La fonction marketing est dans l’œil du cyclone, bouleversée dans son organisation et ses outils par la révolution numérique. Le digital doit-il lui être intégré ou devenir une direction indépendante, temporaire ou définitive ? L’EBG et Infosys ont interrogé 90 directeurs marketing et digitaux qui testent ces différents modèles.

Les répercussions de la montée en puissance du digital sur les organisations, c'est l'un des thèmes majeurs traité par l'étude Référentiel des pratiques marketing et digitales 2013 réalisée par l'EBG (Electronic Business Group), premier club d'affaires de l'économie digitale, en partenariat avec le pôle digital de la SSII Infosys (1).

«La vraie révolution digitale est organisationnelle, confirme Benjamin Glaesener, directeur général de l'EBG. Les directions marketing qui ne sauront pas s'entourer ou se former vont perdre pied, à cause des technologies de plus en plus en complexes qu'il faut comprendre et maîtriser, et parce qu'elles risquent très vite de ne pas saisir les opportunités d'innovation et de création de nouveaux services que permet le digital. Le “time to market” devenant de plus en plus court, on voit bien aussi que la hiérarchie pyramidale, moins efficace car moins agile, est remise en cause.»

Réalisée à partir d'entretiens menés auprès de 90 directeurs marketing et digitaux issus d'un panel de secteurs large et représentant 75 grandes entreprises européennes et internationales implantées en France (et quelques «pure players»), cette étude se présente comme «le guide du (super) directeur marketing digital», avec un objectif: «Aider la communauté marketing à progresser en partageant les meilleures pratiques et en identifiant les freins auxquels elle peut être confrontée», indique Benjamin Glaesener. Son originalité est de faire une place éditoriale majeure aux directeurs marketing et digitaux qui seront interrogés chaque année.

En donnant la parole à une petite centaine de professionnels, l'EBG fournit une grille de lecture et des indications qualitatives précieuses sur les modèles d'organisation de la fonction marketing et la place du digital dans l'entreprise. Il ressort de cette première édition que le modèle matriciel est privilégié, adopté par près de la moitié des entreprises interrogées (47%), car il permet à la direction marketing groupe de s'appuyer sur des directions marketing locales («business unit») tout en assurant la cohérence globale et les grandes lignes stratégiques. Le modèle centralisé, qui assure l'uniformité et la maîtrise des processus ainsi que la bonne coordination des actions, est aussi très présent (31% du panel).

En revanche, les modèles décentralisés (14%) et coordonnés (8%) sont moins prisés. Certes, ils offrent une grande liberté d'action aux business units ou aux pays, mais le risque est un manque de cohérence dans les stratégies. Les différentes directions marketing ne bénéficiant pas de surcroît de la mutualisation des moyens et des savoirs. C'est pourquoi, si chez ING Direct, par exemple, le marketing est décentralisé, «l'organisation est structurée pour favoriser les échanges de bonnes pratiques au sein du groupe», souligne Sophie Heller, vice-présidente marketing et communication France de la banque.

Digital majoritairement intégré

Trouver l'organisation la mieux adaptée et la plus performante n'est pas simple. Ainsi, le marketing de Carrefour, plutôt centralisé, évolue vers un modèle décentralisé. De son côté, L'Oréal est en train de se diriger vers une organisation matricielle. Cependant, «c'est compliqué dans une organisation historiquement pyramidale. Certains objectifs et l'évaluation de la performance changent, ce qui engendre des résistances», note Georges-Edouard Dias, senior vice-président e-business du groupe.

Evian avait opté pour un modèle coordonné, mais, aujourd'hui, «c'est l'équipe centrale qui définit la stratégie et les contenus, puis les pays sont en charge de la mise en œuvre», dit Michael Aidan, directeur général de la marque monde.

Dans 65% des entreprises sondées, afin d'insuffler une culture digitale à tous les marketeurs, le digital est intégré à la direction marketing, qui a également sous sa coupe tous les éléments du marketing et des fonctions support (voir graphique). Ainsi, pour Stanislas de Parcevaux, directeur marketing d'Orangina Schweppes France, «l'erreur serait d'avoir un patron du digital alors que le digital est un canal au sein des stratégies médias».

Ce point de vue n'est pas partagé par ceux qui ont opté pour le modèle «indépendant» (16% du panel) où, dans ce cas, la direction marketing se scinde en deux, laissant place à une direction digital prenant la main sur le marketing direct et le CRM, le Web-digital, la Data-SFA et le «call center»; et une direction marketing opérationnel gérant aussi la communication. Dans 10% des cas, la direction du digital est indépendante, mais utilisée comme ressource support de la direction marketing. Enfin, pour 9% du panel, le digital reste strictement du ressort de la direction des systèmes d'information (DSI), autrement dit du service informatique.

Pour Isabelle Moins et Thibault Gossé, respectivement vice-présidente Internet et responsable pilotage e-CRM de SFR, «il est important de mettre le digital dans une entité différente pour ne pas le noyer au sein des processus marketing et commercial, même si le digital porte les objectifs de ces deux directions. La création d'une entité indépendante du marketing a ainsi été décidée par la direction générale afin de mieux la faire émerger.»

Virginie Fauvel, directrice de la banque en ligne de BNP Paribas, estime aussi qu'une direction digitale doit être et rester indépendante. Pour elle, «le digital est constitué de différents métiers spécifiques avec des compétences rares. Il est essentiel pour son développement au sein d'un grand groupe que ces compétences soient regroupées afin de bénéficier d'un écosystème favorable à l'innovation et au développement». Pour éviter le risque d'un fonctionnement en silo, Virginie Fauvel ajoute que les équipes digitales doivent travailler avec l'ensemble des équipes sur les projets de l'entreprise, ce qui pour elle «n'est pas contradictoire avec le fait d'être indépendant». La faiblesse d'une telle organisation, reconnaît-on chez SFR, c'est «qu'en tant qu'entité à part, il y a beaucoup d'efforts à faire pour s'assurer d'une coordination optimum avec des objectifs croisés».

Facteur clé de succès

Chacun teste des modèles d'organisation et tente de trouver le plus pertinent pour son entreprise. Par exemple, «si au niveau des pays, le digital est intégré et dépend du directeur marketing, à l'international, le digital est en support», note France Vialas, directrice digital de Garnier International (L'Oréal). Carrefour passe d'un modèle intégré vers un modèle indépendant, tandis qu'Odigéo (Opodo, Go Voyages…) a remplacé un modèle de digital intégré par une structure centralisée qui intervient en support pour favoriser le partage des expériences.

Le marketing digital d'Air France est actuellement indépendant, mais «nous sommes dans une démarche de centralisation pour créer un centre d'expertise et ensuite diffuser ce savoir», explique Tanguy Favennec, directeur marketing digital de la compagnie aérienne.

Chez Accor, «le digital est une fonction transverse à toutes les marques et de ce fait centralisé. Il conseille les équipes marketing qui bâtissent leur stratégie et repassent la main au digital pour la mise en œuvre, indique Rémy Merckx, vice-président ventes et distribution du groupe hôtelier. La contrepartie, c'est parfois un manque de ressources et de financement pour le développement du digital. Mais c'est en train de changer, précise-t-il. Accor n'a pas de culture IT et encore moins digitale. Or, c'est bien le digital qui est moteur et porte l'innovation.»

Patrick Hoffstetter, directeur de la Digital Factory de Renault, confirme: «Les moyens financiers constituent un facteur clé de succès. Avoir réussi à imposer, avec la Digital Factory, une plate-forme digitale globale change la donne, notamment pour discuter avec les pays. Mais la menace avec la crise est que l'on restreigne son budget.»

Michael Chrisment, «digital marketing & CRM manager» de Kraft Foods Europe, va plus loin. «Nous faisons du marketing dans un monde digital, souligne-t-il. Un département purement digital ne devrait plus exister une fois les organisations transformées (car) le succès réside dans la transformation de la fonction marketing afin d'inclure le digital-CRM- “social” à la stratégie marketing globale de la marque.»

Pour l'heure, «la question reste de lutter contre les silos entre les différentes fonctions de l'entreprise qui ne favorisent pas une vision globale du client, remarque Benjamin Glaesener, de l'EBG. Alors que le digital est un accélérateur de transversalité et de décloisonnement.»

En l'espèce, l'étude révèle que si la moitié des répondants estiment avoir mis en œuvre des actions pour renforcer la transversalité du digital, cela reste un chantier en cours pour plus d'un tiers d'entre eux, comme chez Axa, Accor, La Poste ou encore Club Med. «Il est nécessaire de bousculer les méthodes et la culture d'entreprise, en positionnant par exemple tous les métiers sur les réseaux sociaux: le “customer service”, les ressources humaines…Cela demande une implication importante des collaborateurs et passe par l'utilisation du Web comme un outil de travail central au sein de l'organisation», soutient Xavier Corouge, directeur e-commerce de Thomas Cook.

Légitimité

Ces démarches d'évangélisation et de diffusion du digital à toute l'entreprise sont un enjeu pour 2013, note l'EBG. De même, l'adhésion et l'implication du top management sont souvent citées dans les facteurs-clés de succès pour les directions digitales. C'est un moyen pour elles d'acquérir une légitimité dans les services sur lesquels elles n'ont aucun pouvoir hiérarchique. A cet égard, 64% des entreprises sondées déclarent avoir amélioré le positionnement du digital vis-à-vis de la direction générale, et elles sont plus de 67% à avoir nommé un directeur digital.

Cependant, Patrick Hoffstetter, de la Digital Factory de Renault, estime que «le sponsoring d'une seule personne ne suffit pas, il faut un soutien minimum de la direction générale. Il ne peut y avoir d'opposition entre elle et le “chief information officer”. Même, le directeur général adjoint ou le “chief marketing officer” doivent être moteurs.»

Certains prônent l'indépendance du digital vis-à-vis du marketing. «Le fait que le digital soit rattaché à la présidence facilite sa dimension transverse», affirme Valérie Dassier, directrice e-business et service clients de Comptoir des cotonniers et Princesse Tam-Tam. François Loviton, directeur marketing stratégie et e-commerce de Carrefour, estime pour sa part que le digital doit être présent en permanence au comité exécutif. Ce qui est déjà le cas pour 57% des entreprises du panel de l'EBG.

Lire aussi l'entretien avec Thomas Papadopoulos, directeur du pôle digital d'Infosys

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