L'optimisme béat n’est plus de mise en 2013 pour le secteur du luxe, même si la croissance est toujours au rendez-vous. Les professionnels interrogés en exclusivité par l'Ifop pour Stratégies restent positifs. Cela ne les empêche pas d’avoir une vision lucide de l’évolution des marchés.

Le marché du luxe a marqué le pas en 2013. Certes, des groupes comme Richemont (Cartier, Van Cleef), Prada ou Hermès continuent d'afficher des croissances à deux chiffres, mais d'autres, comme Louis Vuitton, Gucci ou Tiffany, commencent à ressentir les effets de la crise. Le chiffre d'affaires mondial du marché du luxe devrait certes continuer à progresser, mais de 4 à 6% cette année, contre 10% l'an passé, et de 5 à 6% les deux prochaines années, selon le rapport de Bain & Company paru en mai dernier.

Si la Chine a montré des signes d'essoufflement en 2012, enregistrant sa plus faible croissance depuis 1999, la consommation chinoise de produits de luxe devrait continuer de croître de 7% en 2013 et l'Asie-Pacifique de 20%. L'étude Bain & Company pointe une évolution du consommateur chinois vers un moindre engouement pour les produits de luxe avec logo - à l'instar des sacs Vuitton - alors que des mesures anticorruption ont déjà eu pour effet une forte baisse des exportations de montres suisses au 1er trimestre. De son côté, le marché américain, où LVMH et le pôle luxe de Kering (Gucci, YSL) ont connu en 2012 des croissances plus importantes qu'en Asie, offre des perspectives prometteuses.

Parmi les facteurs de croissance du luxe, l'étude rappelle la nécessité d'une stratégie 2.0 axée sur l'expérience consommateur, la réputation de la marque, l'innovation marketing et l'excellence, notamment des points de vente physiques, qui retrouvent leur importance. A noter enfin que dans les marchés les plus «mûrs», les marques de luxe misent sur les consommateurs «henry» («high earners, not rich yet», à gros revenus mais pas encore riches) qui, dans ces zones, sont «dix fois plus nombreux que les ultra-riches ».

Moins de pessimisme que l'année passée

Dans ce contexte, l'Ifop, pour la troisième année et en exclusivité pour Stratégies, à l'occasion du Grand Prix Stratégies/Amaury Médias du luxe, a interrogé, début septembre, 273 acteurs du secteur travaillant chez l'annonceur ou en agence pour prendre le pouls du marché (résultats ci-contre).

«Très clairement, l'année 2013 est plus crispée, le franc sourire qu'affichaient 40% des professionnels en 2012 est en retrait de 9 points. Et, surtout, l'inquiétude, qui avait reculé de 15 points l'an passé, regagne 12 points, commente Stéphane Truchi, président du directoire de l'Ifop. Le marché toutefois garde le sourire même s'il est plus timide. Seuls 5% des sondés font la grimace.»

Pour autant, dans un contexte économique très rude, le luxe reste porteur d'optimisme: 70% des acteurs du luxe se déclarent optimistes pour 2014 pour leur secteur. Vis-à-vis de la situation économique et financière mondiale, tous secteurs confondus, les professionnels se révèlent relativement sereins: ils sont moins pessimistes pour 2014 qu'ils ne l'étaient pour 2013. Les très pessimistes reculent de six points et les plutôt optimistes gagnent trois points.

Cela ne les empêchent pas d'avoir une vision lucide de l'évolution des marchés et de la baisse de l'influence de certains pays émergents. Si la Chine reste le premier des «marchés très stratégiques» (pour 56% des sondés), elle recule de 19 points par rapport à 2012! «Les professionnels sont prudents sur la croissance chinoise, remarque Stéphane Truchi. Seulement un sur cinq voit le marché repartir à la hausse.» Quant à la clientèle chinoise, selon les sondés, elle gagne en maturité, devient plus exigeante et ses comportements d'achat se rapprochent de ceux des Occidentaux. En revanche, son goût pour les marques de luxe locales est encore marginal.

«Levier de différenciation»

Le Brésil aussi est en retrait. Après avoir progressé de 8 points l'an passé, il perd 13 points cette année tandis que l'Inde décroche de 11 points. «Parmi les BRIC en baisse, seule la Russie se stabilise et devient le 2e marché le plus stratégique pour 36% des sondés, tandis qu'on assiste à une poussée des Emirats arabes unis, qui deviennent le 3e marché le plus générateur de croissance, sans oublier le retour des Etats Unis», commente Stéphane Truchi.

A cet égard, la majorité des sondés considèrent qu'aux Etats Unis, le salut du luxe passe par la maîtrise du commerce en ligne. Un bon tiers fait remarquer que le luxe américain étant plus «casual», moins sophistiqué, les marques devront s'adapter. Du coup, alors que 8 sur 10 pensent qu'il y a une clientèle à conquérir dans le centre du pays (Minneapolis, Dallas, Chicago…), 6 sur 10 expriment leur scepticisme, pour des raisons culturelles, sur ce potentiel des villes moyennes.

Du côté des touristes, même tendance pour le marché français avec, en 2013, une moindre progression de la clientèle chinoise et brésilienne, et une poussée de la clientèle russe et américaine, ainsi que le retour des Japonais.

Pour renforcer leur leadership au niveau international, les professionnels du luxe considèrent que le meilleur atout est la mise en avant du savoir-faire traditionnel des marques françaises (55%) et de leur patrimoine (36%), sans négliger l'e-commerce (36%) et les attentes spécifiques des marchés locaux (31%).

«La valorisation du savoir-faire et du métier d'art mettant en avant le temps de la fabrication – le fameux «slow made»– est un véritable levier de différenciation, souligne Stéphane Truchi. C'est une façon de pérenniser l'excellence des maisons pour 70% des acteurs interrogés, une nouvelle modernité, un mélange d'innovation et de tradition pour 40% d'entre eux et une manière d'initier le client à l'expérience du produit pour un tiers.»

 «Dans cette quête de sens, on voit s'installer cette double temporalité du luxe, ajoute le patron de l'Ifop. Un temps court qui doit susciter le désir du consommateur et un temps long qui est celui du patrimoine et du savoir-faire.» Hermès, lauréat 2013 du Grand Prix du luxe Stratégies/Amaury Médias pour sa campagne «Le Goût du sport» est sans doute l'archétype de cette valse à deux temps.

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