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La publicité est un métier sérieux
02/04/1999Tim Delaney est l'un des meilleurs créatifs anglais. Et la preuve vivante que l'on peut tirer son épingle du jeu sans être une multinationale.
Londres est souvent considérée comme la Mecque de la publicité mondiale. Les Français semblent bien à la traîne en comparaison. Pourquoi? Tim Delaney. La différence entre les Britanniques et les Français est culturelle. Ici, nous avons tous été bercés par la BBC. Entièrement financées par la redevance télé, les deux chaînes publiques ne sont pas forcées de faire de l'audience et elles ont appris aux Anglais à considérer l'image comme étant un moyen de faire passer des idées intelligentes. La qualité de la publicité outre-Manche tient aussi aux relations que nous avons établies avec nos clients. Je me rappelle la France, il y a une quinzaine d'années: une agence se comportait envers son client comme un domestique face à son maître. Les publicitaires eux-mêmes ne prenaient pas leur métier assez au sérieux. Et la qualité des créations s'en est ressentie. Les entreprises, surtout en temps de récession, font pression sur leur agence pour qu'elles créent des publicités «sages» tournées vers le produit... T.D. C'est faux. C'est une excuse pour expliquer le manque de créativité. C'est justement dans les périodes difficiles qu'il faut avoir les idées les plus originales pour séduire le consommateur. Et puis, le rôle d'une agence n'est pas de vendre un produit mais de créer une relation entre la marque et l'homme de la rue. Quand vous voyez une publicité pour Renault, vous n'allez pas quitter votre salon pour acheter la voiture. En revanche, un lien peut s'établir entre vous et le constructeur. C'est cela que nous devons faire comprendre à nos clients. Nous ne sommes pas là pour leur dire ce qu'ils veulent entendre. Notre rôle est de trouver les solutions à leurs problèmes. Mais il nous faut pour cela avoir leur pleine confiance. Comment gagner cette confiance? T.D. En leur montrant que nous prenons notre métier très au sérieux et que nous avons tout à fait conscience de nos responsabilités. Il n'est pas aisé de prouver cette conscience professionnelle. T.D. Le meilleur moyen est de beaucoup travailler. J'ai l'habitude de dire à nos employés:«Si vous n'êtes pas au bureau le dimanche, ne prenez pas la peine de venir le lundi.»Cette politique m'a empêché de recruter certaines personnes. À un homme qui m'a demandé quand il pourrait voir ses enfants avec la charge de travail que je voulais lui confier, je lui ai répondu:«Faites comme moi, ne les voyez pas.»Je sais que je devrais changer mais je n'arrête jamais de travailler. Il m'arrive souvent la nuit de me réveiller pour écrire une idée. Les week-ends, les vacances... Je ne connais pas. Avec de telles charges de travail, vos employés n'ont-ils pas tendance à partir après quelques années dans votre agence? T.D. Pas trop. La majorité de nos dix-huit créatifs qui sont séparés en quatre équipes travaillent ici depuis six à sept ans. Nous sommes en outre l'une des agences à Londres, avec BBH, qui reçoit le plus de candidatures directes. Et les personnes intéressées savent à quoi s'attendre en terme d'horaires. De plus, notre métier est passionnant et bien payé. Un créatif talentueux avec environ trois ans d'expérience peut espérer un salaire annuel de 500000F. Les meilleurs pourront doubler cette somme après quelques années supplémentaires. Rares pourtant sont les «vieux» créatifs de 40ans. T.D. Pour perdurer, il faut être compétent et avoir une volonté de fer. Chaque jour, un créatif doit avoir des idées originales et de qualité. Quand la source se tarit, c'est la porte. Mais il est possible de tenir le coup. J'en suis la preuve. J'ai quitté l'école à 15ans, j'en ai maintenant 52. Et pendant ces trente-sept années, je n'ai pas cessé une seule journée d'écrire des publicités. Vos responsabilités actuelles dépassent le simple rôle du créatif. T.D. Oui, mais je continue et continuerai à écrire des publicités. Je partage le reste de mon temps à juger le travail des autres créatifs de l'agence, j'assiste aux réunions stratégiques et je m'occupe aussi de la gestion de la société. Je tiens toutefois à garder un pied dans la création pure. Leagas Delaney fait aujourd'hui figure de Petit Poucet par rapport à des géants comme Omnicom et WPP... T.D. La taille n'est pas un problème. Notre objectif n'est pas d'être gros mais d'être bons et profitables. N'est-il toutefois pas difficile de remporter de gros budgets mondiaux quand on est une agence «locale»? T.D. Certaines multinationales n'aiment pas les grosses agences. Notre principal client, Adidas, en est un exemple concret. Vous savez, les gros groupes de notre secteur ne sont pas efficaces. Ils manquent de créativité et de courage. Les McCann-Erickson, Saatchi&Saatchi et autres Young&Rubicam ne font pas le même métier que nous. Ces sociétés sont pragmatiques et elles sont gérées comme des grands magasins de la publicité. Elles sont prêtes à tout pour gagner de nouveaux budgets et sauvegarder leurs parts de marché. Votre engagement avec Adidas vous a pourtant contraint à développer votre implantation à l'étranger. T.D. Les cinq bureaux que nous avons dans le monde ont en effet tous été créés à la demande d'Adidas. À San Francisco, par exemple, où nous avons aujourd'hui 55employés, nous avons travaillé exclusivement pour Adidas pendant une année entière avant de prospecter d'autres clients. Comptez-vous suivre la même stratégie dans la nouvelle agence parisienne, Leagas Delaney Paris Centre, qui a été inaugurée le 1er janvier? T.D. Exactement. L'image d'Adidas en France est très différente de celle qui existe en Angleterre. Une publicité qui passera sur votre marché doit être «française» pour mieux fonctionner. En créant sur place une agence, nous allons pouvoir mieux servir créativement le groupe dirigé par Robert Louis Dreyfus. Mais nous commençons dès maintenant à entrer dans des compétitions pour tenter de remporter des budgets locaux. L'ouverture de votre agence à Paris fait suite à votre superbe coup de pub de la Coupe du monde de football. T.D. C'est vrai. En décidant dès février 1998 de prendre comme slogan pour Adidas en France «La victoire est en nous», nous avons tapé juste. C'est un mélange de chance et de talent. L'idée de demander près de six mois avant la finale l'autorisation à la ville de Paris de diffuser sur l'Arc de triomphe des images de joueurs avec la marque allemande s'est aussi révélée très bonne. Nous avions déjà utilisé ce support pour la victoire de Jan Ullrich lors du Tour de France 1997. Mais nous n'avions pas demandé l'accord des autorités locales pour le faire. La police a alors tenté de retrouver durant la course la camionnette qui diffusait la photo du cycliste sur l'Arc de triomphe. Mais nous sommes parvenus à jouer au chat et à la souris avec eux tout en continuant de projeter l'image. Votre expansion à l'international ne prouve-t-elle pas qu'une petite agence doit ouvrir des succursales dans de nombreux pays pour s'en sortir? T.D. Non. Dans les autres marchés où Adidas est présent, nous travaillons conjointement avec leurs agences locales. C'est notamment vrai au Japon et en Australie. Nous n'avons pas l'intention de multiplier nos implantations aux quatre coins de la planète pour servir les besoins d'Adidas. Une bonne idée plaît au monde entier. Nous l'avons déjà prouvé avec certaines de nos campagnes pour le groupe de sport. Pensez-vous pouvoir sauvegarder votre indépendance longtemps? T.D. Bien sûr. L'agence est à nous. Nous l'avons rachetée en avril 1998 a Abbott Mead Vickers pour 4millions de livres. Je reçois régulièrement des propositions de rachat de la part de grands groupes de publicité mais je ne vendrai pas. Il est toujours possible d'être petit et de s'en sortir très bien.