Vous êtes ici
Pour bénéficier des alertes ou des favoris, vous devez vous identifier sur le site :
Vous avez déjà un identifiant sur stratégies.fr ? Identifiez-vous
Pas encore d'identifiant ? Créez vos identifiants
Comment naissent et grandissent les idées
10/01/2008 - par Jules Vermillon« La société des idées » est le thème cette année de la Semaine de la publicité. Comment naît une idée publicitaire ? Comment la valider, puis la développer ? Visite dans les cuisines créatives des agences.
Dans le schéma publicitaire traditionnel, le brief donné par les commerciaux passe par la case du planning stratégique avant d'atterrir chez les créatifs. Un processus que beaucoup jugent obsolète. D'où l'émergence du « 360°», qui répond à la volonté d'envisager toutes les hypothèses dès le départ de la réflexion. Autant que l'idée elle-même, ce sont les canaux par lesquels elle va s'exprimer qui sont capables de stimuler la création. « Il faut raisonner en termes de rapport contenant-contenu, résume Pascal Grégoire, coprésident de La Chose. Si l'idée n'est valide que sur un seul support, il y a danger. Une bonne idée doit pouvoir voyager et s'adapter à plusieurs canaux d'expression. » Sans pour autant s'opposer à cette approche, Nicolas Bordas, président de TBWA France, évoque les différentes valeurs d'usage d'une idée : « Elle peut être dans un modèle économique, dans une innovation produit ou service, dans un positionnement de marque ou un choix tactique. Toutes les idées ne sont pas pérennes, mais elles n'en sont pas moins essentielles à l'entretien d'une préférence de marque. »
Mélanger les cultures
Dans cette perspective, TBWA Japon a su donner du sens au slogan « Impossible is nothing » d'Adidas avec l'opération « Football vertical », où de vrais joueurs étaient accrochés sur un mur imitant un terrain de football. Une idée qui n'aurait pas vu le jour sans la prise en compte de la valeur créative du marketing de rue et de l'événementiel. Ce qui signifie que l'attitude créative doit irriguer toutes les strates de l'agence, du service commercial au planning stratégique en passant par la stratégie des moyens. Encore faut-il imaginer la structure interne qui favorise cette circulation nécessaire à l'éclosion des idées. Un modèle que Pascal Grégoire résume à sa manière : « Le schéma de notre petite entreprise doit concilier à la fois le bordel et l'efficacité opérationnelle nécessaires à la confrontation des idées. »
Dans ce registre, Young&Rubicam France a commencé sa révolution en 2004. L'arrivée de Jacques Bungert et Frédéric Torloting à sa tête s'est notamment traduite par l'abolition des frontières entre l'agence de publicité Y&R et ses homologues en marketing services (Wunderman) et en événementiel (Prodeo). Une ouverture symbolisée par la fin de la facturation entre filiales. Pour structurelle qu'elle soit, cette décision n'en est pas moins motivée par la recherche d'une meilleure performance créative : « Pour que naissent les idées, il faut casser les schémas, qui ne font que reproduire des clones. La mixité des cultures est fondamentale et, pour qu'elle existe, il faut que chacun se sente respecté et valorisé », assure Frédéric Torloting. D'aucuns diront que ceci n'a rien à voir avec cela, mais il se trouve que, dans les palmarès créatifs, Y&R a considérablement amélioré sa position.
Stimuler les échanges
Cette nouvelle organisation d'agence n'est pas unique. Draft-FCB est sur la même longueur d'ondes lorsqu'elle fusionne les réseaux Draft (marketing services) et FCB (publicité). Arrivé à l'été 2007 à la présidence de la société, Benoît Héry rappelle utilement qu'une agence « n'est pas un catalogue d'idées prêtes à l'emploi. C'est une somme de compétences qui permet de faire émerger des idées liées à une problématique d'entreprise, de marque, de produit, de marché. L'expérience et la culture marketing y sont fondamentales. » Frédéric Raillard et Farid Mokart, cofondateurs créatifs de FFL, ne disent pas autre chose quand ils rappellent que « la création publicitaire est un art appliqué et sous contrainte. Les idées n'ont une chance de s'exprimer que si l'on s'est donné la peine de connaître et comprendre la grammaire des marques. » Et si FFL se refuse à formaliser une philosophie d'agence, c'est qu'elle considère que la culture des marques prime sur la ou les philosophies des agences qui les servent.
Au rayon méthodologique, DDB a instauré ce qu'on nomme en interne les BIS pour « Big Ideas Sessions ». Elles réunissent créatifs et planneurs stratégiques quatre à cinq fois par an. Objet : identifier dans la masse de la production publicitaire mondiale les idées les plus fortes, tant en termes de positionnement de marque que d'expression créative. Au menu de la dernière BIS, en novembre 2007, figuraient les campagnes Axe « 1 + 2 = 3 », le relancement de Rayban, le « Joga bonito » de Nike, ou encore le lancement du jeu vidéo Halo 3.
Autre tendance : la présence d'un invité créatif mais extérieur au monde de la communication (musicien, architecte, scénariste, etc.) afin de stimuler les échanges entre créatifs d'univers soumis à des contraintes et des environnements différents. Avec ce même souci de mixité des cultures, Benoît Héry s'est fixé comme objectif d'avoir chez Draft-FCB Paris au moins un quart des effectifs créatifs composés d'étrangers (Asie, Scandinavie, Europe de l'Est, etc.). Voilà pour la mixité culturelle. L'autre axe d'évolution réside dans l'intégration de nouveaux profils tels que vidéaste, planneur sonore ou architecte pour l'élargissement des compétences créatives.
Cette nécessaire ouverture n'obère en rien l'indispensable expérience des patrons de création. Comme le souligne Stéphane Xiberras, coprésident chargé de la création de BETC Euro RSCG, « il faut savoir identifier les bons ballons ». À savoir, les « bons » briefs sur lesquels l'enjeu créatif est capital. « Partant de là, le travail d'un directeur de création va consister à valider chaque étape de l'exécution. C'est essentiel, parce qu'une bonne idée tombe facilement dans la médiocrité si l'on ne vérifie pas régulièrement que l'exécution nourrit l'idée et qu'elle ne la dénature pas. »
Changer d'angle de vue
« Je ne peux pas définir le processus qui permet de faire émerger l'idée, mais je sais qu'il obéit à une succession de phases de concentration et de relâchement. Il faut avoir beaucoup trituré le brief et le confronter à une foule de questions pour espérer accoucher d'une idée viable », avance Olivier Altmann, coprésident chargé de la création de Publicis Conseil. Il évoque à ce propos le cas Wonderbra. Comment renouveler le discours de la marque après les années « Dans les yeux » tout en valorisant ce capital publicitaire ? À l'arrivée, le résultat semble évident de simplicité. Pourtant, il a bien fallu que des créatifs, nourris de la culture de la marque et de son univers concurrentiel, comprennent que la clé n'était ni dans le produit ni dans la plastique du mannequin, mais dans le regard. D'où le choix stratégique et créatif de déplacer l'angle de vue : ce n'est plus la femme qui demande à être regardée dans les yeux. L'évidence du produit se lit désormais dans le regard de ceux qui voient cette femme portant un Wonderbra.
Dur métier, qui cultive les paradoxes. À l'origine, un grand néant. À l'arrivée, rien de plus simple qu'une grande idée. Au milieu, beaucoup plus de sueur et de larmes qu'il n'y paraît. Les poubelles des agences regorgent tous les soirs de plus ou moins bonnes idées. Toutes ne méritent pas forcément les oubliettes de l'histoire publicitaire, mais toutes sont victimes du sort que le client, le directeur de création ou la convention du moment leur réserve. C'est la loi d'une création sous contrainte, dont l'apparente facilité ne doit pas occulter la sévérité de la sélection qui, si elle n'est pas naturelle, n'en est pas moins structurante. Au boulot !