plutôt télévision ou presse, explique Catherine Lenoble, directrice générale de M6 Publicité. Les titres de presse sont tirés par la chaîne mère et peuvent ainsi accéder à un grand nombre de marques, mais, en même temps, ils nous font découvrir des annonceurs qu'on n'a pas l'habitude de voir et qui pensent que la télévision est un média cher. Nous pouvons les orienter vers nos chaînes thématiques. » Même le téléphone mobile peut être source de synergies, comme en témoigne une opération SMS pour les Notaires de France, associée à un programme court de M6, au magazine Citato et au site m6.fr. Les 400 000 clients de M6 Mobile by Orange seront-ils bientôt de la fête ? « Nous sommes prudents par rapport aux offres promotionnelles, mais on peut imaginer demain des opérations qui vont solliciter nos clients téléphoniques », répond Didier Presse, directeur du développement de M6 Pub.
Même raisonnement chez NRJ Régies où Jean Muller, directeur général, rappelle qu'une direction commerciale transversale est à pied d'oeuvre depuis l'an dernier pour épouser les nouveaux modes de consommation des médias. Le 1er décembre 2006, la régie récupérera d'ailleurs la commercialisation de tous ses sites Internet, jusqu'alors confiée à Horizon Médias. « Nous avons une approche plus orientée vers la solution clients que vers la vente d'espace classique, et nous travaillons sur la mise en place d'une tarification transversale », dit-il. L'annonceur se voit donc proposer un message déclinable sur le Web, la télévision, la radio ou le podcast... Avec, là aussi, des débouchés futurs sur NRJ Mobile si la loi le permet. Toyota met en scène son modèle Aygo aussi bien sur NRJ 12 et nrj.fr que lors d'une opération spéciale de la radio. Mais la grande particularité de la régie est d'accompagner ses actions par des volets terrain, comme 200 000 stickers pour Renault Clio ou un « road show » pour le bouquet TNT payant de Canal + à Toulouse. Avantage d'un réseau radio : il permet une approche très géomarketing car il autorise une communication ciblée sur les décrochages locaux. « On peut s'appuyer sur nos 400 commerciaux en régions, souligne Jean Muller. Et nous jouons sur la synergie entre la communication de marque et celle du point de vente. »
Le terrain, c'est égalementt le positionnement qu'a choisi d'adopter TF1 en lançant sa filiale TF1 Hors Média à la rentrée 2005. Cela donne lieu à des actions assez protéiformes, comme les dispositifs Perrier Fluo (lire page 34) ou Toyota, qui associent les médias du groupe (TV, Internet, presse et mobile) à de l'échantillonnage, de la promotion sur le point de vente et de l'affichage sur la tour de TF1 (le groupe a revu récemment à la baisse son format d'affiche à la suite d'une intervention de la mairie de Boulogne). Ticket d'entrée : entre 0,5 et 1 million d'euros. Un volet « licensing » permet aussi à la régie de vendre à Sunsilk la tournée de casting de la série Sous le soleil diffusée sur la Une. L'annonceur a ainsi l'assurance d'avoir un contact direct avec des clients potentiels, en plus de la puissance et de la notoriété de la chaîne. « Nous voulons toucher le consommateur à chaque moment de sa vie et nous travaillons pour cela sur des développements », souligne Martine Hollinger, directrice générale de TF1 Publicité, régie qui s'affirme désormais « pluri-audiovisuelle ». Le groupe, qui se développe dans la téléphonie mobile, le site communautaire (Wat) et les jeux (Play One), sera bientôt en mesure de saisir les générations quels que soient les canaux. Pour l'heure, il est possible de communiquer sur LCI à la fois via le petit écran, le site, le podcast vidéo ou le téléphone portable.

« Des contacts instantanés »

Chez Lagardère Active Publicité, qui développe depuis longtemps une logique de « cross media » en raison de son articulation historique radio-TV (sans parler du Web, avec Club-Internet), l'aspect hors-médias n'est pas non plus oublié. Selon Constance Benqué, sa présidente, il s'agit d'agréger des audiences pour mieux toucher une cible, telle l'opération pour le compte jeune de La Poste. On y retrouve à la fois MCM, Europe 2, europe2.fr, mcm.net, Virgin Megastore et les magasins Relay. Idem avec Miko. « Nous raisonnons en termes de cibles et mettons en avant les marques, observe Constance Benqué. L'idée est d'avoir une offre suffisamment large pour répondre à la demande des annonceurs. » La régie commence déjà à travailler avec les magazines d'Hachette sur des opérations comme Axe Boat (lire encadré). Demain, elle espère associer Europe 1, Le Monde et lemonde.fr pour devenir incontournable sur la cible des CSP+. Récemment, la régie a même signé un accord avec l'éditeur Mobile Dream Studio, spécialisé sur les « mobizines ».
Pour une régie de presse magazine comme Interdeco, plus question non plus de jouer dans la cour du monomédia. Le groupe s'est donné pour but de réaliser 10 % de son chiffre d'affaires dans les nouveaux médias. « Nous sommes moins régie de magazines que régie de contenus, et nous vendons des marques quel que soit le support : magazine, e-mag, portail HFM, site Internet et, demain, mobile », affirme Olivier Chapuis, son président. La clef de voûte ? L'interactivité. Public TV est aujourd'hui une minichaîne qui peut accepter de la publicité vidéo et l'internaute peut aussi cliquer sur un site en images. D'où l'importance de mieux prendre en compte l'audience des marques dans leur ensemble, aussi bien sur papier que sur Internet. En janvier 2007, les marques de presse verront leurs audiences étudiées de façon globale par l'Epiq (quotidiens) et l'AEPM (magazines). Mais, comme le projette cette dernière, il reste aussi à se rapprocher de la mesure d'audience en temps réel qui caractérise la télévision. « Le grand enjeu de demain, estime Olivier Chapuis, ce sera non plus seulement d'avoir des médias reconnus, mais des médias d'instantanéité qui distribuent des contacts en peu de temps. » La presse magazine a, selon lui, toutes ses chances car la segmentation lui est favorable, mais il lui faut une mesure d'audience adaptée : que l'on sache quel jour et à quel moment de la journée une annonce est vue.
Reste, de l'avis des principales régies publicitaires du marché, à vaincre les réticences pour la transversalité des agences médias, même si celles-ci s'en défendent (lire page 38). Elles sont considérées comme encore trop cloisonnées par médias et peu enclines à renforcer leur planning stratégique en raison d'une rémunération jugée trop faible des annonceurs. « Et elles souhaitent contrôler l'achat », observe Olivier Chapuis. Une offre transversale est en effet suspectée de vouloir se passer des conseils des intermédiaires, même si les régies font toutes la promesse de vouloir agir « en bonne intelligence » avec eux.