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Un modèle d'agence à mettre en oeuvre
17/04/2008 - par Cathy LeitusLe marché des agences interactives poursuit sa consolidation dans un environnement loin d'être stabilisé.
Silence ! Ici on travaille, on intègre, on consolide et on cherche le bon modèle. Marqué en 2007 par des rachats successifs, des redéploiements et un jeu de chaises musicales, le paysage des agences interactives a profondément changé. Pour la première fois l'an dernier, deux grands réseaux « pure players » américains ont pris pied en France. Mais de façons diamétralement opposées. L'un, Digitas, en se faisant racheter par le groupe publicitaire français Publicis. L'autre, Avenue A Razorfish, en mettant la main sur Duke, l'une des plus prestigieuses agences indépendantes françaises.
Début 2007, c'est bien Maurice Lévy qui sonne le temps des consolidations. Pour 1,3 milliard de dollars (970 millions d'euros, à l'époque), le président de Publicis Groupe met la main sur Digitas, l'un des leaders américains du marketing direct et de la communication numérique. Pour porter Digitas en France et en Europe, Maurice Lévy jette ensuite son dévolu, en juin 2007, sur le leader indépendant français, Business interactif. Une opération doublement positive pour le quatrième groupe publicitaire mondial : suppression d'un concurrent et valorisation du cours de Bourse.
Parallèlement, le réseau Publicis Worldwide, dirigé par Olivier Fleurot, se renforce lui aussi dans l'interactif : il rachète fin août 2007 l'agence pure player W Cube rebaptisée Publicis Modem France, du nom du deuxième réseau créé en son temps par Digitas, dont il est depuis détaché. Modem, toujours dirigée par Thierry Vandewalle, annonce une croissance annuelle de 85 %. L'agence de marketing interactif travaille avec toutes les marques du réseau, mais surtout avec Publicis Dialog, l'agence de marketing services avec laquelle elle partage ses deux directeurs de création, Michel Duval et Guillaume Merlen (ex-Duke), et une directrice de clientèle et de relation client en ligne (ex-Full Six). De son côté, Publicis Net est l'agence de publicité interactive du réseau publicitaire. Ces entités cousines mais potentiellement concurrentes permettent au groupe de gérer les conflits d'intérêts entre annonceurs d'un même secteur.
Entre stratégie et tactique
Installer un réseau pure player tout en misant sur l'intégration d'une offre interactive chez ses agences traditionnelles (publicité et marketing services), est-ce de la part de Publicis une stratégie ou une façon opportuniste de proposer aux annonceurs deux des modèles qui coexistent actuellement sur le marché sans avoir à en choisir un ? Le groupe DDB joue aussi cette carte tactique pour clignoter Web auprès des annonceurs. Au gré des ans, il a dissocié, puis réintégré, puis redissocié son enseigne pure player. Aux dernières nouvelles, Tribal DDB a son existence propre, aux côtés de l'agence de marketing services Rapp Collins et de la publicitaire DDB Paris, qui développent chacune une expertise Web. Chez DDB, Hervé Cuviliez (ex-Rapp Digital) a été nommé directeur général adjoint chargé de la numérisation des enseignes. Chez Publicis, c'est David Kenny, le CEO de Digitas, qui a également la mission de diriger toute la stratégie numérique du groupe en tant que membre du directoire (lire l'entretien en p. 56). On imagine les tensions, les freins culturels, humains et financiers à ce type d'intégration.
Le marché s'interroge aussi au sujet de Duke, fleuron du secteur, cédé par ses fondateurs Christine Santarelli et Matthieu de Lesseux en mars 2007 au pure player américain Avenue A Razorfish (groupe Aquantive) pour 6 millions d'euros au comptant (solde dans trois ans sur résultats). Un montant bien modeste comparé aux 137 millions déboursés par Maurice Lévy pour absorber Business interactif. Trois mois après la vente, dans laquelle les patrons de Duke semblaient nourrir de grands espoirs, leur société mère Aquantive se vendait à... Microsoft ! Douche froide avec fuite inévitable de quelques talents... L'agence profite aujourd'hui de l'expertise média, technologique et relation client d'Avenue A Razorfish, ce qui lui a permis de gagner Weight Watchers France (budget médias) et Levi's Europe, déjà client du réseau aux États-Unis.
Mais Duke a perdu l'un de ses clients majeurs, Nissan Europe. Et si, comme on peut le supposer, TBWA récupérait le constructeur automobile, son client publicitaire, ce serait signe que Tequila, son agence de marketing services et interactive est, sous l'égide de son nouveau patron Laurent Lilti (ex-Ogilvy One), en ordre de bataille... numérique. « Nous croyons à un modèle d'intégration qui respecte le principe de spécialité, expliquent Guillaume Pannaud, président de TBWA Paris, et Laurent Lilti, de Tequila, qui ont le même compte de résultat. Il ne s'agit pas de décliner une idée publicitaire sur Internet mais de penser un système de communication. Dans cette approche, l'intégration peut être conduite par l'expertise Web. » Discours nouveau de la part d'une agence de communication. À suivre... Comme le modèle d'intégration totale à nouveau tenté par Benoît Héry, à la tête de Draft-FCB après le départ de Bruno Walther chez Ogilvy One. Guillaume Pannaud, ex-président de Draft-FCB, n'y croit pas. « Je ne prendrai aucun pari, estime Jérôme Toucheboeuf, directeur associé de Full Six. Il est trop tôt pour dire, par exemple, le modèle qui l'emportera. Le pure player ou le réseau de communication ? »
Évolution permanente
En attendant, le mouvement de consolidation touche également les agences moyennes. L'Enchanteur des nouveaux médias s'est vendu à The Marketing Group. « Un directeur marketing qui consacre 20 % de son budget au Web ne prend pas le risque de traiter avec une petite structure, explique Arnaud Dassier, directeur de l'agence interactive. Il faut réaliser 3 à 4 millions de chiffre d'affaires pour être crédible auprès des grands comptes. » Même volonté de s'unir pour être plus fort de la part de l'agence interactive Megalos, qui a rejoint CRM Company. Le groupe indépendant né en 2002 dans l'univers du marketing relationnel a des ambitions de généraliste. Après s'être étoffée en marketing opérationnel et en RP, CRM a recruté l'an passé trois pointures de la publicité dont Jean-Noël Perrin, ex-directeur général de DDB Paris. Full Six, dans la tourmente pour des raisons de désaccord avec son actionnaire de référence WPP, est également dans cette logique « généraliste » : l'agence a créé une structure événementielle Sixtizen. Florian Lang, le fondateur de Kassius, a très tôt défendu cette démarche 360° en plaçant l'interactivité au coeur du dispositif de communication. Buzzman, expert du marketing viral, élargit aussi son champ d'intervention au plurimédia.
L'intégration est dans toutes les têtes. Dans certaines agences, elle passe par le recrutement de talents. Le groupe Hémisphère a misé sur Yann Dacquay (ex-Full Six et Regenere) qui a pris la direction d'Hémisphère Digital (Web et mobile) et intervient en amont des dispositifs. Le référenceur Netbooster a fait affaire avec les anciens patrons d'Isobar Pierre Calmard et Philippe Seignol. Leur clause de non-concurrence échue, ils reviennent avec Netbooster Agency, positionnée sur l'acquisition et la fidélisation et intégrant la création et la mesure de l'efficacité. Un Isobar réinventé... Alors même que l'agence intégrée d'Aegis Media se renforce avec l'arrivée de Loeve Saint-Ourens, ex-Publicis (budget Renault), comme directrice du planning, et d'Alexis Tincelin, ex-Full Six, comme directeur associé. Business Lab, elle, pour se renforcer sur la gestion de la relation client, accueille un nouveau directeur associé, François Tastet, ex-directeur de Saatchi&Saatchi X et du pôle interactif. « Dans la plupart des réseaux d'agences dont l'ADN est la publicité, on demande encore aux marketing services et à l'interactif de décliner l'idée publicitaire », regrette-t-il.
Face à ce foisonnement, des structures capables de réaliser des plates-formes d'e-commerce (Digitas, Full Six, Nurun, etc.) aux « hot shops » créatives (Les Chinois, Visual Link, etc.) en passant par les pôles interactifs des agences de marketing services (Ogilvy Interactive, Wunderman, etc.) ou de publicité, les pure players orientés production et communication interactive (Beesnet, 5ème Gauche, Megalos, Planète interactive, Duke) et de nouveaux acteurs (dans le buzz, l'influence des blogueurs, le marketing mobile, la création de contenus de marque), les annonceurs ont du mal à suivre. Pas simple d'identifier les expertises et plus encore les périmètres d'intervention de chacun. « C'est un marché très complexe : les annonceurs travaillent avec désormais plus d'agences dans un contexte de décloisonnement des métiers. Une superposition des compétences qui a même pour conséquence que l'annonceur paie souvent plusieurs fois la même prestation », indique Fabrice Valmier, directeur associé de Vidéothèque VT-Scan, conseil en choix d'agence. Christian Larger, président de Gibory, complète : « Ce sentiment de flou est renforcé par le fait que ce marché se réinvente tous les semestres. Après les bannières, le rich media et la vidéo. Après les blogs, les réseaux sociaux. Après Second Life, Facebook... » « Dans ce contexte d'affolement tendu tant sur l'emploi que sur les marges, il faut garder sa ligne stratégique et affirmer une exigence vis-à-vis des clients », estime Fabienne Cammas, directrice de Beesnet.
« Les agences doivent faire oeuvre de pédagogie, sortir de leur jargon, dire le rôle de l'interactif et ses limites, et apporter un discours de preuve, renchérit Nathalie Regnault, cofondatrice de l'institut Limelight. Car, pour les annonceurs, l'agence qui sera demain incontournable sera celle qui maîtrise la communication interactive. »
Pédagogie d'autant plus nécessaire que de nouveaux entrants ont pris des positions inattendues sur le marché et brouillent un peu plus le jeu - à l'instar de Microsoft rachetant le groupe de marketing interactif Aquantive ou de l'éditeur Lagardère s'offrant l'agence médias en ligne Nextedia, « exacerbant les conflits d'intérêts », selon la formule d'Alain Lévy, de Weborama. Sans compter « la nouvelle concurrence des régies qui, à l'instar de Yahoo ou MSN, proposent des opérations spéciales aux annonceurs et court-circuitent les agences », selon Lionel Curt, directeur de Megalos. Et en attendant Google...