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Fauchon réinvente Fauchon
22/11/2007 - par Christine HalaryL'enseigne de la placede la Madeleine s'était perdue.Elle a retrouvé des couleursavec une stratégie simple :inventer en se souvenant.
Un régal pour les yeux autant que pour les papilles. À l'approche de Noël, Fauchon drape son fameux éclair de... fourrure ! Il se fait tour à tour glamour avec une robe de noix de coco et de paillettes d'argent, ou tendance dans un fourreau léopard en chocolat. Place de la Madeleine, à Paris, les gâteaux pavoisent comme des mannequins dans un défilé de mode. Christophe Adam, le créateur pâtissier maison, cisèle sa collection de fin d'année où le biscuit scintillant aux allures de boule disco côtoie la bûche baroque. La pâtisserie est aujourd'hui à Fauchon ce que la haute couture est aux maisons de luxe : une vitrine certes dispendieuse, mais qui rend la marque désirable. Un parti pris audacieux et salvateur. Lorsque Michel Ducros, fils du fondateur du groupe homonyme, prend le contrôle de Fauchon en 2004, l'initiative tient du patriotisme. Moribonde, la plus que centenaire épicerie fine cumule plus de 11 millions d'euros de pertes. L'enseigne déclinante paie le tribut d'une série d'erreurs stratégiques qui ont fini par banaliser son image, comme la diffusion tous azimuts de ses produits en grandes surfaces ou l'essor incontrôlé de ses franchises. « Fauchon, qui avait forgé sa réputation sur l'excellence des produits, se réduisait à un packaging, de surcroît ringard », ajoute Alain Doré, directeur de création de Desgrippes Gobé, sollicité pour le relancement. Dans ce sombre bilan, une première étude d'image glisse une note positive : Fauchon reste une marque mythique. Et sa notoriété est mondiale. Comment métamorphoser la vieille dame poussiéreuse en une contemporaine « Maison des luxes alimentaires » ? L'ex-publicitaire Isabelle Capron, une HEC recrutée à la direction générale, relève le défi avec cette recette simple : « Inventer en se souvenant ».
La démarche n'a rien d'original. Elle s'inspire des grandes marques de luxe telles Hermès, Louis Vuitton ou Chanel, qui ont pris le virage de la modernité en puisant dans leurs racines. La nouvelle équipe Fauchon exhume les archives de la maison à la recherche des savoir-faire et des produits. Elle met ainsi en lumière un fil conducteur, celui de l'innovation. À la fin du xixe siècle, Auguste-Félix Fauchon, intrépide épicier normand, sélectionne le nec plus ultra des produits d'avant-garde, invente des pâtisseries originales comme ce gâteau de voyage baptisé Le Triomphe, et s'impose comme le précurseur des produits sous label privé. L'entrepreneur cumule les métiers : épicier et pâtissier, mais aussi traiteur, confiseur, caviste et restaurateur. Si bien qu'aujourd'hui, l'enseigne réaffirme son identité de multispécialiste de luxe dont le fer de lance est la créativité. « " Inventer en se souvenant" signifie aussi "Transgresser la tradition" », prévient Isabelle Capron. En guise de premier acte de rupture, Fauchon réinvente son magasin historique de la place de la Madeleine. « Une façon de montrer que nous étions toujours vivants », explique-t-elle.
Au printemps 2004, l'agence de design Desgrippes Gobé fait table rase d'un décor où rien d'authentique, ni les tapisseries ni les fauteuils imitation Louis XVI, ne mérite de subsister. « Il fallait réinstiller du luxe, avec un côté cosmétique et exclusif », souligne Alain Doré, qui imagine le magasin tel un « théâtre du goût, du plaisir et de l'exception, où le produit est la star des lieux ». Sol de jais, mobilier en damier : le noir et le blanc, à l'image du logo quasi hypnotique de l'enseigne (conçu en interne dans les années trente) claquent de haut en bas, rehaussés d'un intense rose magenta. Un rose symbole de gourmandise, qui faisait partie du patrimoine oublié de la marque. L'agence s'implique jusque dans la façon de disposer les articles en vitrine et derrière les comptoirs. Une scénographie sans cesse renouvelée, afin de toujours maintenir éveillée la curiosité des clients. Et ça marche : la rénovation fait grimper le chiffre d'affaires de la boutique de 260 % ! À la suite de Desgrippes Gobé, l'architecte et designer Christian Biecher pousse la radicalité jusqu'à oser le « total look » en or, évocateur de la blondeur du pain et des viennoiseries, dans le nouvel espace boulangerie inauguré en janvier 2007. « Un projet gonflé, confesse ce créateur en vogue, qui loue la prise de risques de son client : Fauchon a compris qu'il fallait être segmentant pour exister. On ne peut pas affirmer une identité forte avec un consensus mou ! » Une fois encore, l'audace paie. Depuis l'inauguration de cet espace ultracontemporain de grignotage chic, le trafic a doublé dans le magasin et les ventes ont bondi de 60 %.
Rupture architecturale et publicitaire
Pour rendre la marque aussi désirable qu'un parfum, l'équipe de création interne (qui compte dans ses rangs Jean-Pierre Busson, un ancien de l'agence FCB) opère d'emblée un double saut créatif. Sur la première annonce, un homme, sac Fauchon griffé du fameux semis noir et blanc en bouche, se penche sur les lèvres gourmandes d'une femme. Première disruption : les lèvres ne sont plus réservées aux seuls cosmétiques. Inédites dans le secteur alimentaire, elles sont pourtant tout à fait légitimes dans le territoire d'expression de la marque, fait de gourmandise et de sensualité. Et, en prenant le parti de la couleur et de la gaieté, la campagne transgresse aussi les codes convenus du luxe, qui imposent une distance parfois glaciale. Le slogan « Fauchon s'emporte » est choisi sans intention de provocation mais avec le souci de créer un électrochoc. « Ce premier slogan était aussi un message de ralliement interne », explique Isabelle Capron. Resserrée autour d'une équipe de 184 personnes (contre 800 quand Fauchon s'était offert le groupe Flo, dont Michel Ducros s'est aussitôt délesté), la célèbre épicerie fine a gagné en rapidité d'exécution.
Pour remettre à plat ses lignes de produits, elle n'hésite pas à recruter des spécialistes de chaque catégorie - chocolat, thé, épicerie salée ou vin - avec un mot d'ordre qu'Auguste-Félix Fauchon prônait déjà en son temps : offrir de l'inédit. « Du beau, du bon, du bien », résume Isabelle Capron. Trois fronts sur lesquels les initiatives se multiplient : recherche en matière de design culinaire, création de comités de goût composés de complices extérieurs, et mise au point d'un nouveau concept Fauchon Beauté, en partenariat avec des pharmacologues. « Certains produits comme le thé déclineront une promesse minceur, beauté ou anti-âge dans un esprit de plaisir plutôt que de santé », précise-t-elle. Surtout, face à l'essor des cuisines du monde, indienne, thaïlandaise ou encore mexicaine, Fauchon brandit l'étendard du goût à la française. L'enseigne met à l'honneur des labels de terroir comme le saumon de l'Adour ou le caviar d'Aquitaine. Elle source les meilleurs ingrédients, traque les producteurs les plus talentueux et développe avec eux des recettes exclusives, comme ces rillettes de poisson mitonnées par un petit producteur de l'île de Groix. Une « french touch » gastronomique qui colle aux ambitions internationales du groupe. « Pas moins de 60 % du chiffre d'affaires est réalisé à l'étranger, souligne Philippe Thomas, l'inventeur de la Grande Épicerie du Bon Marché, enrôlé au printemps 2005 à la direction générale de Fauchon. Et nous oeuvrons à renforcer notre implantation sur les marchés du luxe comme l'Asie ou le Moyen-Orient. » La publicité, elle aussi, se mondialise : « Paris on your lips » est le nouveau slogan de l'épicerie fine, qui ponctue un visuel très haute couture. « Fauchon, c'est goûter un morceau de France », décrypte Jean-Pierre Busson. Un raffinement dont le berceau presque proustien s'appelle La Belle Madeleine...
Au coeur de la capitale, le vaisseau amiral, avec ses deux adresses d'exception autour de la même place, achèvera sa mue au printemps prochain. Derrière l'épure chic et contemporaine de la façade en verre laqué noir percé de larges baies, l'esprit Fauchon sera celui du luxe invitant. Pas question de se figer en une belle et distante vitrine. « Nous voulons être exclusifs et accessibles », insiste-t-on à la direction. Deux impératifs pas forcément contradictoires. Pour démultiplier les occasions de consommer, l'enseigne a décidé de donner envie de pauses gourmandes autour de chaque métier : un pôle grignotage jouxte le comptoir de la boulangerie, un bar à caviar s'implante dans l'espace des produits frais, et bientôt un bar à vin animera la cave comme un bar à chocolat le rayon des confiseries. « Nous tricotons une offre de restauration qui se combine avec la vente à emporter », explique Philippe Thomas. Point d'orgue de ces lieux de vie, le café, au premier étage du 30, place de la Madeleine, joue lui aussi le minimalisme élégant et parisien avec des produits nature qui magnifient la qualité des matières premières : assiettes de foie gras, de jambon ou de fromage servies dans un décor argent. « Nous avons retenu de la cuisine Fauchon qu'elle était lumineuse, justifie l'architecte Christian Biecher. Elle offre un éclairage moderne sur la gastronomie française. »
Bonbons de foie gras
Le concept devrait séduire les jeunes urbains, adeptes du grignotage haut de gamme. Et pas seulement en France. Car le modèle Fauchon fait fureur à l'étranger. « Au Japon, c'est la folie, témoigne Philippe Thomas. Des dizaines de points de vente se mettent au diapason de la nouvelle identité architecturale. » Pour garantir la qualité des recettes, la maison mère dispense gracieusement ses formations dans ses murs de la place de la Madeleine. « Les franchisés restent le temps qu'ils veulent. Ils sont nos invités », insiste Philippe Thomas.
Inspiré, le nouveau Fauchon épouse son époque. Celle de la consommation à portée de clic avec un nouveau site Internet marchand, celle de l'explosion des repas hors domicile avec ses multiples comptoirs gourmands. Le chef pâtissier s'imprègne lui aussi des modes de vie pour innover. Élégants et astucieux, les gâteaux emballés comme des rouges à lèvres se dégustent sur le pouce sans salir les doigts. Gourmands et colorés, les bonbons de foie gras dans leur papier de soie noir, doré ou rose apportent une pointe d'humour à l'apéritif. Christophe Adam veut aussi dépoussiérer le rayon traiteur, en échafaudant des recettes plus ludiques et moins conventionnelles. Sa dernière trouvaille ? Une papillote de Saint-Jacques translucide en forme de tube, dont la gelée de vin fond subtilement à la chaleur du four. Rien de tel dans un dîner chic pour époustoufler les invités et réjouir leur palais.