Transformation
La transition digitale est devenue incontournable pour les entreprises. Etat des lieux avec le directeur général d’Accenture Digital en France et au Benelux.

La révolution digitale est en marche, mais elle ne va pas forcément de soi. Aux côtés des grands discours incantatoires, la réalité du terrain est en effet plus nuancée. En témoigne une étude de TNS Sofres sur le sujet, réalisée fin 2014 auprès de 273 salariés d’entreprises de 200 employés et plus. Les stratégies de transformation numérique, loin d’être achevées, restent encore floues. Ainsi 63% des salariés estiment que leur entreprise l’explique mal ou qu’elle en parle plus qu’elle n’agit. La faute aux dirigeants ? Ils sont jugés insuffisamment moteurs : seuls 57% des salariés déclarent qu’ils ont intégré le digital dans leur leadership. Et seulement 50% les considèrent comme des modèles inspirants. Les départements ressources humaines sont également pointés du doigt : 56% des opérationnels estiment que les RH accompagnent mal les collaborateurs dans leur entreprise. Le point sur la situation en entreprise avec Pascal Delorme, directeur d’Accenture Digital en France et au Benelux, pour qui l’implication du top management est la condition sine qua non de sa réussite.

 

Où en est la transformation digitale des entreprises ?

Pascal Delorme. Nous sommes aujourd’hui à un tournant. Par rapport à la première révolution digitale que nous avons connue il y a quinze ans, la mutation en cours est beaucoup plus profonde. Les entreprises perçoivent mieux les enjeux qu’elle implique car elle bouleverse l'ensemble de leurs composantes et de leurs relations à leurs clients. Il s’agit donc pour elles de prendre l’initiative face à un phénomène susceptible d’impacter directement leur modèle économique en provoquant une variation très forte de leur chiffre d’affaires et de leur part de marché. Et cela avant que de nouveaux acteurs rabattent les cartes de leur secteur, comme cela a été le cas pour les taxis avec Uber ou les hôteliers avec Airbnb par exemple.

 

Pour beaucoup d’entreprises, cette mutation semble davantage subie que véritablement maîtrisée…

P.D. C’est de moins en moins vrai. Il est évident que l'accélération brutale du changement suscite des craintes dans la plupart des entreprises, mais nous sortons peu à peu de la période de tétanie qui les a longtemps empêché d’agir à bon escient. Désormais, l’envie domine la crainte.

 

Quels sont les facteurs clés de la réussite d’une telle démarche ?

 P.D. Il n’existe pas de modèle standard. Tout dépend du contexte et de l’entreprise elle-même. Néanmoins, rien ne peut se faire sans la volonté affichée par la direction générale et le mandat donné au top management. La transormation digitale est avant tout un acte managérial. Les échecs sont principalement dus à l’absence d’incentive qui force les managers et les collaborateurs à devenir moteur du changement, et au manque de relais des middle managers. Sans l’adhésion de chacun, le projet a peu de chance d’aboutir. Le choix des hommes qui incarneront et porteront cette transition numérique est donc primordial. Adopter un virage numérique, c’est épouser une vision stratégique. Il faut donc un leader qui sensibilise, évangélise, planifie l’agenda et travaille étroitement avec les RH, la DSI et la direction marketing.

 

À l’inverse, quels sont les principaux freins qui généralement subsistent ?

 P.D. La résistance au changement et la peur de l’échec, qui sont des sentiments très français. Dans l’univers du digital, il est indispensable de cultiver le goût du risque car l’échec fait partie du jeu. Si on en a peur, on n’avance pas. En France, on est un peu paralysé car nous ne sommes pas dans la culture du test and learn. Notre organisation est plus systémique : on veut tout maîtriser avant de se lancer, or il est impossible de décrire à l’avance la trajectoire digitale d’un grand groupe. L’essentiel, c’est donc d’enclencher le mouvement.

 

Cette peur n’est-elle pas aussi due au fait qu’il est difficile de se caler sur le rythme effréné du digital ?

P.D. Mentionner le manque d’agilité des grands groupes face aux start-up est une tarte à la crème, mais c’est malheureusement ce qui explique dans bien des cas pourquoi certains se font prendre de vitesse par des concurrents sortis de nulle part. Étant donné que le digital requestionne les entreprises sur ce qu’elles apportent réellement au client, il est essentiel que les dirigeants aient une idée précise de l’exploitation digitale qu’ils peuvent faire du patrimoine de leur société.  

 

Décideurs et opérationnels n’expriment pas les mêmes attentes vis-à-vis du digital. Comment expliquer ce décalage  ?

P.D. Que cette révolution digitale ne revête pas la même réalité pour tous au sein de l’entreprise est tout à fait normal. Cela est dû à la différence du niveau de maturité de chacun par rapport aux pratiques et aux usages du digital. Le socle d’une organisation managériale est que les « sachants » en savent généralement plus que leurs subordonnés. Cependant, avec le digital, la jeune génération bouscule cet ordonnancement, ce qui peut provoquer des tensions en interne. L’adoption de plans de formation est un bon moyen d’impliquer l’ensemble des collaborateurs et de mettre tout le monde sur un même pied d’égalité. Le « reverse mentoring » – un tutorat inversé où de jeunes collaborateurs « digital matures » initient les managers aux rudiments des réseaux sociaux par exemple – peut également être envisagé. Il a le mérite de valoriser le rôle des plus jeunes collaborateurs de l’entreprise. Mais encore une fois, pour éviter les frustrations, la priorité est d’embarquer tous les services dans la dynamique de transformation, pour empêcher que certaines fonctions se déresponsabilisent au profit d’autres.

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