Bonnes feuilles
BONNES FEUILLES Les éditions Parole et Silence publient La Société des marques. Fruit de tables rondes menées au Collège des Bernardins, cet ouvrage collectif piloté par Denis Gancel et Gilles Deléris (agence W) propose le regard croisé de personnalités issues dʼhorizons multiples et dʼexperts reconnus. Extraits. Olivier Mongeau @omongeau

«Un renversement est en train de s’opérer. On a vu se développer, depuis le début de l’ère industrielle, des millions de marques et de sociétés pour signer un produit ou un service, pour différencier une entreprise, pour mobiliser une énergie collective au service d’un projet.

En tant que marques de sociétés, la marque était bien à sa place.

Depuis les années 2000, alors que s’est accélérée encore la mondialisation, nous sommes entrés dans la société des marques. Nous avons cherché dans cet ouvrage à analyser et à comprendre cette société nouvelle. (…)

 

La société des marques va devoir choisir son régime. Sera-t-elle totalitaire en tentant d’imposer sa loi par sa puissance économique? Essaiera-t-elle de tout régir, y compris nos vies privées et notre intimité? Aura-t-elle au contraire la sagesse de s’inscrire dans une logique démocratique, fondée sur le régime de la transaction "achat-vente" qui organise les relations sociales depuis l’origine? En quoi ce phénomène est intimement lié à la mutation digitale du XXIe siècle? (…)

La société des marques prépare le meilleur comme le pire. Elle défend les valeurs du partage et du développement durable. Elle invente des services qui bousculent les certitudes et les positions monopolistiques. Elle prend part à la mise en place d’écosystèmes plus équilibrés respectueux de l’ensemble des parties prenantes. Mais elle ne lâche rien de son instinct de conquête et de croissance quitte à reprendre le contrôle des âmes et des porte-monnaie. Les conso-citoyens doivent se préparer à tirer le meilleur de la situation sans perdre la part de contrôle qu’ils ont conquise.

 

En effet, il va falloir s’habituer à ce que la société des marques élargisse son terrain de jeu. Ce dernier est déjà celui des pays émergents. Si l’économie de l’informel y est aujourd’hui majoritaire –une économie du non déclaré, non bancarisé, non fiscalisé et non marqué–, la transformation digitale menée à vitesse grand V participera au développement rapide des marques locales, contraintes pour exister d’emprunter les codes de l’économie de marché.

Le projet d’Elon Musk, le fondateur de Paypal et Tesla, qui vise à envoyer 700 satellites en orbite pour fournir internet au monde entier, participe de ce mouvement. En créant les conditions du règlement virtuel des transactions, internet contraint l’économie informelle à entrer dans une logique installée où les marques tiennent toute leur place. (…)

 

La société des marques en est à son commencement. Consommateurs de produits de toute la planète, citoyens voyageurs concernés par le monde, nous sommes les habitants de cette société nouvelle. Mais nul ne se berce d’illusions. Les marques chercheront toujours à occuper la meilleure place et à conquérir de nouveaux territoires. C’est dans leur nature. Toute nouvelle marque nourrit des rêves de conquête. Les marins des grandes découvertes étaient avant tout d’intrépides marchands. La compagnie des Indes avait déjà, au XVIIe siècle, donné le signal de la conquête du monde en installant des comptoirs sur les côtes des pays d’Orient. Les nouvelles conquêtes ne passeront pas cette fois par la mer mais, nous l’avons dit, par les réseaux croisés d’un monde sans terres inconnues.

 

Ils dessinent un nouveau territoire, avec de nouveaux lieux, de nouveaux emblèmes, de nouveaux récits, et de nouvelles interactions. Territoire dont il est urgent de définir les règles pour garantir les libertés. Il est essentiel d’y entrer pour en mesurer les dangers. Il nous paraît important d’y naviguer pour en mesurer toutes les opportunités.»

 

[Denis Gancel et Gilles Deléris, cofondateurs de W - «Indispensable vigilance», conclusion de l'ouvrage]

 

 

«Si on regarde cette globalisation avec un œil critique, on pourrait dire que The world is flat et que toutes les rues du monde se ressemblent: on y retrouve des enseignes familières (...). Si on précise ce phénomène en chiffres, nous sommes passés de 7 000 multinationales en 1969 à 108 000 en 2011, et pourtant, 90% des gens ne quitteront jamais le pays dans lequel ils sont nés, 98% du temps téléphoné est national, 72% des journaux en Europe sont nationaux. Le phénomène de la globalisation est un phénomène d’image projetée, en rupture dans le monde, mais la réalité reste régionale et locale. Les frontières physiques, légales, culturelles, émotionnelles existent toujours. (...)

 

Quels sont alors les
 risques et les opportunités pour les marques 
globales une fois le constat établi? Une marque s’enrichit de profondeur, de valeur, d’identité. Que peut-on bâtir si la marque devient internationale? C’est la force des très grandes marques internationales de capter ce que sont les valeurs universelles, partagées par la quasi-totalité des êtres humains. (…)

Certains ont cependant compris que le global pouvait tuer. Lorsque MTV a été lancé, les programmes étaient un flux de clips vidéo international, MTV a failli en mourir! Aujourd’hui, 50% des programmes de MTV sont des programmes locaux. À l’inverse, qui sait que leboncoin.fr est en fait une société suédoise? (...) On retrouve ici tous les paradoxes que génère la double attention au local et au global.»

 

[Grégoire Champetier, directeur général marketing du groupe Accor - «Risques et opportunité des marques globales ou mondiales»]



 

«Le retour de l’identité des pays va de pair avec le fait que leurs dirigeants ont répété la nécessité d’incarner ce que sont les pays au travers d’une image de marque. Cette "marque pays" est une construction esthétique et intellectuelle qui permet à chacun de s’approprier mentalement et matériellement ce que sont ces pays. (…)

Les États deviennent conscients que leur image de marque ne dépend pas seulement de leurs caractéristiques objectives. Et chaque État met en place empiriquement et intuitivement des procédures de travail pour cerner, incarner et valoriser son image de marque. Il le fait le plus souvent en s’appuyant sur le patrimoine du pays et sur des secteurs à partir desquels il rayonne. Or l’image de marque d’un pays dépend d’abord du paysage mental des individus, de la façon dont ils se représentent le réel et le monde pour se les approprier et s’y mouvoir – donc de leur imaginaire. (…)

 

Aujourd’hui, la France connaît un problème spécifique pour la constitution de son image de marque, de sa marque pays.
 Ce problème, qui explique notre retard, tient essentiellement à des raisons culturelles liées à notre imaginaire, qui pousse nos élites à désingulariser ce que nous sommes. (...) Nos élites mésestiment que ce sont nos façons d’être et de faire qui président à nos produits, services, recherche et innovation. Enfin l’esprit français en continuel besoin de projection dans le monde répugne à enclaver la marque France dans une singularité relative qui en ferait une parcelle du monde.

La marque France ne peut pas faire l’économie dans son travail d’élaboration de l’image dont elle est issue. Elle ne peut plus le faire. Voilà le premier défi qui est le nôtre: avant de dire qui l’on est, bien le cerner et l’accepter.»

 

[Stéphane Rozès, président du cabinet Conseils, Analyses et Perspectives - «L’imaginaire des pays»]

 

 

«Elle défend les valeurs du partage et du développement durable. (…) Mais elle ne lâche rien de son instinct de conquête et de croissance quitte à reprendre le contrôle des âmes et des porte-monnaie.»

 

«C’est la force des très grandes marques internationales de capter ce que sont les valeurs universelles, partagées par la quasi-totalité des êtres humains. (…)  Certains ont cependant compris que le global pouvait tuer.»

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