Digital
Le leader mondial du secteur de l’hôtellerie a lancé un plan de transformation digitale sur cinq ans. Retour sur ses objectifs avec Vivek Badrinath, directeur général adjoint, marketing, digital, distribution du Groupe Accor.

Pourquoi ce plan de transformation digitale ?

Vivek Badrinath. Nous sommes sur un secteur très fortement touché par le digital. En matière de distribution, Accor réalise aujourd’hui 35% de son chiffre d’affaires sur le web, ratio assez homogène pour nos différentes marques. En matière d’usage, les voyageurs comptent de plus en plus sur internet, et notamment sur le mobile, pour préparer, vivre et commenter leurs voyages et leurs séjours. Le plan « Leading Digital Hospitality » répond donc à une priorité, fixée par notre PDG Sébastien Bazin : appréhender l’ensemble des enjeux digitaux pour asseoir le leadership de notre groupe, premier opérateur hôtelier mondial, avec ses 3 600 hôtels et ses 170 000 collaborateurs dans 92 pays.

 

Quel est le coût de ce programme ?

V.B. 225 millions d’euros sur cinq ans, dont une bonne partie sera dépensée en 2015 et 2016. 60% de la somme engagée visent à consolider la performance actuelle du groupe en améliorant les solutions de middle et back office. Les 40% restant sont dédiés au gain de parts de marché et à l’optimisation des coûts de distribution.

 

Face aux évolutions de vos marchés, ce plan relevait-il de l’urgence ?

V.B. Soyons clairs : pour nous, le digital peut être considéré comme une menace, mais c’est surtout une formidable opportunité. Notre activité est avant tout ancrée dans le monde physique, avec nos hôtels, nos chambres et nos collaborateurs. Les pure players de la réservation d’hôtels en ligne ont sans doute permis d’étendre notre marché en accrochant une clientèle que nous n’aurions peut-être pas touchée sans eux. Reste que, pour financer leurs dépenses en mots clés, ils nous imposent des commissions élevées. Ce qui est bien sûr dommageable, tant pour nous que pour les clients que nous connaissons déjà et que nous devrions pouvoir accompagner sans intermédiaire.

 

Et l’opportunité, où est-elle ?

V.B. Le digital nous permet de répondre aux grandes tendances de notre secteur : la montée en puissance du mobile, la personnalisation des services et la prise en compte de toutes les étapes du parcours client. Le digital est une formidable opportunité de réinvention de l’expérience client, dans le sens d’une relation contextualisée et personnalisée. Il s’agit aussi de renforcer notre distribution directe. Aujourd’hui, notre outil de distribution propriétaire centralise 59% des réservations. Le portail Accorhotels.com, disponible en 32 versions et 16 langues (bientôt 18), gère en moyenne 45 000 réservations par jour.

 

Aviez-vous vu venir Airbnb ? Vous fait-il du mal ?

V.B. Je ne veux pas minimiser le phénomène Airbnb. Mais je suis incapable aujourd’hui de dire s’il impacte notre chiffre d’affaires. D’abord parce que nous sommes sur un marché en progression, qui croît de 5% par an. Ensuite parce que je pense sincèrement qu’Airbnb, compte tenu de la nature des transactions, menace d’avantage les petits acteurs indépendants qu’un groupe comme Accor. En revanche, nous devons tirer du succès d’Airbnb un certain nombre d’enseignements.

 

Par exemple ?

V.B. Airbnb a déployé des efforts considérables dans la mise en scène et la crédibilité de l’offre. Il a fallu ici rattraper le retard. Nous avons donc procédé à la refonte de toute notre imagerie (photos et vidéos) disponible sur le web, avec 2 500 shooting en cours. Autre leçon : la teneur dominante des avis postés par les internautes, qui insistent largement sur la qualité du contact humain trouvé sur place. Cela doit nous pousser à redonner du contenu à l’échange. C’est d’ailleurs tout l’objet du programme « Welcome by Le Club Accorhotels », une solution de e-check-in/fast check-out déployée dans 1 000 hôtels en 2014 : repenser l’accueil hôtelier en optimisant la préparation des arrivées des clients en amont afin qu’ils se sentent attendus, avec un contact à la réception plus personnalisé.

 

Et quid du mobile ?

V.B. La mobilité fait partie des principaux programmes du plan digital. Nous avons racheté la start-up française Wipolo, spécialisée dans les solutions mobiles de gestion de voyages. Nous sommes en train de déployer une application mobile unique regroupant tous les services avant, pendant et après le séjour, qui bénéficie d’une mise à jour toutes les deux semaines et draine déjà 12% du chiffre d’affaires digital du groupe. A terme, la dizaine d’applis conçues autour de nos différentes marques sera abandonnée.

 

Comptez-vous monétiser cette appli ?

V.B. Non. Ni par des services payants, ni par de la publicité. Nous vendons juste quelques espaces sur le site internet. En revanche, l’application a vocation à créer de la valeur en matière de services et à proposer une montée en gamme (up selling) à nos clients.

 

Avec cette stratégie digitale, peut-on parler d’un schéma de rupture ?

V.B. Passer d’une lecture produit – la nuitée d’hôtel – à une lecture client  – logique de personnalisation de la relation –, c’est une vraie révolution intellectuelle. Mais le groupe a montré à de nombreuses reprises qu’il était capable de mobiliser toutes ses ressources pour intégrer rapidement les changements, y compris les plus structurants.

 

Vous avez été nommé directeur général adjoint, marketing, digital, distribution. Ca fait beaucoup…

V.B. Ce plan est une priorité pour le groupe. Il est à la fois stratégique, digital et managérial. Si l’on veut répondre au mieux aux enjeux de notre industrie, il faut réfléchir et agir de manière transversale, en intégrant toute la chaîne de valeur, et pas seulement la dimension digitale.

 

Comment avez-vous travaillé ?

V.B. Tout est allé finalement assez vite. Je suis arrivé en mars 2014, avec l’idée d’instaurer une vraie démarche en mode projet. J’ai rencontré beaucoup de monde, j’ai beaucoup écouté. Un comité de pilotage digital a été créé, ainsi que des comités dédiés aux différents volets du plan. Chaque projet dispose de toute l’autonomie nécessaire pour avancer de manière efficace sur son champ (développements spécifiques, formations…), tout en ayant un calendrier à respecter, des indicateurs à satisfaire et des livrables à fournir.

 

Pas d’« open innovation » ?

V.B. Nous avons fait le choix de partager notre vision en communiquant avec nos clients et nos partenaires, et bien sûr en interne. Ce qui sert à échanger des idées. Nous sommes aussi partenaires de l’Innovation Factory, ce qui nous permet de stimuler la créativité avec des acteurs de l’écosystème digital, des start-up et des étudiants. Nous pourrons éventuellement être amenés à envisager des acquisitions tactiques. Pour autant, quand il s’agit d’arrêter des choix stratégiques, d’orienter des axes d’action, de décider, il est essentiel de garder la main.

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